Keï Khosrou

Réponse de Gouderz à la lettre de Piran

Cette page peut présenter des erreurs qui seront bientôt corrigées. Merci pour votre compréhension.
...

Lorsque sept jours se furent écoulés, le chef des armées de Khosrou manda, au matin du huitième jour, un secrétaire et lui ordonna d’écrire la réponse à la lettre et de planter de nouveau l’arbre de la vengeance.

Il commença par les louanges de Dieu, ensuite il répondit de point en point à Piran, disant :

J’ai lu ta lettre jusqu’à la fin ; j’ai compris tout ce que tu me mandes.

Rouïn m’a communiqué tes messages, tout ce que tu lui avais ordonné de dire ; mais je m’étonne de toi et de ta lettre si remplie de paroles douces.

Ton cœur et ta langue ne sont pas en harmonie ; ton esprit n’est pas riche de jugement.

Tu emploies toujours la douceur, tu te sers de paroles fleuries ; et quiconque n’a pas un esprit péné- fait trant doit croire que tu es un homme plein d’humanité ; mais tu es comme ces pays maudits qui, lorsque le soleil donne dessus, offrent de loin l’apparence d’un lac.

Et pourtant ce n’est pas le temps de la ruse et de la tromperie, quand il s’agit de prendre les massues, les lances et les lacets.

Je ne veux entre toi et moi que la vengeance et la bataille et ce n’est pas le moment de te répondre, ni l’heure de te parler.

Réfléchis sur la manière dont tourne le ciel et reconnais qu’il ne s’agit pas de tromper, mais de faire des traités, de parler d’humanité, de savoir à qui le Maître du monde donnera de la force, à qui il accordera la fortune victorieuse et sur qui luira le soleil.

Écoute cependant ma réponse et souviens-toi que c’est la raison qui guide vers le bonheur.

D’abord tu as parlé de tes sentiments d’humanité, de Dieu et des revers de la fortune ; tu as dit que tu ne désires pas les combats, qu’ils attristent et désolent ton âme.

Mais ta langue n’était pas d’accord avec ton cœur au moment où ces paroles ont passé par tes lèvres ; car si la justice résidait en toi, tu n’aurais pas été le premier à répandre du sang.

Lorsque Guiv, accompagné de sages et vaillants héros iraniens, s’est rendu auprès de toi avant toute hostilité, il t’a parlé de tous les points en litige, de tous les grands et de et tous les pays que nous réclamons ; lui et les grands a l’esprit lucide t’ont donné des conseils, des avis et

Mi de bonnes paroles.

Mais tu n’en as pas moins préparé ton armée pour la guerre, tu as couru d’une province à l’autre, tu as commencé la lutte, tu as tiré ton armée de ses quartiers.

La raison te vient trop tard ; si tu l’avais plus tôt suivie, tu aurais à la fin trouvé le repos.

Mais ta nature est mauvaise, ta tendance te porte au mal ; comment pourraient-elles te conduire sur la route de la raison ?

Le mal est l’essence même de ta race et ces sortes de natures ne se complaisent que dans le mal.

Tu sais ce que le fortuné Iredj eut à souffrir de Tour à cause du trône et de la couronne ; c’est par Tour et par Selm que le mal est entré dans le monde, que l’injustice et les vengeances s’y sont répandues.

Feridoun, qui dans son angoisse ouvrait les lèvres jour et nuit pour les maudire, ne trouvait de consolation pour son cœur et de soutien que dans l’espoir d’être secouru de Dieu, le dispensateur de la justice et de tous les biens.

Afrasiab a hérité la mauvaise nature de ces rois insensés ; il a commencé de nouvelles guerres contre Minoutchehr, Newder et Keïkobad ; il a accumulé des malheurs sur Keï Kaous et a dévasté tous les pays cultivés de l’Iran.

Ensuite, il a allumé de nouvelles haines par le meurtre de Siawusch et tu ne pensais pas à la justice quand cet innocent a livré sa douce vie.

Que de grands de l’Iran, maîtres de couronnes et de trônes, ont péri dans ces guerres !

Puis tu demandes comment il se peut qu’un vieillard comme moi se ceigne pour répandre tant de sang.

Sache, ô homme expérimenté et rusé, qui as éprouvé la bonne et la mauvaise fortune, que Dieu m’a accordé une longue vie et une destinée qui me permet de porter haut la tête, afin qu’au jour du combat je fasse lever jusqu’au soleil la poussière du pays de Touran ; et ma seule inquiétude est que Dieu ne sépare mon âme de mon corps avant que j’aie accompli cette vengeance et foulé aux pieds votre pays.

Troisièmement tu me reproches de n’avoir pas devant les yeux la crainte de Dieu et de ne pas réfléchir que dans ma folie je verse tant de sang qu’à la fin il m’arrivera malheur à moi-même.

Mais si je me laissais maintenant persuader partes douces paroles de m’en retourner sans combattre, alors Dieu, au jour du jugement, me demanderait compte de ce qui se serait passé.

Car, dirait-il, je t’ai donné le commandement, de la force, de la prudence, des trésors et de la bravoure ; pourquoi donc ne t’es-tu pas ceint à la tête des Iraniens pour venger Siawusch ?

Dieu, le dispensateur de la justice, m’interrogerait sur la mort de mes soixante et dix nobles fils ; et que lui répondrais-je ?

Saurais-je lui dire pourquoi j’ai renoncé à ma vengeance ?

Quatrièmement tu parles de la vengeance due à Siawusch, ô vieux chef d’armée.

Tu dis qu’il ne faut pas priver les vivants de la vie pour un homme qui est devenu poussière.

Mais quand je me rappelle vos actes atroces, tous les tourments que vous avez infligés à nos cœurs par les crimes que vous avez commis dans le pays d’Iran, toutes les angoisses que vous avez fait éprouver à nos rois, tous les traités que vous avez violés, toutes les guerres que vous avez commencées et le mal dont : vous avez toujours été les instigateurs, quand je me rappelle cela, comment ferais-je la paix avec toi qui as toujours regardé comme bonnes les actions mauvaises ?

Cinquièmement tu me proposes de faire un traité de donner en otages les grands du Touron, d’envoyer à Khosrou des trésors et de fermer la voie des fatigues de la guerre.

Mais sache, ô chef de l’armée du Touron, quels sont les ordres du roi.

Il m’a commandé de faire la guerre, de verser du sang pour venger Siawusch ; et si je désobéissais à Khosrou le maître du monde, j’aurais à rougir devant lui.

Au reste, si tu espères que Khosrou se laisserait fléchir par tes paroles, alors envoie-lui en toute hâte ces otages et ces trésors quels qu’ils soient, sous la conduite de Lehhak et de Rouïn, les serviteurs d’Afrasiab ; la route de l’Iran est ouverte.

Sixièmement tu proposes de rendre à Khosrou toutes les provinces qui font partie de l’Iran, des pays cultivés et florissants et de rappeler auprès de toi toutes les troupes les crawl.

Mais Dieu m’a mis dans une position où je n’ai pas besoin d’accepter cela ; et si tu ne le sais pas, je vais te dévoiler ce secret.

Du côté de l’occident et jusqu’à la frontière des Khazars, tout le pays est occupé par Lohrasp.

Devers le midi, jusqu’au Sind, le monde ressemble à une brillante épée de Roum et le vaillant Rustem, avec son glaive tranchant, a allumé dans ces pays la fournaise de la destruction ; il a envoyé au roi le chef des Indiens avec un drapeau noir.

Dans le Dehistan, le Kharis. »

Et les pays d’alentour, les Turcs avaient levé la tête ; mais maintenant ils les abandonnent, eux qui s’étaient préparés à faire des excursions de tous côtés ; Aschkesch a fait tomber sur Schideh une grêle qui l’a abattu et presque tué et il a envoyé à Khosrou des prisonniers et du butin de toute espèce.

Et enfin de ce côté-ci nous nous combattons toi et moi, sur cette frontière où s’acquièrent la gloire et le renom.

Tu as déjà plusieurs fois plié devant moi et devant ces grands et vaillants lions.

Si tu consens à te battre avec moi, je te débarrasserai de ces discussions et à l’aide de la force que Dieu m’a donnée et par ordre du roi, j’inonderai de sang ce champ de bataille.

Réfléchis, ô illustre Pehlewan, sur la manière dont le soleil et la lune ont tourné ; la chaîne du son est descendue du ciel et la tête de la fortune des Turcs est placée sous les ciseaux.

Songe à la rétribution que le Créateur réserve à tes crimes ; car le sort a retiré le pan de sa robe de dessus les malheurs qui te menacent et déjà apparaît le mal qui doit punir le mal que tu as fait.

Réfléchis bien, ouvre l’oreille, écoute les paroles d’un homme de sens et sache qu’une armée innombrable comme la mienne et composée de cent mille cavaliers prêts à frapper de l’épée, tous avides de gloire et de vengeance, ne se laisse pas écarter de ce champ de bataille par une ruse.

J’arrive au septième point.

Tu attestes avec serrement ta loyauté ; mais je ne veux pas parler de traités avec toi, car ton esprit ne cherche pas la voie de la raison ; et chaque fois que tu as fait un traité, tu as toujours fini par démolir l’édifice de la rriionne foi.

La vie de Siawusch a été livrée au vent, parce qu’il a cru à ton serment : que personne désormais ne se fie à ta parole.

Tu ne l’as pas secouru au jour fatal, bien qu’il t’ait souvent imploré dans sa détresse.

En huitième lieu, tu dis que tu l’emportes sur moi par ton trône et la couronne, par la bravoure et ta fortune, par ton armée et tes trésors, mais que ton cœur souffre de pitié.

Je crois que tu m’as suffisamment éprouvé jusqu’ici dans les combats et tu sais si tu m’as trouvé dépourvu de bravoure au jour de la bataille. [hagarde-0i donc de la tête aux pieds ; car il se pourrait que mon trésor et mon trône, que ma couronne et mon courage me missent à ta hauteur.

En dernier lieu tu demandes que je choisisse quelques braves pour champions et tu promets d’amener de ton côté quelques cavaliers turcs prêts à verser du sang, parce que la pitié profonde que tu éprouves pour ton armée te fait désirer de mettre des bornes aux violences et aux vengeances ; et tu m’exhortes à agir avec humanité et à montrer les qualités cachées de mon cœur et de ma raison.

Mais le roi maître du monde serait mécontent de, moi, si je divisais ainsi l’armée.

Ensuite tu me proposes de choisir un seul brave pour qu’il se mesure avec toi sur le champ de bataille ; mais j’ai en face de moi toute une armée chargée de crimes et remplissant de terreur le peuple de l’Iran, de sorte que le roi ne sera pas d’avis que j’accède à cette proposition.

Ce sont nos armées qui, semblables à des montagnes, doivent d’abord se battre en masse ; il faut que nous formions nos deux lignes de bataille dans l’espace qui les sépare, pour voir si la victoire se déclarera pour l’un de nous.

Sinon nous amènerons, chacun de notre côté, quelques braves et choisirons un champ de bataille pour eux.

Et tu aurais beau reculer devant l’accomplissement de tes paroles, moi je ne renoncerai jamais à ce que j’ai dit.

Si ton armée ne te parait pas suffisante pour ce combat, demande un renfort à ton roi.

Calcule profondément les chances de cette bataille et attends que tes fils, tes alliés et tes parents blessés, qui font maintenant défaut à ton armée, soient rétablis par les médecins : car ton intérêt est dans ce moment de gagner du temps.

Si tu me demandes du temps et un délai, je te l’accorde ; sinon pré : pare-toi au combat.

Je te dis tout cela afin que tu ne cherches pas un nouveau prétexte pour éluder la bataille.

Tu nous as attaqués inopinément, tu nous a tendu un piège et dressé une embuscade, tu ne nous as accordé aucun délai ; mais il n’importe que je me venge dans cent ans ou dans ce moment même : seulement n’espère pas que je m’en retourne sans avoir livré ce combat, pour lequel la nuit et le jour, le temps opportun et inopportun me sont indifférents. »

La réponse à la lettre de Piran étant achevée, le messager accourut rapide comme une Péri, la ceinture serrée, assis sur son coursier et entouré de son escorte de cavaliers.

Le vaillant Rouïn mit pied à terre et amena tous les braves qui l’accompagnaient devant le chef de l’armée.

Gouderz fit ordonner-à tous les Mobeds, à tous les hommes illustres par leur sagesse de se rendre auprès de lui en toute hâte et ils arrivèrent pleins de prudence et de sérénité.

Alors le Pehlewan fit lire sa réponse devant les héros.

Les grands entendirent lire par le fortuné scribe cette lettre qui gagnait tous les esprits ; ils reconnurent que l’intelligence de Piran était vaincue et traitèrent avec mépris les avis qu’il leur avait donnés.

Ils célébrèrent les louanges de Gouderz, ils l’appelèrent le Pehlewan du monde.

Ensuite, il apposa son sceau sur la lettre et la remit à Rouïn fils de Piran fils de Wiseh.

Au moment où les Touraniens se levèrent pour partir, Gouderz fit préparer pour eux des présents ; il donna à Rouïn des chevaux arabes à la bride d’or, des diadèmes et des épées au fourreau d’or et à ses compagnons de l’argent et de l’or et des casques et des ceintures à ceux qui pouvaient y prétendre.

Rouïn partit de la cour du Pehlewan avec son escorte et se dirigea vers l’armée du Touran.

Arrivé auprès de Piran, il se présenta respectueusement devant son père et inclina la tête devant son trône et le sage Piran le serra dans ses bras.

Rouïn s’acquitta du message de Gouderz et raconta tout ce qu’il avait vu dans le camp iranien.

Ensuite un secrétaire lut la lettre et le cœur du Pehlewan devint noir comme la poix ; son âme se remplit de tristesse et son esprit d’anxiété ; il sentit que sa perte approchait.

Mais il se résolut d’avoir patience et de se taire et ne fit pas connaître aux siens la lettre de Gouderz.

Il dit à son armée :

Le cœur de Gouderz ne suit pas la bonne voie et le désir de venger la mort de ses soixante et dix fils ne lui laisse pas un

HO instant de repos.

Puis donc qu’il veut faire revivre les anciennes vengeances, pourquoi ne me ceindrais-je pas aussi pour venger mon frère ?

Pourquoi laisserais-je impunie la mort des neuf cents braves dont les têtes ont été tranchées dans le dernier combat ?

Jamais cavalier aussi brave que Houman ne prendra les armes dans le pays des Turcs et Nestihen, ce cyprès qui répandait au loin son ombre, a disparu subitement de la prairie.

Il faut donc nous ceindre et ne pas laisser aux Iraniens une parcelle de terre ; et à l’aide de la force que Dieu m’a donnée et de mon épée tranchante, je détruirai ce peuple. »

Il fit choisir de tous côtés parmi ses troupeaux des chevaux propres à la guerre ; il fit de chaque fantassin un cavalier et donna à chaque homme deux chevaux de bataille ; ensuite il ouvrit son antique trésor et se mit à distribuer de l’or.

Dernière mise à jour : 19 déc. 2021