Minoutchehr

Zal va voir Roudabeh

...

Lorsque le soleil brillant eut disparu, qu’on eut fermé la porte du palais et qu’on en eut retiré la clef, l’esclave se rendit auprès de Destan fils de Sam et lui dit :

Tout est préparé, viens !

Le prince se dirigea vers le palais, comme il convient à un homme qui cherche une épouse.

La belle aux yeux noirs et aux joues de rose monta sur le toit, semblable à un cyprès surmonté de la pleine lune ; et lorsque Destan, fils de Sam le cavalier, parut de loin, la fille du roi ouvrit ses deux yeux et fit entendre sa voix :

Tu es le bienvenu, ô jeune homme, fils d’un brave !

Puisse la grâce de Dieu reposer sur toi !

Puisses-tu marcher sur la voûte des sphères célestes !

Que mon esclave ait le cœur en joie et en gaieté, car tu es, de la tête aux pieds, tel qu’elle me l’a dit.

Tu es venu ainsi à pied de ton camp et tes pieds royaux doivent être fatigués.

Lorsque le prince entendit cette voix du haut du palais, il regarda et vit la belle au visage de soleil.

Les créneaux étaient éclairés par ce joyau et la terre était devenue comme un rubis par le reflet de ses joues.

Il répondit :

Ô jeune fille au visage de lune !

Que mes bénédictions et les grâces du ciel soient sur toi !

Que de fois, dans la nuit, les yeux dirigés vers l’étoile du nord, j’ai prié Dieu le saint, demandant que le maître du monde me laisse voir en secret ton visage !

Maintenant ta voix m’a rendu heureux par ces douces paroles si doucement prononcées.

Cherche un moyen de réunion, car pourquoi resterions-nous, toi sur les créneaux, moi dans la rue ?

La belle au visage de Péri écouta les paroles du prince et dénoua sur sa tête ses boucles noires comme la nuit ; elle déroula un long lacet de ses tresses et tel que tu n’aurais pu en tisser un pareil en musc.

C’était boucle sur boucle, serpent sur serpent, fil sur fil, qui tombaient sur son cou.

Elle fit descendre ces boucles du haut des créneaux et Zal dit en son âme :

Voilà un lacet sans défaut !

Ensuite Roudabeh cria du haut du mur :

Ô Pehlewan, fils d’un brave !

Maintenant hâte-toi, hausse ta taille, étends t’a poitrine de lion et tes mains de roi ; prends mes boucles noires par le bout ; il faut bien que je devienne lacet pour toi.

Zal regarda la belle au visage de lune et s’étonna de ces paroles ; il couvrit de baisers le lacet de musc, de sorte que sa fiancée entendit le bruit de ses lèvres.

Il répondit :

Ce ne serait pas juste.

Puisse le soleil ne jamais briller dans un jour où j’aurais levé la main contre une femme folle d’amour, où j’aurais frappé de la lance pointue un être dont le cœur est brisé !

Il prit des mains de son esclave un lacet, y fit un nœud coulant et le lança en haut sans prononcer un mot.

La cime d’un créneau se trouva prise par le nœud du lacet et Zal y monta d’un trait jusqu’en haut.

Lorsqu’il fut assis sur le haut du mur, la belle au visage de Péri vint à lui et le salua ; elle prit dans sa main la main de Destan et ils s’en allèrent tous les deux comme en ivresse.

Roudabeh descendit du haut du palais, tenant dans sa main la main de cette puissante branche du tronc royal.

Ils allèrent vers l’appartement peint en or ; ils entrèrent dans cette salle royale qui était un paradis orné, rempli de lumières et les esclaves se tenaient debout devant la belle aux yeux noirs.

Zal fut frappé d’étonnement en voyant le visage et la chevelure, la grâce et la dignité de cette femme, parée de bracelets, de colliers et de boucles d’oreilles et ornée de pièces d’or et de joyaux comme un jardin printanier.

Les deux joues de Roudabeh étaient comme deux tulipes parmi des lis et les boucles de ses cheveux flottaient les unes sur les autres.

Zal, dans toute la dignité d’un roi des rois, s’assit à côté de la lune, pleine de majesté ; une épée était suspendue sur sa poitrine, un diadème de rubis couvrait sa tête.

Roudabeh ne pouvait se rassasier de sa vue et tenait sur lui ses deux yeux, admirant sa taille et ses bras, sa grâce et sa force, qui brisait un rocher sous sa massue, comme une branche d’épines et la beauté de ce visage, qui vivifiait les âmes ; plus elle le regardait, plus son cœur s’enflammait.

Il ne cessa de la couvrir de baisers et de l’embrasser et de s’enivrer.

Y a-t-il un lion qui ne chasse pas l’onagre ?

Le roi dit à la belle au visage de lune :

Ô cyprès au sein argenté et parfumé de musc !

Quand Minoutchehr entendra cette aventure, il ne l’approuvera pas et Sam fils de Neriman entrera en colère ; il lèvera la main et bouillonnera de colère contre moi ; mais je ne mets aucun prix à ma vie et à mon corps ; je les tiens pour choses viles et me vêtirai sans peine du linceul.

Ainsi je jure devant Dieu le seigneur, le dispensateur de la justice, que jamais je ne manquerai à ma foi envers toi.

Je me présenterai devant Dieu et l’invoquerai ; je le prierai comme font les hommes dévoués à son culte, dans l’espoir qu’il éloignera du cœur de Sam et du roi de la terre toute colère, toute inimitié et toute haine.

Le Créateur écoutera mes paroles et tu seras à la face du monde mon épouse.

Roudabeh lui répondit :

Moi aussi, je jure devant le maître de la foi et de la religion, que nul ne sera mon seigneur (Dieu est témoin de mes paroles), que Zal le Pehlewan du monde, le maître de la couronne et du trésor, le renommé, l’illustre.

À chaque moment leur amour allait en croissant, la raison les abandonna, la passion s’empara d’eux jusqu’à ce que le jour parût et que le son du tambour s’élevât des tentes du roi.

Alors le roi prit congé de cette lune et fit de son corps la trame et du sein de Roudabeh la chaîne et les cils de leurs yeux se mouillèrent de larmes ; ils adressèrent des reproches au soleil, disant :

Ô gloire du monde !

Encore un instant ; n’arrive pas si subitement !

Zal jeta du haut du toit son lacet et descendit du palais de sa belle compagne.

Dernière mise à jour : 7 sept. 2021