Kesra Nouschirwan

Nouschirwan parle aux chefs de l'Iran

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Lorsque Kesra fut assis sur le trône d'ivoire et qu’il eut placé sur sa tête cette couronne qui éblouit les cœurs, les grands de la terre se réunirent et quand le maître et ses conseillers furent assis, le chef des grands commença par célébrer le Distributeur de la justice, celui qui répand le bonheur dans le monde disant :

Que nos cœurs soient remplis d’hommages et d’amour pour le Créateur du ciel, de qui viennent le bonheur et le malheur, la honte et la gloire, la tristesse et la joie, par l’ordre duquel le soleil brille au ciel, qui donne la majesté et à qui est le pouvoir.

Suivons ses avis, ne désobéissons pas à sa volonté, ne respirons que selon ses ordres.

Quiconque, assis sur le trône du pouvoir, fait régner la justice, en sera heureux lui-même et quiconque se livre à de mauvaises pensées verra à la fin le mal rejaillir sur sa personne.

Nul ne connaît les pensées des hommes et je ne puis trouver mon chemin dans cette route étroite ; mais je répondrai à toutes vos demandes et répandrai la joie sur les jours de ceux qui demanderont.

Si un roi fait de la justice son métier, tout le monde en sera heureux.

N’ajourne jamais une affaire d’aujourd’hui à demain, car qui sait comment demain le sort aura tourné ?

Le jardin de roses est aujourd’hui plein de fleurs, mais si tu veux en cueillir demain, il n’y en aura plus.

Quand ton corps est dans sa force, pense à la maladie, à la peine et au mal.

Rappelle-toi que le jour de la mort suit la vie et que nous sommes devant elle comme la feuille devant le vent.

Chaque fois que tu agis mollement, tu exécuteras faiblement tes plans ; quand la jalousie devient maîtresse dans ton cœur, c’est une maladie pour laquelle il n’y a pas de médecin ; et quand la passion s’empare de la tête, on n’a plus besoin de témoins pour constater la folie.

L’homme désœuvré qui parle beaucoup n’est respecté par personne.

Le vice rend ta voie plus ténébreuse, mais la route de la droiture est étroite.

La besogne que tu sais le mieux faire réussira mal si tu y mets de la lourdeur et de la mollesse et si ta langue s’allie au mensonge, le trône des cieux ne t’accordera pas de l’éclat.

Mentir est le fait des faibles et l’on ne peut que pleurer sur eux.

Si le roi se réveille toujours le premier, il sera en sécurité contre ses ennemis et jouira d’une bonne santé ; un homme sage n’a pas besoin de jouissances ; tout ce qui est au-delà du besoin n’est que peine, fatigue et passion ; s’il est juste et généreux, le monde sera rempli de beauté et de richesses ; mais s’il mêle de la perversité à ses desseins, sa nourriture sera la courge amère et sa boisson le sang.

Vous tous qui êtes dans cette assemblée, qui avez entendu ce que j’ai dit à haute voix, comprenez-le, faites attention à chaque point et la fortune vous accompagnera toujours.

J’ai vu bien des rois et j’ai choisi le chemin de la justice et de la raison.

Mais il faut que vous écoutiez mon Destour, car le bien et le mal ne se produiront que par son entremise.

Si quelqu’un vient à ma cour avec une demande juste et ne trouve pas accès auprès de moi, je blâmerai le Destour de m’avoir caché une affaire pareille.

Puisque je ne refuse pas le salaire aux employés de ma cour et aux vaillants cavaliers de mon armée, il faut le payer exactement et avoir soin de mon nom et de mon honneur.

Il faut en tout de l’humanité et de la droiture, il ne faut jamais laisser la justice en souffrance.

Tout Iranien qui viendra à cette cour pour me servir recevra de moi des trésors et des paroles douces, s’il est un serviteur sensé et discret ; mais s’il fait éprouver à un de mes sujets une injustice, s’il ne se conduit pas comme un homme de sens et de piété, il sera puni du mal qu’il aura fait, car il ne faut pas s’inquiéter du sort qui atteint un homme sans générosité.

Appliquez-vous à obéir aux ordres de Dieu ; ce n’est pas moi qu’il faut craindre, c’est lui qui est roi au-dessus du roi, qui est le maître du monde, le victorieux, le Seigneur ; c’est lui qui fait briller la couronne du soleil et de la lune, qui nous montre le chemin de la justice.

Il est le maître du monde, le juge de ceux qui jugent ; il est au-dessus de la pensée de tous les êtres ; il a créé le temps, la terre et le ciel ; il a doué de tendresse nos âmes et nos cœurs ; si nous répandons la justice, c’est grâce à lui ; si nous donnons quelque chose, c’est de lui que nous le tenons.

Tout ce qui existe, le chagrin et la joie, l’élévation et l’abaissement, viennent de lui ; il est le gardien de la couronne et du trône du pouvoir ; il vient à ton secours si tu lui adresses tes prières.

C’est lui qui fait brûler vos âmes d’amour pour moi et c’est par sa volonté que les cœurs et les yeux de mes ennemis sont aveuglés.

La santé nous arrive par son ordre et tout bonheur ne dépend que de lui ; tout, depuis le brin de bois jusqu’aux sept cieux en haut, le feu, l’eau et la terre sombre, témoigne de l’existence de Dieu et donne ainsi de la paix à ton âme.

Tout ce qui est digne de louanges se fait par son ordre, toute adoration ne s’adresse qu’à lui.

Lorsque Nouschirwan eut prononcé ces paroles, les hommes restèrent dans l’étonnement ; toute l’assemblée se leva et le couvrit de nouvelles bénédictions.

Dernière mise à jour : 7 sept. 2021