Lohrasp

Mirin demande en marriage la seconde fille du Kaisar

Il y avait un homme à Roum, du nom de Mirin, qui envoya un message au Kaisar et lui fit dire :

je suis un homme de haut rang, riche et puissant ; la gloire de ma bravoure est arrivée jusqu’au ciel. Donne-moi ta noble fille, rajeunis par-moi ton diadème et ton nom.

Le Kaisar répondit :

Dorénavant je ne prendrai plus de gendre comme autrefois.

Kitaboun et cet homme de rien qu’elle a choisi m’ont détourné de cette voie.

Maintenant quiconque veut s’allier à ma famille et fût-ce un homme d’un rang plus élevé que le mien, devra faire une grande action, pour que les puissants reconnaissent son pouvoir, qu’il devienne illustre dans le monde et qu’il me serve de soutien.

Que Mirin aille à l’entrée de la forêt de Fasikoun et qu’il trempe son cœur, sa main et son cerveau dans du sang.

Il y verra un loup grand comme un éléphant, dont le corps est comme le corps d’un dragon et la force comme celle d’un crocodile ; il a des défenses comme un sanglier et des cornes et un éléphant n’oserait pas tenir contre lui.

Ni un lion mâle, ni un éléphant, ni un tigre, ni un homme, si vaillant qu’il soit, n’ose traverser cette forêt.

Quiconque parviendra à lui fendre la peau sera pour moi un appui, un gendre et un ami.

Mirin se dit :

Dans ce noble pays, mes ancêtres ne se sont jamais battus qu’avec de lourdes massues et contre des princes, depuis que Dieu a fondé Roum.

Que demande donc maintenant le Kaisar ?

est-ce par haine qu’il me parle ainsi ?

Il faut que je trouve moyen de faire ce qu’il veut, il faut que je m’y prenne de la meilleure manière que je pourrai.

Cet homme, qui était le favori de tous, rentra dans son palais et fit des réflexions de toute espèce ; il apporta des livres, les plaça devant lui avec un tableau des constellations et son horoscope et vit que dans un certain temps il devait venir un homme illustre de l’Iran qui ferait trois grandes actions dépassant tous les hauts faits des grands de Roum.

D’abord il deviendrait le gendre du Kaisar et brillerait comme le diadème sur le front impérial ; ensuite il paraîtrait dans le Roum deux bêtes sauvages qui feraient du mal à tout le monde et toutes les deux seraient tuées par cet homme, à qui aucun ennemi, si puissant qu’il fût, ne ferait peur.

Quand il apprit l’histoire de Kitaboun, qui avait uni son sort à celui du vaillant Guschtasp et l’amitié qui liait celui-ci avec Heischoui et le chef illustre du bourg, il accourut auprès de Heischoui, lui raconta tout ce qui s’était passé et lui expliqua la constellation qui, selon les savants de Roum, annonçait les merveilles qui se passeraient dans ce pays.

Heischoui lui dit :

Reste aujourd’hui joyeusement et amicalement chez moi.

L’homme que tu m’as indiqué est un homme illustre et porte haut la tête ; toute la journée il ne s’occupe que de la chasse et ne pense pas au trône du roi de l’Occident.

Hier il n’est pas venu chez moi et n’a pas réjoui mon âme par sa présence, mais il va sans doute diriger ici ses pas aussitôt qu’il reviendra de la chasse.

Il apporta du vin et ils se mirent à boire, assis au milieu de parfums et de fleurs, les coupes d’or en main ; lorsqu’ils eurent vidé quatre coupes de vin, le vaillant cavalier parut dans la plaine.

Heischoui et Mirin l’aperçurent et coururent au-devant de lui dans cette plaine faite pour les combats.

Mirin le regarda et dit à Heischoui :

Personne n’est son égal dans le monde ; ce héros illustre, avec cette stature, ces bras et cette grande mine, doit être de famille royale.

Heischoui lui répondit :

Cet homme généreux n’est heureux que sur un champ de bataille et sa bravoure, sa modestie, sa noblesse et son intelligence sont encore plus grandes que n’indique sa mine.

Quand Guschtasp s’approcha d’eux, ils descendirent de leurs destriers et Heischoui arrangea une place au bord de la mer, fit apporter en toute hâte une nouvelle table, fit venir du vin et de jeunes échansons et prépara un banquet d’une espèce nouvelle avec ses jeunes amis.

Quand le vin couleur de rubis eut rougi les joues des convives, Heischoui dit à Guschtasp :

Ô héros !

Tu m’appelles ton meilleur ami sur la terre, tu ne connais personne mieux que moi ; or Mirin a pris refuge auprès de moi ; c’est un homme illustre et riche, il sait écrire, c’est un savant et un homme habile qui peut calculer les mouvements du ciel sublime ; il sait prédire, d’après les sages de Roum, la prospérité ou la désolation de tout pays ;

il tire son origine de la famille de Selm, dont il connaît les noms de père en fils ; il possède l’épée de Selm, l’épée que Selm ne quittait jamais ; c’est un cavalier, un héros, un lion vaillant, qui atteint avec sa flèche un aigle dans le ciel.

Maintenant il voudrait encore grandir et s’allier au Kaisar de Roum ; il a parlé au Kaisar et a reçu une réponse et cette réponse fait trembler son cœur.

Le Kaisar lui a dit :

Tu trouveras dans la forêt de Fasikoun un loup grand comme un dromadaire et lorsque tu l’auras tué, tu deviendras dans le Roum mon hôte honoré, tu deviendras un prince puissant et mon gendre et le monde m’accordera ce qui est mon droit.

Maintenant si tu veux aider Mirin, je serai ton esclave et cet homme illustre deviendra ton parent.

Guschtasp répondit :

Cette affaire m’ agrée, telle que vous la proposez.

Maintenant où est cette forêt ?

Comment peut-il y avoir une bête fauve qui fait la terreur des grands et des petits ?

Heischoui dit :

Ce vieux loup a une stature plus haute qu’un fort dromadaire ; ses deux défenses sont comme les défenses d’éléphant, ses yeux sont rouges comme la fleur du jujubier, sa peau est dure comme celle du crocodile, ses cornes sont comme des poutres de bois d’ébène et quand il est en colère, il perce d’un seul coup deux chevaux.

Bien des princes illustres sont partis d’ici avec de lourdes massues et sont revenus de cette forêt sans avoir atteint le but, couverts de honte et le cœur fondu de peur.

Guschtasp répondit :

Apportez-moi cette épée de Selm et amenez un cheval fier et ardent.

J’appelle cette bête un dragon et non pas un loup, car sachez qu’il n’y a pas de loup grand comme un dromadaire.

À ces paroles, Mirin partit et courut à son palais ; il choisit dans ses écuries un cheval noir, une cotte de mailles magnifique et un casque de Roum, prit cette riche épée d’acier que Selm avait damasquinée avec du poison et du sang et tira de son trésor beaucoup de présents, des rubis et d’autres pierreries, cinq de chaque espèce.

Lorsque le soleil eut déchiré sa chemise couleur de suie et fut sorti de son voile, Mirin, qui ambitionnait la possession du monde, quitta son palais et courut auprès de Heischoui.

Guschtasp, de son côté, revint de la chasse et se dirigea vers eux ; Heischoui, qui était aux aguets, le vit et lui et Mirin allèrent à sa rencontre, étonnés de la force de son cheval et de la grandeur de son épée.

Guschtasp regarda les présents de Mirin, choisit parmi le tout le cheval et l’épée, donna le reste à Heischoui et réjouit l’âme de cet homme ambitieux.

Il se revêtit rapidement de la cotte de mailles, monta sur le cheval de bataille, banda son arc, suspendit le lacet au crochet de la selle et le cavalier qui portait haut la tête et son cheval noir, étaient prêts.

Heischoui et Mirin, qui désirait la possession du monde et était venu en suppliant, l’accompagnèrent jusqu’à ce qu’ils fussent arrivés sur la lisière de la forêt de Fasikoun, en tremblant pour lui et le cœur gonflé de sang.

Dernière mise à jour : 7 sept. 2021