Keï Khosrou

Piran écrit à Gouderz pour demander la paix

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Piran apprit ce que faisait le chef des Iraniens ; cette nouvelle remplit son cœur d’inquiétude ; il s’appliqua à chercher un moyen de salut dans les ruses et la fourberie et demanda à un Destour plein de sagesse des conseils touchant cette guerre.

Ensuite, il ordonna, pour dernière ressource, à un secrétaire d’écrire une lettre qu’il adressait au Pehlewan.

Il commença la lettre par des louanges du Tout-Puissant, de Dieu qui était son asile contre les embûches du méchant Div, puis il continua ainsi : iule demande en public et en secret au Créateur du monde qu’il n’y ait plus de champ de bataille entre nos deux armées.

Si c’est toi, ô Gouderz, qui l’as voulu, qui as rempli le monde de guerres, tu dois être satisfait de la vengeance que tu as exercée.

Mais réfléchis quelle sera la fin ; considère combien de mes braves, de mes proches parents, de mes . A06 lions tu as privés de la tête et jetés dans la poussière.

N’as-tu donc aucune crainte de Dieu 2’ Tu as renoncé aux sentiments d’humanité et à la raison et maintenant tu as atteint ton but ; le temps est venu où tu dois être las de vengeance et n’être plus aussi empressé de répandre du sang.

Songe combien d’Iraniens et de Touraniens ont péri sur ce champ de bataille ; le moment est venu où tu dois incliner à la pitié, où tu dois aspirer à te reposer de cette guerre.

Pourquoi trancher la tête aux vivants pour venger un mort qu’on ne reverra plus ?

Puisque les temps passés ne peuvent revenir, ne sème pas dans le monde la semence de la vengeance, ne fatigue pas ton esprit, n’use pas ton corps, renonce à verser du sang.

Quiconque laisse après lui une réputation de cruauté, sera maudit après sa mort ; et quand les cheveux noirs commencent à devenir blancs, il ne reste aucun espoir d’une longue vie.

Je crains que lorsque nos armées se seront encore une fois battues sur ce champ de bataille, tu ne trouves plus debout un seul homme des deux armées ; la vie se sera envolée et la haine aura survécu.

Qui sait d’ailleurs lequel des deux partis sera vainqueur, lequel verra sa fortune baisser, lequel est destiné à illuminer le monde ?

Mais si, en recherchant la guerre et le carnage, en m’attaquant sur ce champ de bataille, tu n’as en vue que l’avantage de l’Iran, si c’est pour cela que tu livres ces combats de lions, dis-le-moi, afin qu’à l’instant et en toute hâte, j'envoie un messager auprès d’Afrasiab, pour qu’il consente que nous divisions le monde et oubliions nos haines, comme on fit du temps du roi Minoutchehr, quand il résolut de partager le monde.

Désigne tous les pays qui selon toi font partie de l’empire de l’Iran, pour que je fasse évacuer par les Turcs toutes les contrées incultes ou cultivées que demande Keï Khosrou le dispensateur de la justice.

D’abord je reculerai depuis l’Iran jusqu’aux montagnes, jusqu’au pays de Ghartcheh et à celui de Bost.

Après cela nous comprendrons dans les frontières de l’Iran, dans l’empire des Keïanides, Thalekan et toute la contrée jusqu’à Fariab et aussi le pays de Balkh jusqu’à Anderab ; ensuite les cinq villes jusqu’à Bamian ; puis le pays fortuné de Gourkan, que le maître du monde a ainsi nommé ; enfin le pays qui s’étend depuis Balkh jusqu’à Badakhschan, où l’on trouve des vestiges de votre domination.

La frontière remontera plus haut encore, embrassant les plaines d’Amoui et de Zem, avec Khatlan, Schengan, Termed, Wisehguird, Bokhara et tout le pays d’alentour.

De plus, tu peux prendre le pays de Soghd, dont personne ne te disputera la possession.

Du côté où s’avance Rustem le destructeur des héros, je lui céderai tout le Nimrouz ; je rappellerai l’armée qui se trouve en face de lui, je lui ouvrirai la route de l’Orient et lui livrerai, sans que mon cœur les regrette, tous les pays qui s’étendent jusqu’à l’Inde, ainsi que le Kaschmir, Kaboul, Kandahar et de proche en proche toutes les contrées jusqu’au Sind.

Du côté où se trouve le vaillant Lohrasp, je lui céderai le pays des Alains et toute cette région ; je donnerai à Khosrou sans combat et sans contestation une frontière continue jusqu’au mont Kaf.

Enfin j’abandonnerai tout le pays qu’Aschkesch occupe dans ce moment.

Quand j’aurai fait tout cela, je rappellerai mes troupes de tous côtés et je te promettrai par serment de ne. plus nourrir d’inimitié contre toi.

Tu sais que de notre côté, nous avons voulu agir avec droiture, que nous avons rempli nos cœurs de tendresse et de loyauté.

Je vais envoyer dire au roi du Touran que mon esprit souffre de cette guerre ; écris de même, dans un sentiment d’humanité, une lettre à Khosrou et montre-nous un visage serein.

Reçois mes paroles avec bonté et non pas avec l’envie de répandre du sang et de me combattre.

Quand nous aurons conclu un traité, j’enverrai à Khosrou sans exception toutes les richesses qu’il m’a demandées et j’espère qu’il défendra à son armée d’exercer de nouvelles vengeances ; ensuite, quand tout sera réglé, je lutterai remettre des otages et de grands trésors.

Je conclurai ce traité par humanité, selon les règles et selon les lois de la religion ; je fermerai avec la main de la loyauté l’œil de la vengeance, que le méchant Tour et le farouche Selm ouvrirent violemment du temps du puissant roi Feridoun, qui fut accablé de douleur quand le glorieux Iredj fut tué.

Demande-moi tout -ce qui peut se demander avec raison, ensuite écris à Khosrou sur mon compte.

Il ne faut pas que ton armée croie que mes paroles pacifiques proviennent de ma fatigue ; car je ne parle ainsi que par humanité et je ne poursuis qu’un but louable.

J’ai plus de trésors et plus de troupes que toi et ma réputation de bravoure est plus grande que la tienne ; mais mon cœur brûle de compassion pour nos armées au milieu de ces combats et de ce carnage inhumain qui s’étend sur toute la terre et je m’efforce d’éteindre ces vengeances.

Ensuite j’ai toujours devant les yeux la crainte du Créateur du monde ; car il n’approuve pas que nous fassions du mal et toute notre génération en portera la peine.

Mais si tu dédaignes mes paroles ; si c’est un combat à mort que tu cherches ; si tu me tiens pour coupable, moi qui suis innocent ; si tu refuses de prêter attention à mes paroles, parce que la justice et l’injustice sont la même chose à tes yeux et que tu ne veux que prolonger les vengeances, alors parmi les héros de l’Iran choisis-en quelques-uns qui sachent manier la lourde massue et moi aussi je choisirai dans mon armée des braves tels qu’il les faut pour le combat et nous les mettrons en présence, nous amènerons les chefs des armées sur le champ de bataille.

Ou bien encore, moi et loi nous nous mesurerons l’un avec l’autre, pour que ceux qui sont innocents puissent se retirer des attaques et du carnage ; et j’amènerai devant toi, au jour de la bataille, tous ceux que tu crois coupables et contre lesquels ton cœur nourrit du ressentiment.

Mais alors il faut que tu fasses avec moi le traité suivant : Si tu parviens à répandre mon sang et si la fortune des héros du Touran suc--combe, tu n’attaqueras plus mon armée, tu ne dévasteras pas par le feu mon pays et mon palais ; tu laisseras partir mon armée pour le Touran et ne lui dresseras pas d’embuscade pour la détruire.

Et si c’est moi qui suis victorieux, si ma bonne étoile me livre le monde, alors je n’inquiéterai pas les Iraniens, je ne leur en voudrai pas et ne chercherai pas à me venger d’eux ; je les laisserai tous partir pour l’Iran, je les laisserai retourner auprès de leur roi et désormais aucun d’eux ne périra ; leur vie et leurs trésors seront en sûreté.

Enfin, si tu n’acceptes pas cette forme de combat, si tu veux livrer une bataille en règle, si tu veux que les troupes se battent en masse, alors fais avancer ton armée entière ; et tout le sang qui sera versé dans cette ’lutte, tu en seras responsable dans l’autre monde. »

Il attacha un fil autour de la lettre et appela son noble fils (il avait un fils qui tenait le premier rang dans l’assemblée des grands et se nommait Rouïn au corps d’airain) ; il l’appela et lui dit :

Rends-toi auprès de Gouderz, parle-lui sagement et écoute sa réponse. »

Rouïn quitta son illustre père et se mit en route avec dix cavaliers ; il partit plein de prudence et de sérénité et courut jusqu’à l’enceinte des tentes du Pehlewan.

Quand il fut arrivé à la résidence de Gouderz, quelqu’un courut avertir le Pehlewan, qui fit appeler auprès de lui le messager, aussitôt que celui-ci eut touché l’enceinte des tentes.

Rouïn entra ; et lorsqu’il aperçut Gouderz, il croisa les mains sur la poitrine et inclina profondément la tète.

Le Sipehdar se leva et le serra avec empressement dans ses bras ; il lui demanda des nouvelles de Piran et de son armée, des héros, du roi et de son pays.

Rouïn tira en toute hâte la lettre, la remit et s’acquitta de son message.

Un secrétaire vint, parcourut la lettre et dit à Gouderz ce qu’elle contenait.

Lorsqu’on eut lu la lettre devant Gouderz, tous les grands restèrent étonnés de ces paroles douces, de ces bons conseils et de ce traité humain que proposait le sage Piran, qui disait tant de bonnes choses dans la lettre et donnait tant de bon avis.

Gouderz dit à Roum :

Ô fils du chef de l’armée, noble jeune homme, il faut d’abord que tu reçoives de moi l’hospitalité, ensuite tu me demanderas la réponse à cette lettre. »

On dressa une nouvelle tente ; on y arrangea une salle de festin digne d’un roi, qu’on orna de brocart de Roum ; on fit venir des mets et des musiciens.

Le cœur du jeune homme était plein d’inquiétude sur la réponse que le Pehlewan lui donnerait ; et Gouderz, entouré de chanteurs et buvant du vin, prépara pendant une semaine cette réponse ; et chaque jour, à l’heure de midi, quand le soleil qui illumine le monde allait commencer à descendre, Gouderz faisait commander du vin, de la musique et une assemblée et appeler devant lui le messager.

Dernière mise à jour : 25 sept. 2021