Keï Kaous

Rustem va chez le roi du Mazenderan avec un message

...

Lorsque le roi eut apposé son sceau à la lettre, Rustem, qui ambitionnait la conquête du monde, partit après avoir suspendu à la selle sa massue pesante.

Quand il fut près de la ville de Mazenderan, le roi eut nouvelle que Keï-Kaous lui envoyait un nouveau messager avec une lettre, un messager qui ressemblait à un lion indomptable, qui avait suspendu à l’arçon de la selle un lacet roulé soixante fois et qui était assis sur un cheval rapide et si grand qu’on aurait dit que c’était un éléphant de guerre.

Quand le roi du Mazenderan eut reçu cette nouvelle, il choisit quelques-uns d’entre ses grands et leur ordonna de se réunir et d’aller à la rencontre de ce lion formidable.

Le cortège, paré comme le printemps, partit pour aller au-devant du héros renommé.

Au moment où l’œil de Rustem le découvrit, il vit sur la route un arbre aux larges branches, il le saisit par deux de ses branches, le tordit de toute sa force et l’arracha sur-le-champ de sa racine et de sa base sans se faire du mal ; il l’arracha et le prit dans sa main comme si c’eût été un javelot : l’armée en resta stupéfaite.

Lorsqu’il fut près d’eux, il jeta l’arbre de côté et renversa une foule de cavaliers sous les branches.

Un des grands du Mazenderan, qui avait le pas sur tous les chefs, prit une des mains de Rustem et la serra et lui fit du mal pour l’éprouver ; mais Rustem au corps d’éléphant en sourit et les yeux de la multitude restèrent fixés sur lui avec étonnement.

Tout en souriant, Rustem pressa à son tour la main du cavalier, lui rompit les veines de la main et le fit pâlir.

Celui qui avait voulu éprouver sa force perdit connaissance et tomba de cheval à terre.

Quelqu’un partit pour se rendre auprès du roi de Mazenderan et lui raconta, depuis le commencement jusqu’à la fin, ce qu’il avait vu.

Or il y avait un cavalier nommé Kalahour qui remplissait le Mazenderan de sa gloire.

C’était par le caractère un tigre féroce ; il n’avait d’autre désir que celui de combattre.

Le roi le fit appeler pour l’envoyer à la rencontre de Rustem, car il exaltait sa bravoure au-dessus du ciel qui tourne.

Il lui dit :

Va au-devant du ce messager et montre de nouveau tes prouesses.

Fais en sorte que son visage se couvre de honte, amène sur ses joues les larmes chaudes de ses yeux.

Kalahour partit comme un lion courageux et s’approcha du brave qui cherchait la possession du monde.

Il lui adressa les questions d’usage d’un air de tigre et avec une mine féroce ; puis il lui donna la main et serra si fort, celle de l’éléphant qui portait haut la tête, que la douleur la rendit bleue.

Rustem ne tressaillit pas, ne lui laissa pas croire qu’il lui eût fait du mal et éleva sa bravoure au-dessus du soleil ; puis il serra à son tour fortement la main de Kalahour et les ongles en tombèrent comme tombent les feuilles d’un arbre.

Kalahour laissa pendre sa main, dont les fibres, la peau et les ongles tombaient, la rapporta ainsi et la montra au roi, en disant :

Je ne puis pas te cacher ma douleur ; il vaudrait mieux pour toi faire la paix que de combattre.

Prends garde que ta prospérité ne diminue ; tu ne peux pas résister à un pareil Pehlewan et s’il veut s’en contenter, il n’y a rien de mieux que de lui payer un tribut ; nous le payerons pour sauver le pays de Mazenderan et nous le répartirons entre les petits et les grands ; c’est ainsi que nous allégerons ce malheur.

Vaudrait-il donc mieux mettre en danger n notre vie ?

Dans ce moment Rustem s’approcha du roi, semblable à un éléphant terrible.

Le roi le regarda, lui assigna une place honorable, lui demanda des nouvelles de Kaous et de son armée et lui parla des fatigues de sa longue route, en disant :

Comment as-tu fait pour traverser ces vallées et ces montagnes ?

Puis, il ajouta :

Tu es Rustem, car tu as la poitrine et les bras d’un Pehlewan.

Rustem lui répondit :

Je suis son serviteur, si tant est que je sois digne de le servir ; là où il est, je n’ai rien à faire, car c’est un Pehlewan, un brave et un cavalier.

Il remit au roi la lettre et le message de son maître impérieux, ajoutant que le glaive porterait son fruit, qu’il abattrait les têtes des grands.

Quand le roi eut entendu le message et lu la lettre, il s’en courrouça et en demeura étonné.

Il répondit à Rustem :

À quoi bon toutes ces demandes, ces querelles et ces disputes ?

Dis-lui :

Tu es le maître de l’Iran ; mais quand même tu aurais le cœur et la griffe d’un lion, je suis le roi du Mazenderan, j’ai une armée, un trône d’or et une tiare d’or et me mander auprès de lui insolemment n’est pas selon les coutumes des rois ni selon la voie des croyants.

Réfléchis et ne recherche pas le trône des puissants, car cette ambition ne peut te conduire qu’à l’humiliation.

Tourne la bride de ton cheval vers le pays d’Iran, sinon ma lance amènera la fin de ta vie.

Si je me mets en marche avec mon armée, tu ne distingueras plus tes pieds de ta tête.

Sans doute, c'est la haute opinion que tu avais de toi-même qui a amené ta chute ; suis de meilleurs conseils et mets de côté ton arc ; car quand je te verrai de près et en face, alors s’apaisera ton ardeur et ton humeur querelleuse.

Rustem observa avec intelligence le trône, l’armée et la cour du roi.

Les paroles qu’il entendit le courroucèrent et sa tête s’enflamma de ces outrages.

Le roi fit préparer un présent royal et le fit placer devant Rustem le cavalier.

Mais celui-ci refusa ses robes, ses chevaux et son or ; car il méprisait cette couronne et cette ceinture.

Il s’éloigna en colère du trône du roi, voyant que son étoile et sa lune avaient pâli ; il sortit de la ville de Mazenderan, la tête alourdie par ces affaires.

Quand il arriva auprès du roi d’Iran, son cœur était avide de vengeance et son sang bouillait.

Il raconta au roi d’Iran tout ce qu’il avait dit et entendu dans le Mazenderan ; puis il lui dit :

Ne crains rien ; tu es un brave, prépare-toi pour le combat contre les braves et sache que les guerriers et les champions de ce pays sont méprisables à mes yeux et ne valent pas devant moi un atome de poussière ; c’est avec cette massue que je les détruirai.

Dernière mise à jour : 7 sept. 2021