Guschtasp

Isfendiar tue Ardjasp

...

Quand la nuit fut devenue plus sombre, Isfendiar revêtit son armure de combat;

Il ouvrit les couvercles de ses caisses pour que l’air frais arrivât à ses compagnons enfermés, et apporta du vin et de la viande rôtie et bouillie, des armes de guerre et des vêtements.

Quand ils eurent mangé du pain, il donna à chacun trois coupes de vin, et ils s’en réjouirent.

Il leur dit:

Cette nuit est une nuit pleine de dangers, et c’est ici qu’il nous faut conquérir un nom.

Faites des efforts, combattez comme des hommes, cherchez en Dieu un refuge contre le malheur.

Il divisa en trois parties les héros, tous ceux qui désiraient du renom et le combat: une partie devait attaquer, dans l’intérieur de la forteresse tous ceux qu’elle rencontrerait; une seconde devait marcher sur la porte et ne cesser de combattre et de verser du sang; à la troisième il dit:

Il ne faut pas que nous laissions une trace des chefs qui hier se sont enivrés chez moi : tranchez-leur la tête avec l’épée !

Lui-même partit avec vingt hommes de cœur qu’il chargea de tout le reste ; il marcha bravement contre la porte du palais d’Ardjasp, couvert d’une cotte de mailles et poussant des cris comme un lion.

Quand le bruit de ce tumulte retentit dans le palais, Homaï vint en courant vers le noble prince avec sa sœur Beh-Aferid, les joues couvertes du sang qui coulait de leurs cils.

Quand Isfendiar s’approcha, il vit ces deux femmes voilées, semblables au printemps.

Le héros au cœur de lion dit à ses sœurs:

Courez rapidement comme la fumée, d’ici à̀ l’endroit où j’ai tenu mon marché; il y a beaucoup d’or et d’argent, et mon chemin m’y conduit; restez-y jusqu’à ce que vous voyiez si nous livrons dans ce combat nos têtes à la mort, ou si nous conquérons un diadème.

Il détourna d’elles ses yeux et marcha vers le palais d’Ardjasp, avide de vengeance; il marcha une épée indienne en main, et quand il trouvait sur son chemin un brave il le tuait.

Toute la cour du palais fut bientôt dans un état tel qu’on ne pouvait passer dans ce lieu illustre; il y avait tant de blessés, de morts et d’hommes foulés aux pieds que la terre ressemblait à une mer couverte de vagues.

Quand Ardjasp se réveilla de son sommeil, son cœur trembla du tumulte qu’on entendait; il s’élança de sa chambre à coucher, revêtit une cotte de mailles et se couvrit d’un casque de Roum.

Sa main tenait une épée brillante, sa bouche poussait des cris, son cœur était gonflé de sang;

lorsque Isfendiar franchit la porte en bondissant, une épée étincelante en main, et lui dit :

Maintenant tu vas recevoir de ce marchand une épée qui vaut des dinars!

Je t’apporte un présent de Lohrasp, scellé du sceau de Guschtasp.

Ardjasp et Isfendiar s’attaquèrent et se combattirent avec une fureur sans mesure; ils se frappèrent de l’épée et du poignard, tantôt sur les reins, tantôt sur la tête; mais à la fin Ardjasp fut affaibli par les coups de son ennemi; on ne voyait plus sur son corps aucun endroit qui ne fût blessé : le héros tomba, et Isfendiar lui trancha la tête.

C’est ainsi qu’agit la fortune qui tourne; tantôt elle nous donne du miel, tantôt du poison.

Pourquoi attacherais-tu ton cœur à cette demeure passagère?

Puisque tu sais que tu n’y resteras pas, ne t’afflige pas en la quittant.

Isfendiar, en ayant fini avec Ardjasp, fit monter jusqu’à Saturne la fumée de la destruction de son palais; il fit allumer des torches et mettre le feu au palais de tous côtés; il livra l’appartement des femmes aux eunuques, en enleva tout ce qui l’avait rendu brillant, et posa son sceau sur la porte du trésor où se trouvait l’or car il n’y avait personne dans le palais qui eût pu le combattre.

Ensuite il se rendit aux écuries et monta à cheval, une épée indienne en main.

Il fit seller des chevaux arabes qu’il choisit, il fit monter dessus ses deux sœurs, et quitta avec ses hommes la résidence d’Ardjasp.

Il partit de ce lieu avec cent soixante hommes, des cavaliers d’élite au jour du combat, et laissa quelques Iraniens illustres dans le château avec le noble Saweh, en leur disant:

Quand j’aurai quitté la forteresse, quand je serai dans la plaine avec les grands, vous fermerez la porte du palais contre les Turcs, car j’espère que la fortune sera mon soutien.

Quand vous croirez que j’aurai atteint ma noble armée, alors il faut que vos sentinelles fassent entendre dans leurs tourelles ce cri:

Bénies soient la tête et la couronne du roi Guschtasp !

Et si l’armée des Turcs, en fuite et revenant du champ de bataille, se rue en masse sur le palais, alors vous lancerez de cette tourelle, au milieu d’elle, la tête d’Ardjasp.

C’est ainsi que le héros sortit du château avec cent soixante hommes, en poussant des cris et en bondissant sur le champ de bataille;

Il se précipita dans la plaine en tuant tous les Turcs qu’il rencontra.

Lorsqu’il fut arrivé près de l’armée de Beschouten, cet homme illustre le couvrit de ses bénédictions; toute l’armée était confondue de la bravoure que ce jeune homme avait montrée.

Dernière mise à jour : 7 sept. 2021