Keï Kaous

Siawusch tombe entre les mains d'Afrasiab

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Après cela il se prépara au départ ; il était stupéfié de sa mauvaise fortune.

Il monta sur un cheval frais ; ses joues étaient rougies par ses larmes de sang comme la fleur de la coloquinte.

Il ordonna aux Iraniens de prendre la route qui conduisait dans l’Iran ; mais lorsqu’il eut parcouru un farsang et demi de chemin, il rencontra le roi du Touran.

Il vit des troupes armées d’épées, de massues et de cuirasses et lui-même avait boutonné sa cotte de mailles.

Il dit en lui-même :

Guersiwez cette fois a dit la vérité et il ne faut pas nier sa droiture en ce poian Siawusch tremblait pour sa vie, mais il ne voulut pas se cacher ; il resta donc jusqu’à ce que l’armée du Touran s’approchât et s’arrêtât devant lui.

Il se tint immobile à la même place, espérant encore détruire l’effet des calomnies de ses ennemis.

Les deux partis se regardèrent, jamais avant ce temps, ils n’avaient senti de haine l’un pour l’autre.

Les Iraniens formèrent leurs rangs ; ils se préparèrent à verser du sang, ils se mirent tous à blâmer Siawusch, car ils ne croyaient pas que ce fût le temps d’attendre et de tarder ; il s’éleva parmi eux un bruit confus : Ils vont nous tuer, mais il ne faut pas que nous soyons jetés seuls dans la poussière.

Attends que les Iraniens leur aient fait sentir leur bravoure et ne compte pas cette affaire pour rien. »

Siawusch leur dit :

Vous avez tort ; ce n’est pas ici l’occasion ni le lieu de combattre.

Je déshonorerais aujourd’hui ma naissance, si j’offrais au roi le combat au lieu d’un présent.

Quand le ciel qui tourne veut malgré mon innocence me faire périr par la main des méchants, ce jour-là ma bravoure ne me sert à rien, car on ne peut aller contre la volonté de Dieu.

Un Sage plein de prudence et de raison a dit :

N’essaye pas de surmonter à force de bravoure ta mauvaise étoile. »

Ensuite, il dit à Afrasiab :

Ô vaillant roi, maître du trône et de la gloire !

Pourquoi es-tu venu avec une armée pour m’attaquer ?

Pourquoi veux-tu me tuer, moi qui suis innocent ?

Par toi la haine s’allumera entre les deux peuples et le monde et le siècle se rempliront de malédictions. »

L’insensé Guersiwez lui répondit :

Ces paroles sont inconvenantes dans ta bouche.

Si tu es venu si innocemment, pourquoi te présentes-tu devant le roi en cotte de mailles ?

Ce n’est pas ainsi qu’on va au devant de lui et l’arc et les cuirasses ne sont pas le présent qu’on offre au roi. »

Siawusch reconnut alors que tout cela provenait de ce méchant et que la colère du roi était son œuvre et aussitôt qu’il eut entendu ces paroles, il s’écria :

Ô misérable ! Ô homme haineux !

Tu finiras par être puni de ce que tu as fait, tu mangeras le fruit de la semence que tu as semée.

Des milliers de têtes innocentes tomberont à cause de tes calomnies ; ce sont les paroles qui m’ont fait dévier du droit chemin, c’est toi qui as fait naître la colère du roi. »

Ensuite, il se tourna vers Afrasiab, disant :

Ô roi !

Ne laisse pas, dans ta passion, allumer en ton sein une flamme qui le dévorerait.

Ce n’est pas un jeu de verser mon sang et d’attaquer des hommes innocents.

Ne jette pas au vent le pays de Touran et ta vie à cause des paroles de Guersiwez, issu d’une race méchante. »

Guersiwez le traître regardait le roi pendant que Siawusch parlait, puis il dit avec colère :

Ô roi !

Qu’est-ce ?

Pourquoi parles-tu à un ennemi ?

Pourquoi l’écoutes-tu ? »

Afrasiab approuva les paroles de Guersiwez et dans ce montent le puissant soleil se leva.

Le roi ordonna à son armée de tirer l’épée tranchante et de pousser des cris qui fissent trembler la terre ; Siawusch, fidèle au serment qu’il avait fait, ne porta pas la main à l’épée ni à la lance et ne donna à aucun de ses amis l’ordre d’avancer au combat ; mais le farouche Afrasiab aux mauvais desseins assouvit sa rage contre le roi de l’Iran, en s’écriant :

Livrez-les tous au tranchant de l’épée, étendez-les dans leur sang sur ce champ de carnage. »

Les Iraniens étaient au nombre de milles et tous guerriers illustres ; ils furent tous frappés, blessés et exterminés : c’est ainsi que se termina leur vie.

Jusque-là aucun des Turcs n’avait osé s’approcher de Siawusch, aucun n’avait osé l’attaquer sur le champ de bataille ; mais son sort était décidé et lorsque les braves eurent tous succombé jusqu’au dernier, les Turcs l’assaillirent en masse et lancèrent cinquante ou soixante traits.

Le roi fut blessé par des flèches et des lances et tomba du haut de son cheval noir.

Il tomba sur la terre noire comme un homme ivre et Gueroui Zereh lui lia les mains ; on lui mit au cou une cangue, on lui lia les mains derrière le dos en les serrant fortement.

Le sang coulait des joues de rose et des yeux de ce jeune prince, qui n’avait jamais connu le bonheur.

Les gardes du roi, accoutumés aux meurtres, le traînèrent à pied et précipitamment ; ils se dirigèrent vers Siawuschguird, précédés, suivis et entourés de tous côtés par la foule.

Le roi du Touran leur dit :

Emmenez-le d’ici et loin de la route, tranchez-lui la tête avec l’épée dans un lieu stérile où jamais plante ne poussera.

Répandez son sang sur ce terrain embrasé, faites-le promptement et n’ayez pas peur. »

Toute l’armée répondit à Afrasiab :

Ô roi !

Quel mal as-tu vu en lui ?

Ne peux-tu nous dire que !

Crime il a commis envers toi, pour que tu veuilles tremper tes mains dans son sang ?

Pourquoi tuerais-tu quelqu’un sur qui la couronne et le trône d’ivoire pleureraient amèrement ?

Ne plante pas, au jour de la prospérité, un arbre des fruits duquel le sort se servira pour t’empoisonner. »

Mais le méchant Guersiwez appuya dans sa démence les meurtriers, parce qu’il voulait verser le sang de Siawusch, à cause de la haine qu’il avait conçue contre lui au jour de la joute.

Or il y avait un frère de Piran, plus jeune que lui et son noble compagnon ; Pilsem était le nom de ce jeune héros plein de bravoure et d’un esprit brillant.

Pilsem dit à l’illustre Afrasiab :

L’arbre que tu veux planter ne portera pour fruit que des soucis et des peines.

J’ai entendu dire à un sage que la raison ne quittait jamais : Comment un homme qui agit lentement pourrait-il jamais avoir à se repentir ?

Que celui qui est en colère se serve donc de la raison pour se guérir.

La précipitation et la méchanceté sont l’œuvre d’Ahriman et c’est d’elles que viennent le repentir de l’âme et les peines du corps.

Il n’est pas digne de toi de faire couper, dans un moment de courroux, la tête à un homme dont tu es le roi.

Tiens-le dans les fers jusqu’à ce que le temps t’ait éclairé sur son compte ; et quand le souffle de la raison aura purifié ton cœur, alors tu pourras lui faire trancher la tête.

Ne donne pas d’ordres dans ce moment et n’agis pas pendant que tu es en colère, car la colère amène à la fin le repentir.

Il ne faut pas, ô roi plein de sagesse, trancher une tête dont le casque sera remplacé un jour par une couronne.

Pourquoi trancher une tête innocente qui sera vengée par Kaous et par Rustem ?

Car le père de Siawusch est roi de l’Iran et son père nourricier est Rustem, qui l’a élevé dans la pratique de toutes les vertus.

Ce crime ne nous portera pas bonheur et ce que tu fais aujourd’hui te fera trembler un jour.

Pense à cette épée étincelante, à cette épée devant laquelle le monde s’incline.

Pense à ces héros du peuple de l’Iran qui font trembler la terre dans le combat.

Feribourz fils de Kaous, le terrible lion, que jamais personne n’a vu las de batailles, Rustem cet éléphant furieux, aux yeux duquel une armée n’est rien, Gouderz, Gourguin, Thous et Ferhad feront tous lier leurs timbales sur le dos des éléphants, se ceindront tous pour venger Siawusch et les plaines se couvriront, à cause de lui, de cavaliers armés de lances.

Ni moi, ni ceux qui me ressemblent, ni aucun des braves de cette assemblée, ne pourrons leur résister.

Demain matin Piran arrivera et le roi entendra de sa bouche les mêmes paroles que de la mienne.

Et puisque la nécessité ne t’y pousse pas, ne répands pas dans le monde la semence de la vengeance, n’ordonne pas que l’on se hâte, car le Touran deviendra un désert par les suites de ce crime. »

Le roi fut ébranlé par ces paroles, mais son frère Guersiwez resta impitoyable et lui dit :

Ô homme de sens !

Ne te laisse pas arrêter par les paroles d’un enfant.

La plaine est remplie de vautours qui dévorent les Iraniens ; de sorte que si tu crains la vengeance, tu as déjà assez à craindre.

Si Siawusch pousse un cri de guerre, tu verras le monde se remplir des massues et des épées des guerriers du Roum et de la Chine.

Le mal qu’il t’a fait n’est-il pas assez grand et dans ta folie tu écouterais encore des conseils ?

Tu as foulé aux pieds la queue du serpent et percé sa tête et maintenant tu couvrirais sa poitrine de brocart ?

Si tu lui fais grâce de la vie, je ne paraîtrai plus devant toi, j’irai me cacher dans un coin du monde pour éviter que ma tête ne tombe bientôt. »

Demour et Gueroui se présentèrent alors dans l’angoisse de la peur et s’approchèrent du roi, disant :

Ne recule pas ainsi devant la mort de Siawusch, considère qu’il n’y aurait plus pour toi de repos ; agis donc selon le conseil de Guersiwez, ton guide fidèle et détruis ton ennemi.

Tu as tendu un piégé et ton ennemi s’y est pris ; fais-le mourir sur-le-champ et ne te déshonore pas.

Tu tiens entre les mains le maître de l’Iran, brise donc le cœur de ce ceux qui ont voulu te faire du mal.

Tu as déjà détruit ses braves, juge comment leur chef doit être disposé envers toi.

Et quand même il n’aurait pas eu les premiers torts, crois-tu pouvoir laver avec de l’eau une pareille injure ?

Ce qu’il y a de mieux à faire maintenant, c’est de ne pas permettre à Siawusch de vivre, soit en face des hommes, soit caché dans un coin du monde. »

Le roi leur répondit :

Je ne l’ai pas vu moi-même commettre de crime, mais d’après les paroles des astrologues il finira par nous accabler de maux ; et pourtant si dans ma haine je verse son sang, il s’élèvera dans le pays de Touran une immense poussière qui obscurcira le soleil et ce jour-là les sages seront confondus.

Le malheur qui m’était prédit approche du Touran et mes chagrins, mes soucis et mes peines arrivent.

Néanmoins, il vaut encore mieux le tuer que de le laisser libre, quoiqu’il m’en coûte de le mettre à mort. »

Ni le sage ni le méchant ne connaissent le secret du ciel qui tourne.

Dernière mise à jour : 25 sept. 2021