Keï Khosrou

Piran surprend les iraniens pendant la nuit

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Piran choisit dans son armée glorieuse trente mille cavaliers armés d’épées, avec lesquels il partit à minuit en défendant de battre le tambour, de sonner du clairon et de faire du bruit.

De l’endroit d’où il partit avec ses troupes il y avait encore sept farsangs entre lui et les Iraniens.

Ils atteignirent d’abord les troupeaux de chevaux qui erraient sur les plaines du Touran ;

Ils en prirent et en tuèrent un grand nombre, sans qu’il leur arrivât malheur ; ils tuèrent beaucoup de gardiens et de patres et l’étoile des Iraniens baissa.

De là ils s’avancèrent vers l’armée de l’Iran, semblables à un tourbillon de poussière noire.

Les Iraniens étaient tous ivres, assis en troupes et sans armes.

Guiv se trouvait éveillé dans sa tente, mais le Sipehdar Gouderz seul était sobre.

Le bruit des voix et des coups de hache étonna Guiv, toujours ardent au combat.

Il y avait devant ses tentes un cheval sellé et caparaçonné : il sortit pour le détacher et aller où l’on se battait ; mais le brave cavalier tomba, parce qu’il était ivre.

Il se mit en colère contre lui-même comme un léopard ; il était honteux de son ivresse et de l’état où il se trouvait et il se dit dans son trouble :

Qu’y a-t-il donc cette nuit, que mon cerveau soit étourdi du bruit de la bataille ?

Il s’avança, monta à cheval et s’élança rapidement comme le vent ; il vit le ciel obscurci par la nuit et la poussière ; à la fin il arriva aux tentes de Thous et lui dit :

Lève-toi !

Une armée est tombée sur nous et nos braves sont endormis.

De là il courut chez son père, une massue à tête de bœuf à la main, il traversa le camp avec la rapidité de la fumée, stimula ceux qui n’étaient pas ivres et gronda Bijen, en lui disant :

Est-ce le moment de se battre ou de tenir la coupe de vin ?

Cependant l’armée ennemie arrivait enveloppée d’une poussière noire et un cri immense s’éleva du champ de bataille.

Les Iraniens ivres furent stupéfaits des coups donnés et rendus ; un nuage fondait sur eux en versant une pluie de traits ; au-dessous des têtes des ivrognes étaient de moelleux coussins et au-dessus des flèches, des épées et des massues.

Aussitôt que l’aurore eut levé sa tête. dans le signe du Lion, le vaillant Guiv regarda l’armée, il vit toute la plaine couverte d’Iraniens morts, il vit la terre trempée partout de sang.

Gouderz aussi regarda autour de lui ; il vit les masses des ennemis s’accroître à chaque instant et des troupes pareilles en nombre aux fourmis et aux sauterelles couvrir comme un tapis le petit espace du camp.

Il chercha des yeux son armée et ne vit pas de braves, il ne vit pas de héros ni de lions ; les drapeaux étaient déchirés, les timbales renversées ; les joues et les yeux des Iraniens étaient noirs comme l’ébène ; ici se trouvait un père privé de son fils, là un fils privé de son père et toute cette grande armée était bouleversée.

Telle est la manière d’agir du ciel à la rotation rapide ; tantôt il vous donne le bonheur, tantôt il vous accable de soucis.

Dans leur désespoir les Iraniens tournèrent le dos et abandonnèrent leurs tentes ; on ne voyait ni timbales, ni armée rangée, ni bagage ; tout était en déroute à droite et à gauche et c’est ainsi qu’ils arrivèrent sur le bord du Kasehroud, déshonorés et en désordre.

Les cavaliers turcs poursuivirent Thous le cœur plein de vengeance, la bouche pleine de sarcasmes : tu aurais dit qu’il pleuvait des nues des coups de massue qui tombaient par derrière sur les cuirasses, les casques et les cottes de mailles ; personne ne pensait à résister et tous cherchaient un refuge dans la montagne.

Les chevaux et les hommes tombaient de fatigue, personne n’avait gardé son sangfroid.

Les Turcs étant arrivés devant la montagne, s’en retournèrent, car ils étaient épuisés par le carnage et par la longue route qu’ils avaient faite ;

Et dès que Thous eut quitté la plaine et atteint la montagne, il sentit qu’il était garanti contre leurs attaques.

Un grand nombre d’Iraniens manquaient et l’on n’entendait que des cris de douleur ; tous ceux qui survivaient étaient blessés ou captifs et c’est sur eux qu’il aurait fallu pleurer ; il n’y avait plus ni trône, ni couronne, ni tentes, ni chevaux, ni hommes valides, personne pour consoler les blessés et pour en avoir soin, personne pour aller chercher les morts.

Que de pères qui pleuraient leurs fils !

Que de blessés qui souffraient !

Telle est la manière d’agir de ce monde inconstant.

Il te cache ce qu’il va faire ; et caché lui-même à tes yeux, il te prend pour jouet et te traite avec colère et avec dédain.

Nous sommes tous livrés à des peines sans fin, nous sommes esclaves de nos désirs et plongés dans l’ignorance.

Tu es venu du vent et tu t’en retourneras dans la poussière ; mais sais-tu quelle sera jusque-là ta destinée ?

Deux tiers des Iraniens étaient morts, le reste était revenu de la bataille couvert de blessures et aucun médecin ne visitait la couche des blessés ; on ne voyait que des douleurs et des larmes de sang.

La défaite de Thous le rendait insensé et son esprit était comme privé de raison.

Gouderz, le vieux héros plein d’expérience, avait perdu ses fils et ses petits-fils, il avait tout perdu.

Les plus sages de l’armée se rendirent auprès de lui le cœur brisé et se mirent sous ses ordres.

Il plaça sur la montagne une sentinelle pour observer la route d’Anbouh, il envoya de tous cotés des rondes, dans l’espoir de découvrir un remède contre ces maux.

Ensuite, il ordonna à un grand d’entre les Iraniens de se ceindre pour aller annoncer au roi ce que Thous avait fait et lui dire quel jour néfaste était arrivé pour les Iraniens et quels malheurs avaient accablé leurs chefs.

Dernière mise à jour : 7 sept. 2021