Yezdegird

Lettre de Yezdegird à Mahouï Souri et aux Merzebans du Khorasan

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Lorsque le maître du monde se dirigeait vers Merve, se rendant chez Mahouï Souri, gouverneur de ce pays, il lui adressa une lettre pleine de tristesse et d’émotion.

Le cœur rempli d’inquiétude, les yeux baignés de larmes, il fit venir un scribe expérimenté et donna un libre cours aux sentiments qui agitaient son cœur.

Après avoir glorifié le Créateur, le maître sage et bienfaisant, le souverain qui imprime le mouvement à Mars et au Soleil, qui règne sur l’éléphant et sur la fourmi, qui tire, quand il lui plaît, les choses du néant sans avoir besoin de modèle, il continuait en ces termes :

Le malheur a surgi devant nous, notre royaume a perdu sa force et sa splendeur.

La douleur a rendu le monde étroit pour nous depuis que Rustem a péri sur le champ de bataille, de la main d’un certain Saad, fils de Wakkas, homme sans patrie ni famille, sans sagesse ni pouvoir.

Tandis que l’armée des Arabes est aux portes de Thisifoun et que les vallons et les forêts nous en séparent, marche au combat avec tes troupes et rallie le peuple à ma cause.

Moi-même je suivrai de près cette lettre et j’arriverai, rapide comme le vent, auprès de toi, ô fils d’une race pure.

Il choisit ensuite dans son entourage un messager, homme intelligent et de bon conseil ; le cœur gonflé de sang, le visage blême comme la sandaraque, il écrivit cette autre lettre à Thous :

Gloire et louange au souverain juge qui dispense le pouvoir, le trône et la valeur, au maître de la victoire, de la majesté et de la couronne !

Tout, depuis la patte de l’insecte jusqu’à l’aile rapide de l’aigle, l’éléphant sur la terre, le crocodile dans les eaux, tout est soumis à sa volonté et à ses lois et ne respire qu’avec sa permission.

De la part du roi de la terre, Yezdegird le Grand, fils d’un père illustre, monarque puissant, chef victorieux des armées de l’Iran, souverain et arbitre du monde, rejeton d’une race glorieuse, fidèle au culte de Dieu et couronnée par la faveur des astres, d’une race qui a rendu le monde prospère et qui a fait briller la couronne, le trône et le sceau royal, de la part de Yezdegird, aux Merzebans qui règnent glorieusement et selon la justice sur les pays et les peuples de Schemiran, Rouïndiz, Radeh Kouh et Kelat.

Que Dieu soit notre appui, qu’il vous protège contre les atteintes du sort !

C’est une chose bien connue des chefs illustres et répandue dans le monde entier que notre cœur a toujours été plein de sollicitude, de bienveillance et de justice pour la valeur militaire et la haute naissance.

Mais, j’en atteste votre noblesse pure, les rois recueillent plus de fatigues et de peines que de trésors.

Lorsque Bahram Djoubineh se mit en révolte contre la puissance et la couronne du roi, vous avez aussitôt abandonné vos cités spacieuses, vos jardins, vos Meïdans et vos palais ; pour échapper aux atteintes de ce misérable, vous avez séjourné au fond des vallées et sur les hautes montagnes.

Si Dieu nous donne le pouvoir, si la fortune favorise les désirs de notre cœur, nous saurons reconnaitre généreusement les bonnes actions et récompenser les services rendus.

Mais vous avez été informés que les astres ont déchaîné contre nous ces vils serpents, ces hommes à face d’Ahriman, sans sagesse ni honneur, sans trésors ni trône, sans gloire ni naissance, qui se proposent de livrer le monde à la destruction.

Les trésors et les bijoux ont été dispersés et la terre du tombeau a rempli bien des crânes ; ainsi l’a décrété le ciel sublime.

Le royaume a été abandonné à ces misérables Arabes, semblables à des corbeaux, sans intelligence ni savoir, sans nom ni honneur.

Nouschirwan l’avait vu en songe : la splendeur du trône s’évanouissait, cent mille Arabes, semblables à des chameaux furieux qui ont rompu leurs entraves, passaient le fleuve Arwend 1 et une fumée noire montait jusqu’à la sphère de Saturne.

Les moissons étaient détruites dans le pays d’Iran et de Babel ; le monde périssait ; le feu s’éteignait dans les Pyrées, l’éclat du Newrouz et du Sedeh pâlissait et les créneaux du palais des grands rois s’effondraient d’un seul coup au milieu du Meïdan.

L’accomplissement de ce songe se révèle aujourd’hui : le ciel inconstant s’éloigne de nous, tout ce qui était grand est humilié et la destinée des plus humbles s’élève ; le mal se répand dans le monde, la misère devient manifeste et le bonheur disparaît.

Chaque pays voit surgir un tyran, démon malfaisant et hideux ; les signes d’une nuit profonde apparaissent et la lumière brillante est prête à s’éteindre.

Quant à nous, avec l’aide de nos alliés les Pehlewans à l’intelligence pure, nous nous dirigeons vers le Khorasan, auprès des Merzebans belliqueux, pour attendre la décision de la destinée aux volontés inconstantes.

Nous avons à cet effet réuni ici nos éléphants et nos tambours pour le maître de Thous.

Farrukhzad, cet ami intime dont le dévouement ne s’est jamais démenti, est allé chercher le combat à Altounieh et il se mesure contre nos ennemis.

Keschemegan, le fils de cet homme généreux, est venu nous trouver dans notre camp ; il nous a tenu un langage respectueux, comme il convient à un serviteur fidèle.

J’ai su par lui la situation de ces contrées, les choses petites et grandes et les détails les plus secrets.

Cet homme au cœur brisé m’a tout révélé, il m’a ouvert son âme en toute sincérité.

Des émissaires sont partis d’ici dans toutes les directions pour requérir le secours de nos amis et de nos auxiliaires.

Mais une armée aussi nombreuse que la nôtre ne peut tenir garnison dans ces forteresses étroites ; en conséquence, les places de Goumbedin Kouh et de Lajeverdin jusqu’à Kherbeneh serviront de dépôt à notre matériel de guerre.

Nous avons tenu conseil après avoir convoqué les Pehlewans ; à la suite d’une longue délibération, nous sommes tombés d’accord sur ce qui suit.

On emportera la couronne, le trône, le sceau et l’anneau royal, les tuniques du Roum, du Cachemire et de la Chine, les objets précieux qui sont entre nos mains, comme les produits du Roum et de Thaïef, les brocarts d’or, les étoffes en pièces et tout ce qui mérite d’être emporté, enfin les vivres et provisions nécessaires pour les jours de détresse.

Quarante mille bœufs attelés à des chariots porteront un approvisionnement suffisant de sésame, auquel on joindra douze mille charges de blé en gerbes.

Un Mobed prudent apportera le millet, les pistaches, les grenades ; deux mille charges de chacune de ces productions seront charriées par des chameaux originaires de la Bactriane.

En attendant que la sphère sublime fasse connaître ses volontés, on placera sur des chariots traînés par des bœufs mille charges de sel ; mille charges de dattes et mille de sucre seront préparées et comptées.

Nos serviteurs réuniront de tous côtés et porteront dans les forteresses quarante mille pièces de viandes salées ; trois cents charges de naphte noir arriveront dans l’espace de deux mois.

Un Mobed avec son escorte se rendra ici par Schemiran et Radeh Kouh.

En présence des vieillards, des sages et des seigneurs qui sont les chefs du pays, vous ferez déposer deux registres dans les forteresses ; vous donnerez l’un à mon trésorier et garderez l’autre par devers vous, ô nobles qui composez le conseil.

Il faut que les vallées et les montagnes soient à l’abri des incursions des Turcs et des Arabes ; dans ces temps difficiles, vous pouvez nous rendre de grands services.

Notre sage et éloquent Destour donnera des instructions à notre trésorier pour qu’il remette à tous ceux qui braveront ces dangers cinq tuniques d’étoffe de Perse et qu’ils reçoivent en outre un turban brodé d’or, lorsque la guerre sera terminée.

Dans ces jours désastreux et sombres, tous ceux qui serviront avec fidélité notre cause recevront, en surcroît de leur solde de service, un de ces dirhems qui valent soixante dirhems du poids de dix dangs, sur lesquels on lit cette inscription, d’un côté :

Au nom du Dieu par qui donne l’espérance et la crainte !

De l’autre, autour de notre effigie couronnée :

C’est notre amour qui féconde la terre.

Tout cela sera réglé au Newrouz et au Mihregan, ces deux fêtes pleines de solennité et de magnificence.

Que Dieu, le protecteur du monde, bénisse les hommes de noble race qui seront fidèles à notre couronne !

Après avoir apposé son cachet sur cette lettre, le roi l’envoya au chef de l’armée ; un cavalier illustre et né sous une heureuse étoile se présenta devant eux, la lettre royale à la main.


  1. Le Tigre

Dernière mise à jour : 7 janv. 2022