Keï Kaous

Kaous écrit une lettre au roi du Mazenderan

...

Un scribe habile écrivit en beaux caractères, sur de la soie blanche, une lettre contenant des motifs de crainte et d’espoir et y mit des paroles douces et des paroles dures.

Il célébra d’abord Dieu le très-juste, par lequel toute vertu se manifeste dans le monde, qui a donné aux hommes la raison, qui a créé le ciel qui tourne, par lequel existe toute dureté et toute cruauté aussi bien que tout amour, qui nous a donné le pouvoir de faire le bien ou le mal, qui est le maître des rotations du soleil et de la lune.

Si tu fais le bien, si ta foi est pure, tu ne recevras de tout homme que des louanges ; mais si ta nature est mauvaise, si tu fais le mal, la rotation du ciel amènera ta destruction.

Si Dieu le maître du monde est le très-juste, comment pourrait-on se soustraire à ses ordres ?

Vois comment Dieu punit les méfaits, comment il a anéanti les Divs et les magiciens.

Si maintenant tu réfléchis à leur sort, si ton intelligence et ton esprit t’ont éclairé, quitte sur-le-champ le trône du Mazenderan et présente-toi à ma cour comme fait un vassal.

Puisque tu n’es pas assez fort pour combattre Rustem, paye-moi promptement un tribut et une redevance selon ma demande.

S’il te reste une chance de conserver le trône du Mazenderan, ce n’est que par là que tu en trouveras le moyen, sinon désespère de ta vie comme Arzeng et le Div blanc.

Le scribe ayant achevé la lettre, le roi y apposa un sceau de musc et d’ambre et appela Ferhad, qui tenait dans sa main une massue de fer.

C’était un homme d’élite parmi les grands du pays, un homme actif et ne craignant pas la fatigue.

Kaous lui dit :

Prends cette lettre pleine de bons conseils et porte-la à ce Div échappé de ses chaînes.

Ferhad ayant entendu les paroles du roi, baisa la terre, emporta la lettre et arriva près d’une ville dont les habitants avaient des pieds flexibles ; c’étaient des cavaliers pleins de persévérance.

On n’y voyait personne qui n’eût des pieds de cuirs et depuis longues années, c'était là leur surnom.

Dans cette ville résidait le roi du Mazenderan, avec ses braves et ses guerriers.

Ferhad envoya quelqu’un devant pour se faire annoncer ; et quand le roi ouït dire qu’un envoyé intelligent venant de la part de Kaous s’avançait sur la route, il choisit un grand cortège de braves et de lions du Mazenderan pour aller au-devant de lui, il les choisit dans son armée l’un après l’autre, espérant qu’il lui en reviendrait de l’honneur.

Il leur dit :

Il faut aujourd’hui dépouiller votre qualité d’hommes pour revêtir celle de Divs, prendre toutes les allures du tigre et vous emparer du chef de ces sages.

Ils allèrent au-devant de Ferhad, le front couvert de rides ; mais rien ne réussit selon leur désir : car lorsqu’ils approchèrent de Ferhad le preux, un des grands accoutumés à vaincre lui prit la main et la pressa, en serrant les fibres et les os ; mais le visage de Ferhad ne pâlit de peur ni ne rougit de douleur.

Ils le menèrent alors devant le roi, qui lui demanda des nouvelles de Kaous et lui parla des fatigues qu’il avait endurées dans sa route ; puis il plaça la lettre devant un scribe et l’on répandit sur la soie du vin et du musc.

Le Mobed lui lut la lettre et le roi guerrier fut ému de ce qui y était écrit.

Quand il eut appris les hauts fait de Rustem et le sort du Div, ses yeux se remplirent de sang ; son cœur se remplit de douleur.

Il dit en lui-même :

Le soleil va disparaître, la nuit viendra, mais il n’y aura ni sommeil ni repos.

Rustem ne laissera pas en paix le monde et son nom ne restera pas obscur.

Il s’affligea de la mort d’Arzeng, de celle du Div blanc et des blessures de Bid et de Poulad fils de Ghandi.

La lecture de la lettre étant achevée, ses deux yeux se mouillèrent du sang de son cœur.

Il garda Ferhad pendant trois jours comme son hôte et avec lui ses grands et ses amis et le quatrième jour il lui dit :

Retourne auprès de ce jeune roi dépourvu de raison et porte à Kaous cette réponse :

Comment l’eau de la mer pourrait-elle égaler le vin ?

Suis-je un homme à qui l’on puisse dire : Quitte le pays où est ton trône et viens à ma cour ?

Je possède un trône plus élevé que le tien ; j’ai à ma cour mille fois mille guerriers et quelque part qu’ils aillent pour combattre, il n’y restera ni pierre, ni couleur, ni parfum.

Prépare-toi et ne tarde pas, car je pars pour aller te combattre.

Je conduirai contre toi une armée semblable à des lions ; je vous réveillerai de votre doux sommeil.

Je possède douze cents éléphants tels que tu n’en as pas un seul de semblable.

Je soulèverai dans tout l’Iran la poussière noire de la destruction, de sorte que l’on ne distinguera plus ce qui était haut de ce qui était bas.

Ferhad ayant vu son inimitié, son pouvoir, sa dureté et son arrogance, se hâta de partir dès qu’il eut la réponse à la lettre de Kaous et tourna rapidement les rênes de son cheval vers le maître de l’Iran.

Arrivé auprès de lui, il lui raconta ce qu’il avait vu et entendu et déchira devant lui tous les voiles des secrets en disant :

Il est plus élevé que le ciel et ne lui cède pas en force de volonté.

Il a refusé de se soumettre à mes injonctions et le monde est sans valeur à ses yeux.

Le roi manda le Pehlewan et lui redit les paroles de Ferhad.

Rustem au corps d’éléphant répondit à Kaous :

Je laverai notre peuple d’une telle honte.

Il faut que j’annonce à ce roi que je tirerai du fourreau mon épée acérée.

Il faut que je lui porte une lettre tranchante comme un glaive et un message semblable au nuage qui tonne.

Je me présenterai devant lui en messager et mes paroles rempliront de sang les rivières.

Kaous lui répondit :

C’est par toi que brille mon sceau et ma couronne ; tu es un messager semblable à une panthère courageuse et sur tous les champs de bataille, tu es un lion qui porte haut la tête.

Il fit venir un scribe qui tailla son roseau comme la pointe d’une flèche et écrivit ce qui suit :

Ce sont des paroles inutiles et qui ne conviennent pas à un homme de sens.

Dépouille-toi de cette arrogance et viens selon mes ordres comme un esclave, sinon je conduirai mon armée contre toi, je couvrirai de troupes l’espace qui s’étend d’une mer à l’autre et les mânes du méchant Div blanc inviteront les vautours à faire leur proie de ta cervelle.

Dernière mise à jour : 7 sept. 2021