Keï Khosrou

Combat général des deux armées

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Lorsque le soleil montra sa tête au-dessus du dos du taureau et que le chant de l’alouette s’éleva de la plaine, on entendit dans les pavillons des deux rois KEÏ Kl-à ! le son du tambour et le bruit des timbales et des trompettes.

Djehn amena trente mille héros prêts à frapper de l’épée, propres au combat ; et Khosrou, voyant ces préparatifs, ordonna à Karen, qui était toujours prêt pour la bataille, de sortir du centre de l’armée avec un corps de troupes semblable à une montagne et le vaillant Djehn en tressaillit de peur.

A l’aile droite s’avança, rapide comme la poussière, Gustehem fils de Newder, avec son étendard de combat.

Le monde devint violet sous la poussière que soulevaient les héros, la terre fut couverte d’hommes et l’air rempli d’étendards.

Pendant ce combat, ni Khosrou ni Afrasiab ne quittèrent le centre de leurs armées, mais la lutte devint telle que les héros et les braves n’en avaient jamais vu de pareille.

On tua tant de Touraniens que le champ de bataille devint une mer de sang et cela continua jusqu’à ce que le ciel se couvrît de ténèbres et que l’œil des combattants s’obscurcît.

Le vaillant Karen fut victorieux et le courageux Djehn fut battu.

Lorsque la lune s’assit sur le trône du soleil, les héros revinrent du champ de bataille ; le roi fut content des Iraniens, car ils avaient vaincu dans le combat.

Ils se préparèrent toute la nuit à une nouvelle bataille et ne se livrèrent ni au sommeil ni aux banquets.

Lorsque le soleil leva sa tête dans le signe du Cancer, le monde fut plein de préparat’y’s pour le combat, de musique guerrière et de bruit.

Les armées des deux empires formèrent leurs rangs, leurs lèvres écumèrent dans leur ardeur pour la bataille.

Khosrou s’éloigna des derrières de l’armée, accompagné d’un ami humble, mit pied à terre à quelque distance et glorifia Dieu longuement.

Il se frotta le visage contrela terre sombre, disant :

n Ô saint maître de la justice, tu sais que j’ai été opprimé et que je me suis soumis à ta volonté dans ces longs jours de malheur !

Fais expier ses crimes au méchant par le sang, tu es le guide de celui qui a souffert. »

De là il se rendit au centre de son armée en poussant des cris de guerre, l’âme remplie de douleur, le cœur plein de colère contre la race de Zadschem et plaça sur sa tête son casque fortuné ; le bruit de la multitude, le son des trompettes, le souffle des clairons et des cymbales d’airain montèrent vers le ciel.

De l’autre côté s’avança, semblable à une montagne, une armée agitée, formée en corps, une armée semblable aux flots de la mer, au centre de laquelle se trouvaient Djehn et Afrasiab.

Lorsque ces deux armées s’ébranlèrent, on aurait dit que les vallées et le désert se mouvaient, le soleil fut obscurci par la poussière et par les pointes d’acier et les plumes d’aigle des flèches qu’on lançait.

Le bruit des trompettes, la poussière soulevée par les hommes et les cris des cavaliers sur ce champ de bataille étaient tels, que le fer, les montagnes et les rochers, les crocodiles dans la mer et les léopards dans le désert en fondaient.

La terre était remplie de clameurs, le ciel était en ébullition et le son des timbales fendait les oreilles du lion féroce.

Tu aurais dit que le monde entier était un Ahriman, ou que le ciel combattait la terre.

De tous côtés on voyait des montagnes de morts des armées de l’Iran et du Touran ; tout le désert de sable n’était que sang et têtes et mains et pieds ; le cœur du monde tremblait ; tout ce pays ; foulé par les fers des chevaux, ressemblait à un drap trempé dans le sang.

Les héros d’Afrasiab arrivèrent courant comme un vaisseau sur l’eau et se dirigèrent vers les tours remplies d’archers que portaient les éléphants : c’était, devant le centre de l’armée des Iraniens, comme une fortification élevée sur le dos des éléphants et barrant le chemin.

Il tomba des tours une pluie de traits et le bruit des coups donnés et reçus se fit entendre.

Les éléphants et les cavaliers armés de lances s’avancè- rent et un grand corps de troupes sortit du centre de l’armée.

Afrasiab observa d’une distance de deux milles cette armée, ce combat, ces tours et ces éléphants ; il fit avancer ses éléphants de guerre et son armée et le monde devint obscur, la lumière du jour disparut.

Il s’écria :

n Ô illustres guerriers !

Pourquoi vous rendez-vous le combat si difficile ?

Vous restez tous en face de ces tours et de ces éléphants, pendant que l’armée des Iraniens est grande et s’értend à des milles au-delà : portez-vous à droite et à gauche et éloignez-vous du centre et des tours. »

Il ordonna à Djehn, qui avait de l’expérience dans la guerre, de partir avec les grands de l’armée, d’emmener dix mille cavaliers aguerris, armés de lances et propres au combat.

Thuwurg, le vaillant éléphant, partit de son côté avec ses héros vers l’aile gauche, semblable à un loup.

Lorsque Keï Khosrou vit cette attaque des Turcs, quand il vit que le soleil avait disparu du monde, il se tourna vers les princes de Semengan, ces lions avides de combats et leur ordonna de se porter à l’aile gauche, brillants comme le soleil dans le Bélier ; ils partirent avec dix mille cavaliers illustres, ardents pour le combat et perçant tout avec leurs lances ; ensuite le roi dit à Schemmakh, roi de Sour :

Choisis, parmi les héros de l’Iran, dix mille guerriers couverts de cottes de mailles et armés de massues à tête de bœuf ; tire l’épée dans l’espace qui sépare les armées et ne laisse personne lever la tête impunément.

Les deux armées se jetè- rent l’une sur l’autre : tu aurais dit qu’elles étaient fondues l’une dans l’autre.

On entendit de tous côtés le retentissement des coups et des torrents de sang s’écoulaient de la scène du carnage.

Lorsque la poussière s’élevait à droite et à gauche, le maître du monde demanda sa cotte de mailles de combat ; on envoya d’un autre côté les éléphants et les tours, le monde devint comme les flots du Nil ; Khosrou s’avança du centre accompagné de Rustem de Menouschan et de Khouzan, les soutiens de l’armée ; le son des trompettes et des clairons monta vers le ciel.

D’un côté de Khosrou se tenait le Sipehdar Thous ; tous les Pehlewans aux bottines d’or s’avancèrent le cœur aigri, portant ’étendard de Kaweh et formèrent l’aile gauche du roi.

À la droite du roi marchait Rustem, avide de combat, avec son frère Zewareh ; Gouderz fils de Keschwad, le guerrier expérimenté et un nombre de grands et de nobles se tinrent près de Rustem, de même que Zerasp et Menouschan, le sage conseiller.

On entendit le bruit des coups donnés et reçus sur le champ de bataille.

Personne ne verra plus un pareil combat : tout le désert de sable était couvert de blessés et de morts, d’hommes dont le jour était passé ; il y avait tant de cadavres que le pied ne trouvait pas de place pour s’y poser ; la plaine inondée de sang ressemblait au Djihoun, on ne voyait que des hommes sans tête ou la tête en bas ; les cris des cavaliers et des chevaux couvraient le son des tambours ; on aurait, dit que le cœur des montagnes se fendait et que la terre s’envolait avec les cavaliers : il y avait des têtes sans corps, des corps sans têtes ; les coups des lourdes massues résonnaient, les poignards et les épées tranchantes flamboyaient et le soleil cherchait le chemin de la fuite ; tu aurais dit qu’un nuage noir était arrivé et versait une pluie de sang sur le champ de bataille.

Khirindjas fut tué, à l’aile gauche, de la main de Feribourz fils de Kaous ; et Kerila, qui à lui seul valait cent éléphants, tomba à l’aile droite sous les coups de Minoutchehr.

Un ouragan s’éleva à l’heure de midi et un nuage couvrit la face du soleil qui éclaire le monde, la terre s’obscurcit et les yeux se troublèrent dans les ténèbres.

À l’heure où le soleil baissait, le cœur du roi des Turcs bondit d’angoisse en voyant ce tourbillon de cavaliers de tous les pays, de toutes les frontières, de tous les royaumes, couverts de cuirasses de toutes formes, portant des drapeaux de toutes couleurs, qui diapraient le monde entier de rouge, de jaune et de violet.

Guersiwez, qui commandait la réserve du roi, voyant ce qui se passait, amena toutes ses troupes dans la mêlée ; il envoya à droite des héros illustres unis de cœur et de corps et déploya de même, vers toute l’aile gau- che, des troupes pour soutenir la lutte ; c’étaient quarante mille cavaliers vaillants, tous choisis pour le combat.

En arrivant des derrières de l’armée, Guersiwez accourut auprès de son frère, qui, à sa vue, sentit renaître son courage et fit avancer ses troupes.

Alors on entendit le bruit des coups donnés et rendus et la face du ciel fut voilée par les flèches.

Lorsque le soleil disparut et que le jour pâlit à l’aspect de la nuit, Guersiwez, le rusé Pehlewan, accourut auprès de son frère et lui dit :

Qui de nos braves voudra maintenant livrer combat ?

La terre

est couverte de sang, le ciel est rempli dépoussière.

Rappelle ton armée, ne fais plus d’effort, puisque la nuit est venue ; dans un instant tu entendras le cri de détresse des Turcs, tu te trouveras au milieu de la mêlée,ton armée sera en fuite ; n’expose pas ainsi ta personne»

Mais le cœur d’Afrasiab bouillonnait de colère ; dans son emportement il n’avait pas d’oreilles pour ces paroles :

il lança son cheval au-devant de l’armée et s’avança rapidement, suivi du drapeau noir.

Il tua quelquesuns des plus renommés parmi les Iraniens et Khosrou, qui s’en aperçut, s’élança à leur secours.

Les deux rois des deux pays s’approchèrent remplis de haine et accompagnés de cavaliers ordinaires.

Mais Guersiwev et Djehn ne voulurent pas qu’Afrasiab se battit avec Khosrou ; ils saisirent la bride de son cheval, la tournèrent et coururent avec le roi vers le désert de sable d’Amouï. Lorsqu’il fut parti, Ustukila s’élança rapidement, comme la poussière, pour combattre Khosrou.

Il était accompagné du roi lla, qui ressemblait à un vaillant crocodile et de Burzouïla, qui portait haut la tête dans la bataille.

C’étaient trois cavaliers touraniens, des hommes violents et renommés.

Le roi les aperçut ; il lança son cheval du milieu de l’armée, s’avança comme une montagne, frappa le héros Ustukila avec la lance, le souleva du des de son cheval et le jeta sur le sol.

Le roi [la courut sur le front de li

L’armée et donna un coup de lance sur la ceinture du roi ; mais la lance ne put entamer la cuirasse et le cœur serein de Khosrou ne ressentit aucune crainte.

Le roi, voyant le courage et la force d’lla, tira soudain son épée tranchante, le frappa au milieu du corps, le coupa en deux et remplit de peur l’âme des grands.

Burzouïla, voyant ce coup et l’ardeur, la force et la puissance du roi, s’enfuit dans les ténèbres ; tu aurais dit que sa peau se fendait de terreur sur son corps.

Quand les Turcs virent la valeur victorieuse de Khosrou, aucun de leurs braves ne resta sur le champ de bataille et ce fut comme un arrêt de mort pour Afrasiab d’être forcé de montrer le dos à Khosrou.

Quand il s’aperçut de la fuite des cavaliers turcs, tu aurais dit que ses jours étaient finis et pendant qu’ils abandonnèrent honteusement le champ de bataille, il fit crier à Khosrou :

Ton courage de lion vient des ténèbres et nous ne nous retirons que parce que c’est un combat de nuit.

Aujourd’hui le venta pour une fois souillé pour toi et t’a comblé de bonheur ; mais regarde-nous demain, quand le jour brillera, regarde alors notre drapeau qui remplit de joie nos âmes ; alors nous convertirons la surface de l’Iran en une mer de sang, nous changerons le soleil en pléiades. »

C’est ainsi que les deux rois des deux pays se retirèrent dans leur camp, prêts à recommencer le combat.

Dernière mise à jour : 19 déc. 2021