Minoutchehr

Rustem tue l'éléphant blanc

...

Or un jour, il arriva qu’ils étaient dans un jardin à boire du vin avec des amis.

Les instruments de musique jouaient sur tous les tons et les grands se réjouissaient.

Ils burent du vin couleur de rubis, dans des coupes de cristal, jusqu’à ce que leurs têtes se troublèrent.

Alors Zal dit à son fils :

Ô mon glorieux fils qui brille comme le soleil, prépare des présents et des chevaux pour tes braves, pour tous ceux qui portent haut la tête.

Rustem leur donna de l’or et des joyaux et nombre de chevaux arabes caparaçonnés, puis l’assemblée se dispersa, ayant reçu, homme par homme, beaucoup de présents.

Zal se retira dans son appartement de nuit, comme c’était son habitude et sa règle ; et Tehemten (Rustem), la tête pleine de boisson, rentra aussi en chancelant dans sa chambre à coucher ; il s’endormit et sa tête reposait dans le sein du sommeil, lorsqu’on entendit devant sa porte des voix criant que l’éléphant blanc du roi avait brisé sa chaîne et était en liberté et que les habitants du palais étaient en danger.

Aussitôt que ces paroles frappèrent l’oreille de Rustem, son courage et sa valeur en bouillonnèrent ; il courut prendre la massue de son grand-père et se dirigea vers la porte pour sortir.

Quelques hommes qui se trouvaient sur le seuil de son palais voulurent lui barrer le chemin, disant :

Comment oserions-nous nous exposer à la colère de ton père en t’ouvrant la porte ?

La nuit est sombre, l’éléphant a brisé sa chaîne et toi tu sors ; qui peut approuver cela ?

Rustem s’irrita contre celui qui avait parlé et lui asséna un coup de poing entre la tête et la nuque, qui fit de sa tête comme une balle à jouer ; puis il se tourna vers les autres, qui reculèrent devant le Pehlewan.

Il alla bravement vers la porte, la frappa de sa massue et en brisa les barres et les verrous, comme il était digne d’un héros tel que lui.

Puis, il sortit, rapide comme le vent, la massue sur l’épaule et la tête remplie de fierté.

Il courut vers le furieux éléphant, en mugissant comme les flots bleus de la mer ; il aperçut une montagne, il l’entendit mugir et vit que la terre tremblait sous elle comme une marmite qui bout ; il aperçut ses hommes de guerre qui avaient peur de l’éléphant comme une brebis quand elle voit la face du loup.

Rustem poussa un cri comme le cri du lion, il n’eut pas peur et s’avança courageusement vers l’éléphant.

La bête furieuse, semblable à une montagne, le vit et courut sur lui ; elle leva la trompe, dans sa rage, pour porter un coup à Rustem.

Tehemten la frappa de sa massue sur la tête, de manière à faire plier ce corps semblable à une montagne.

L’éléphant, pareil au mont Bisoutoun, trembla ; ce seul coup l’avait rendu faible et impuissant, les pieds lui manquèrent, il tomba et Tehemten retourna aussitôt dans son appartement et s’endormit.

Lorsque le soleil se leva du côté de l’orient, semblable à la joue d’une femme qui ravit les cœurs, Zal apprit ce que Rustem avait fait, comment il avait tué l’éléphant furieux et comment après lui avoir brisé la nuque d’un coup de massue, il avait jeté par terre son corps sans vie.

Le prince écouta depuis le commencement jusqu’à la fin le récit de ce que son fils avait fait et répondit :

Hélas !

Cet éléphant de guerre, qui mugissait comme les eaux de la mer, grand est le nombre des champs de bataille ou son choc a ébranlé toute une armée.

Mais quelles que fussent ses victoires dans les combats, Rustem, fils de Zal, est plus fort que lui.

Il fit venir Rustem devant lui, lui baisa les mains, les bras et la tête et lui dit :

Ô fils d’un lion plein de courage, tu as levé la griffe, tu es devenu brave ; tu es encore un enfant et déjà tu n’as pas ton égal en gloire, en courage et en stature.

Maintenant, avant que ta renommée s’étende au loin et prévienne la réussite de tes plans, ceins-toi pour venger le sang de Neriman et va en toute hâte jusqu’à ce que tu voies sur le mont Sipend un château, dont la tête se perd dans les nuages, de sorte que l’aigle dans son vol ne peut passer dessus.

Sa hauteur est de quatre farsangs et sa largeur aussi de quatre.

Il est plein de verdure, d’eau, d’étoiles précieuses et d’or ; il renferme un grand nombre d’hommes et d’animaux, des arbres en abondance, des terres ensemencées et des moissons ; personne n’a jamais vu un lieu pareil et Dieu le tout-puissant y a créé des artisans de toute sorte et des arbres fruitiers de toute espèce.

Un seul chemin y conduit, on y a construit une porte haute comme le firmament.

Neriman qui emportait la balle entre tous les braves, se dirigea, d’après les ordres du roi Feridoun, vers cette forteresse et ce fut sur ce chemin que sa place dans le monde devint vide.

Il combattait jour et nuit, tantôt c’étaient des ruses, tantôt des enchantements.

Il continua cette lutte pendant une année et au-delà ; dans la forteresse était une armée et devant elle était Neriman.

À la fin les assiégés lancèrent une pierre et privèrent le monde du Pehlewan ; et l’armée ayant perdu son chef, retourna vers le roi qui portait haut la tête.

Lorsque Sam le brave reçut la nouvelle que le lion de la guerre avait cessé de combattre, il poussa des cris, il montra une grande douleur et ses lamentations redoublaient à chaque instant.

Il donna ainsi sept jours à sa douleur et à son désespoir ; mais à la fin de la semaine, il rassembla une armée, la mena au siège de la forteresse et couvrit de ses troupes les déserts et les lieux sans chemin.

Il y resta beaucoup de mois et d’années, mais il ne découvrit aucun chemin qui conduisît aux murs du château.

Aucun homme ne sortait de la porte de la ville, aucun n’y entrait ; car les habitants n’auraient pas seulement besoin d’un brin de paille, quand même le chemin serait intercepté pendant des années et des mois.

À la fin Sam désespéra et il revint sans avoir vengé le sang de son père.

Aujourd’hui le temps est venu pour toi, ô mon fils, de tenter un moyen plein de ruse.

Tu iras avec une caravane, le cœur en joie et tu feras en sorte que les gardiens ne te reconnaissent pas ; tu t’introduiras dans le mont Sipend, tu combattras ces mécréants et tu les extermineras tronc et racine.

Car jusqu’à présent nul ne connaît ton nom, et, si tu veux partir, il se peut que tu obtiennes l’objet de tes désirs.

Rustem répondit :

J’obéirai et je guérirai bientôt cette douleur.

Zal lui dit :

Ô mon prudent fils, prête l’oreille à tout ce que je te dirai.

Déguise-toi en chamelier, fais venir du désert une caravane de chameaux, charge-la de sel, c’est tout ce qu’il te faut et pars, en faisant en sorte que personne ne puisse te reconnaître.

Une charge de sel est chose prisée dans ce lieu et il n’y a rien qui ait à leurs yeux plus de valeur ; quelque haut que s’élève le château au-dessus de son portail, ils ne peuvent y avoir du sel pour assaisonner leur nourriture.

Quand ils verront inopinément un convoi de sel, grands et petits accourront au-devant de toi.

Dernière mise à jour : 7 sept. 2021