Keï Kaous

Naissance de Sohrab

...

Quand neuf mois eurent passé sur la tête de la fille du roi, elle mit au monde un enfant beau comme la lune brillante.

Tu aurais dit que c’était Rustem au corps d’éléphant, ou Sam le lion, ou Neriman.

Sa bouche souriait et son visage était brillant ; c’est pourquoi Tehmimeh lui donna le nom de Sohrab.

Quand il eut un mois, il était comme un enfant d’un an et sa poitrine était large comme celle de Rustem fils de Zal.

Quand il eut trois ans, il s’exerçait aux jeux d’armes et à cinq ans, il avait le cœur d’un lion.

Quand il eut atteint l’âge de dix ans, personne dans son pays n’osait lutter contre lui.

Il alla auprès de sa mère et lui adressa une question, en lui disant audacieusement :

Puisque je suis plus grand que mes frères de lait et que ma tête s’élève plus haut que le ciel, apprends-moi de quelle race je suis et quel est mon lignage et ce que je dois dire quand on me demande le nom de mon père.

Si tu refuses de répondre à cette question je ne te laisserai pas vivante parmi les grands de la terre.

Sa mère lui répondit :

Écoute mes paroles et réjouis-toi de ce que je te dirai et ne te mets pas en colère.

Tu es fils de Rustem, du héros au corps d’éléphant ; tu es issu de la famille de Sam le Destan et de Neriman et ta tête est plus haute que le ciel, parce que tu descends de cette race illustre.

Depuis que Dieu a créé le monde, il n’a pas paru un cavalier tel que Rustem ; jamais il n’y a eu sur la terre un homme tel que Sam fils de Neriman, dont le ciel dans sa rotation n’ose atteindre la tête.

Puis elle apporta une lettre de Rustem le guerrier et lui montra en secret trois rubis brillants et trois bedrehs d’or que Rustem, dans le temps où Sohrab naquit, avait envoyés du pays d’Iran, en les accompagnant d’un message.

Elle lui dit :

Regarde ces présents avec reconnaissance ; c’est ton père qui te les envoie, ô mon vaillant fils.

Ensuite elle ajouta :

Mais il ne faut pas qu’Afrasiab sache rien de cette affaire, depuis le commencement jusqu’à la fin ; car il est l’ennemi du glorieux Rustem et tout le Touran gémit sous sa tyrannie.

Puisse-t-il ne pas te prendre en haine et détruire le fils par inimitié contre le père !

En outre, si ton père savait que tu es devenu tel que je te vois, portant haut la tête parmi ceux qui la portent haute, s’il le savait, il t’appellerait auprès de lui et la douleur briserait le cœur de ta mère.

Sohrab lui répondit :

Personne au monde ne peut tenir ceci secret.

Tous ceux d’entre les grands et les braves qui sont vieux parlent des hauts faits de Rustem ; et mon origine étant aussi noble, pourquoi me l’avoir cachée ?

Je vais maintenant me mettre à la tête d’une armée innombrable de Turcs pleins de bravoure ; je précipiterai Kaous de son trône ; j’effacerai de l’Iran la trace du pied de Thous ; je ne laisserai en vie ni Gourguin, ni Gouderz, ni Guiv, ni Kustehem fils de Newder, ni Bahram le brave ; je donnerai à Rustem la massue, le cheval et le casque du roi ; je le ferai monter sur le trône de Kaous ; ensuite je tournerai de l’Iran vers le Touran pour l’attaquer, j’irai à la rencontre du roi ; je m’emparerai du trône d’Afrasiab, je lèverai ma lance au-dessus du soleil ; je te ferai reine du pays d’Iran ; je me montrerai comme un lion dans le combat des braves.

Puisque Rustem est mon père et que je suis son fils, je ne laisserai aucun autre roi dans le monde ; car pourquoi les étoiles porteraient-elles des couronnes quand le soleil et la lune brillent ?

Dernière mise à jour : 11 sept. 2021