Keï Kaous

Siawusch déclare ses dernières volontés à Ferenguis

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Siawusch lui dit :

Le rêve que j’ai eu s’accomplit et ma gloire est ternie.

Ma vie n’est pas loin de sa fin et la douleur du jour amer s’approche.

Quand même le toit de mon palais se serait élevé jusqu’à Saturne, il n’en faudrait pas moins boire le poison de la mort.

Quand même ma vie aurait duré douze cents ans, je n’aurais à la fin pour demeure que la terre noire.

L’un trouve son tombeau dans la gueule du lion ; un autre est dévoré parle vautour, un troisième par l’aigle royal ; mais personne, quelle que soit sa science, ne peut convertir les ténèbres en lumière.

Tu es maintenant enceinte de cinq mois et tu mettras au monde un enfant illustre ; le noble arbre de ton corps portera du fruit et donnera un roi au monde.

Appelle cet enfant, qui portera haut la tête, du nom de Keï Khosrou, fais-en ta consolation dans tes soucis.

Bien ne peut échapper au pouvoir de Dieu le tout saint, depuis le soleil brillant jusqu’à la terre sombre, depuis l’aile du moucheron jusqu’au pied du terrible éléphant, depuis la source d’eau jusqu’aux flots bleus de la mer.

La terre du Touran cachera mes restes et nul ne dira que c’est dans l’Iran qu’ils devraient reposer.

Tels sont les mouvements de la voûte du ciel à la rotation rapide et l’on ne verra jamais ce vieux monde changer d’allure.

À partir de ce moment ma fortune est éclipsée par la volonté d’Afrasiab ; on coupera cette tête innocente et le sang de mon cœur en formera le diadème, on ne me donnera ni une bière, ni un tombeau, ni un linceul et personne parmi cette foule ne pleurera sur moi ; je reposerai sous la terre comme un étranger, la tête séparée du corps par l’épée.

Les gardes du roi te jetteront ignominieusement sur la route, la tête nue et le corps nu, mais le Sipehdar Piran viendra à la porte du palais et demandera ta grâce à ton père ; il demandera la vie pour toi, qui n’as jamais fait de mal ; il t’emmènera dans son palais l’âme accablée de tristesse et c’est chez ce vieillard rempli de vertus que tu mettras au monde l’illustre Keï Khosrou.

Plus tard il viendra de l’Iran un sauveur qui se mettra en route par l’ordre de Dieu et t’emmènera avec ton fils inopinément et en secret du côté du Djihoun ; on placera ton fils sur le trône de la royauté et les oiseaux et les poissons lui obéiront.

Il amènera de l’Iran une armée nombreuse pour me venger et le monde entier sera rempli de bruit.

C’est ainsi que tournera le ciel, qui ne s’attache à personne avec tendresse.

Mainte armée, désirant me venger, revêtira ses cuirasses en mon honneur, la terre retentira des cris des hommes et Keï Khosrou ébranlera le monde.

Le Raksch de Rustem foulera la terre sous ses pieds et ne comptera pour rien les Touraniens : et tu ne verras depuis ce jour, jusqu’au jour de la résurrection, que des massues et des épées tranchantes employées à me venger. »

Ayant prononcé ces paroles, le noble Siawusch embrassa Ferenguis, prit congé d’elle et lui dit :

Ô ma belle compagne !

Je vais à la mort.

N’oublie jamais les paroles que j’ai prononcées et renonce dorénavant à la vie molle et au trône. »

Ensuite, il poussa des cris d’angoisse et sortit du palais le cœur rempli de tristesse, les joues couvertes de pâleur.

Ô monde !

Je ne sais pourquoi tu élèves les hommes ; tu les fais grandir et ensuite tu en fais ta prote.

Ferenguis se déchira le visage et s’arracha les cheveux, elle laissa couler deux torrents de larmes sur ses joues ; et lorsque Siawusch prononça ces paroles douloureuses, elle se suspendit à son cou en poussant des cris.

Siawusch, les joues inondées du sang de son cœur et de ses yeux, alla à l’écurie de ses chevaux arabes ; il en amena Behzad son cheval noir, qui, au jour de la bataille, égalait le vent en vitesse.

Il pressa en soupirant la tête du cheval contre sa poitrine, il le débarrassa de la bride et des rênes et lui parla tristement et tout bas à l’oreille, lui disant :

Sois prudent et ne t’attache à personne.

Quand Keï Khosrou viendra pour me venger, alors il faudra te laisser mettre la bride.

Renonce pour toujours à l’écurie, car tu es destiné à porter Keï Khosrou au jour de la vengeance.

Sers-lui alors de monture, foule la terre et délivre le monde des ennemis de mon fils en les frappant de tes sabots. »

Ensuite, il coupa les jarrets aux autres chevaux, il brûlait de colère comme la flamme qui dévore les roseaux.

Tout ce qu’il avait de brocart, d’or, de perles et de pierreries, de couronnes, d’épées, de casques et de ceintures, enfin tous les trésors qu’il avait accumulés, il les détruisit et dévasta par le feu son palais et son jardin.

Dernière mise à jour : 11 sept. 2021