Keï Khosrou

Keï Khosrou rappelle Thous

...

Le messager de Gouderz apprit à Khosrou que les jours de bonheur s’étaient obscurcis.

Le vaillant roi, lorsqu’il eut entendu ces paroles, bouillonna de rage et la douleur fit palpiter son cœur ; le sort de son frère le désolait et les malheurs de son armée augmentaient sa tristesse.

Sa langue prononça des malédictions contre Thous pendant toute la nuit et jusqu’à ce que le coq se fit entendre ; alors il appela un scribe intelligent et son cœur gros de douleur s’épancha.

Il fit écrire à Feribourz fils de Kaous et aux grands de l’armée une lettre pleine de larmes et de deuil, pleine de chagrin et de colère.

Sa lettre commençait par les louanges de Dieu le créateur de l’univers :

Au nom du maître du soleil et de la lune, qui donne la force dans le malheur et dans le bonheur, de qui vient la victoire et la défaite, de qui dépend en toute circonstance l’accomplissement de nos désirs.

Il a créé le monde, la terre et le temps, il a créé le pied de la fourmi et Ia montagne immense et c’est lui qui donne l’intelligence, l’âme et un corps vigoureux, le pouvoir, le diadème et le puissant trône ;

Personne ne peut se soustraire à sa puissance ;

Il accorde à l’un ses grâces et ses honneurs ;

Il accable l’autre d’adversités, de besoins, de soucis, de douleurs et de peines.

Depuis le soleil brillant jusqu’à la terre sombre, tout est rempli des preuves de la justice de Dieu le tout saint.

Thous est parti avec le drapeau de Kaweh et accompagné de quarante grands aux bottines d’or.

Je l’ai envoyé avec une armée dans le Touran et c’est mon frère qui a été la première victime de sa vengeance ;

Mon frère, qui était un prince et un chef d’armée tel qu’il n’y en a jamais eu dans l’Iran.

Hélas !

Mon jeune et bienaimé Firoud, qui était le chef des grands et le soutien des braves !

Le sort de mon père m’avait rempli des plus cuisantes douleurs, pendant longtemps j’ai versé sur lui des larmes amères ; et maintenant j’ai à pleurer mon frère et je ne sais plus qui est mon ami ou mon ennemi.

J’avais dit à Thous :

Ne prends pas le chemin de Djerem, n’approche pas de Kelat et du mont Siped, car Firoud y demeure avec sa mère et c’est un héros illustre et d’un noble naturel.

Ne sachant pas quelle est la destination de cette armée et pourquoi elle vient de l’Iran par sa route, il vous combattrait sans doute dans ses montagnes et beaucoup de grands y périraient.

Hélas !

Ce vaillant fils de roi que le vil Thous a livré au vent !

Si Thous avait plus tôt commandé en chef une armée, l’étoile de Kaous aurait été éclipsée.

Il sommeille dans la bataille et n’est prompt que pour s’asseoir au banquet.

Que sert d’avoir de la bravoure quand on est commandé par lui ?

Maudite soit cette âme ténébreuse !

Quand tu auras lu cette lettre, renonce à la nourriture, au sommeil et au repos, renvoie ici Thous à l’instant, ne me désobéis pas et ne délibère pas ;

Prends le commandement de l’armée, porte les bottines d’or, marche devant le drapeau de Kaweh, consulte en toutes choses le noble Gouderz et l’assemblée des grands, ne te hâte pas de livrer bataille, abstiens-toi du vin, fuis le sommeil ;

Ne te laisse pas entraîner à un combat par ta colère avant que tes blessés soient guéris ;

Confie dans la bataille ton avant-garde à Guiv, car c’est un noble et vaillant cavalier et ses mains sont des griffes de léopard ;

Réunis de tous côtés les moyens de continuer la guerre et garde-toi de penser aux festins !

On apposa sur la lettre le sceau du roi et Khosrou dit au messager :

Pars, ne te repose ni jour ni nuit et prends à chaque station un nouveau cheval.

Le messager parcourut la route comme on le lui avait ordonné ; il arriva au camp de l’illustre Pehlewan, s’approcha de Feribourz et lui remit la lettre, qui remplit de joie les grands.

Feribourz appela auprès de lui Thous et les héros et leur parla longuement de ce qui s’était passé.

Lorsqu’il eut lu la lettre du roi à Guiv et à Gouderz, aux cavaliers et aux braves de cette frontière, un arbre nouveau commença à porter du fruit dans le monde.

Les grands et les lions de l’Iran célébrèrent les louanges du roi ;

Thous fit apporter le noble drapeau, les timbales et les bottines d’or et amener les éléphants ; il remit tout à Feribourz et lui dit :

Ces honneurs sont dignes de toi et tu en es digne ;

Puisse ta fortune rester toujours victorieuse !

Puisse ta vie être un Nourouz continuel !

Thous partit avec les cavaliers ardents et vaillants au combat, qui appartenaient à la famille de Newder ; il ne s’arrêta pas sur la route et s’en retourna du théâtre de la guerre auprès du roi ; il baisa la terre devant Khosrou, qui ne daigna pas jeter un regard sur lui et qui à la fin ouvrit la bouche pour l’injurier et l’humilia devant toute la cour, en disant :

Ô méchant homme !

Puisse ton nom disparaître de la liste des grands !

N’as-tu aucune crainte de Dieu, le maître du monde, le saint ?

Ne rougis-tu pas devant les grands et ne trembles-tu pas devant eux ?

Je t’ai ordonné de ne pas aller à Djerem et tu y es allé et tu as livré mon cœur à la douleur.

Ton premier acte a été de faire éclater la haine contre moi, de tuer le fils de Siawusch, mon noble frère, le vaillant Firoud, qui n’avait pas son égal dans le monde ;

Tu as tué un homme tel que, lorsque nous livrons bataille, notre fortune ne demanderait qu’une armée comme lui ;

Ensuite tu es allé dans le pays où il fallait combattre, mais tu n’as songé qu’au repos et aux festins.

Il n’y a pas de place pour toi dans cette ville et une maison de fous serait un séjour plus digne de toi ;

Tu n’as rien à faire parmi les nobles, car tu manques de sens.

L’origine que tu tires de Minoutchehr et ta barbe blanche te sauvent la vie ; car sans cela je t’aurais livré à un de tes ennemis, pour qu’il te tranche la tête.

Va, la prison sera pour toujours ta demeure et ton mauvais naturel sera ton geôlier.

Il le chassa de sa présence, le fit jeter dans les fers et arracha, par cette captivité, le germe du bonheur du cœur de Thous.

Dernière mise à jour : 7 sept. 2021