Newder

Troisième combat de Newder et d'Afrasiab

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Pendant deux jours l’armée se reposa ; mais le troisième, aussitôt que l’astre qui éclaire le monde eut paru, il fut impossible au roi de retarder le combat ; il n’y avait plus moyen de l’éviter, car Afrasiab attaqua l’armée de Newder comme une mer furieuse.

Il s’élevait des deux camps un grand bruit et les trompettes et les clochettes indiennes retentissaient ; dans les tentes du roi on battait le tambour et tous mettaient sur leurs têtes des casques de fer.

Personne ne dormait dans le camp du vaillant Afrasiab, toute la nuit l’armée se prépara et nettoya ses épées et ses javelots.

Sur toute la plaine, de montagne en montagne, s’avancèrent des hommes armés de cuirasses et portant de lourdes massues ; on ne voyait ni collines, ni sables, ni marais ; les rangs des armées s’étendaient d’une mer à l’autre.

Karen se plaça au centre pour que le roi offrît un point d’appui plus sûr aux troupes, Teliman le brave demanda la gauche du roi et Schapour, fils de Nestouweh, commanda l’aile droite.

Depuis le matin jusqu’à ce que le soleil eût quitté le firmament, on ne vit ni montagne, ni plaine, ni désert.

Tu aurais dit que l’âme des épées s’épanouissait et que la terre soupirait sous les pieds des chevaux.

Mais le soir, lorsque les lances projetaient leurs ombres sur le sol, le roi d’Iran essuya une défaite et aussitôt que sa fortune s’obscurcit, la confiance des Turcs s’en accrut.

Du côté où commandait Schapour, fils de Nestouweh, toute la masse de ses troupes fut dispersée ; Schapour tint bon jusqu’à ce qu’il fût tué et avec lui la fortune quitta les Iraniens.

Les grands de l’armée d’Iran, morts ou blessés, couvraient en grand nombre le champ de bataille ; et lorsque le roi et Karen virent que les astres ne leur étaient pas favorables dans le combat, ils se dirigèrent vers Dehistan à travers cette masse de Turcs pleins de bravoure et se réfugièrent dans cette forteresse.

Il ne restait à l’armée qu’un petit nombre de chemins pour y parvenir et jour et nuit continua le combat dans ces passages.

Ainsi s’écoula quelque temps.

Lorsque Newder se fut établi dans la forteresse, les chemins furent fermés à ses troupes pleines de courage et Afrasiab ayant formé une armée de cavaliers, la fit partir pendant la nuit.

Il appela auprès de lui un Turc illustre, le Sipehbed Kuroukhan, fils de Wiseh et lui ordonna de se diriger vers le pays de Fars et de prendre le chemin du désert ; car c’était là que se trouvaient les familles des Iraniens et l’homme isolé cherche à rejoindre les siens.

Karen ayant su qu’Afrasiab avait envoyé, dans la nuit, une armée, bouillonna de jalousie et eut le cœur en angoisse ; il courut, semblable à un tigre, auprès de Newder et lui dit :

Regarde ce que le roi de Touran, cet homme sans cœur, ose faire contre le roi d’Iran.

Il a envoyé des troupes sans nombre contre les femmes voilées de ceux qui sont à l’armée ; s’il réussit à s’emparer de nos femmes, il brisera les cœurs des grands et nous serons obligés dans notre honte de cacher nos têtes.

Il faut que je prenne le chemin de la montagne et que je suive les traces de l’infâme turc, si le maître du trône de Turquoises me le permet.

Tu as des provisions et de l’eau vive et une armée qui se tient devant toi avec amour et respect.

Reste ici et ne te laisse pas abattre, car il te sera facile de te défendre.

Montre du courage où il en faut, car la vaillance est nécessaire aux rois.

Newder lui répondit :

Ce plan n’est pas sage, car mon armée n’a personne qui puisse la commander comme toi.

Kustehem et Thous sont partis pour protéger nos familles, au moment même où les timbales commençaient à résonner.

Ils se rendront sans délai auprès de nos femmes et les défendront comme c’est leur devoir.

Pendant ce temps entrèrent dans l’appartement particulier du roi les héros et les grands portant haut la tête.

Ils s’assirent à table et demandèrent du vin et délivrèrent pour un temps leurs âmes de leurs soucis.

Lorsque leurs têtes furent ivres de vin, le roi Newder se retira dans sa chambre à coucher, le cœur rempli de plans de vengeance.

Les cavaliers de l’Iran, les héros courageux, sortirent du palais du roi en désordre ; ils se rendirent au palais de Karen les yeux en pleura comme un nuage de printemps.

Ils concertèrent des plans de toute espèce et se dirent tous d’un commun accord :

Il faut que nous partions pour le pays de Fars, il faut que pas un de nous ne fasse défaut ; car quand les femmes voilées des guerriers de l’Iran seront prisonnières de nos ennemis, quand nos femmes et nos enfants seront esclaves des Turcs, quand leurs cœurs seront percés de flèches, sans que personne ait combattu pour leur défense, qui de nous voudrait prendre en main une lance sur cette plaine ?

Qui pourrait avoir du repos et une place pour s’asseoir ?

Schidousch, Keschwad et Karen ayant délibéré à fond sur cette affaire et la moitié de la nuit étant passée, les braves se préparèrent pour le départ et Karen le guerrier se mit sur-le-champ en marche, menant avec lui une grande armée.

Le soir ils arrivèrent le cœur découragé à un endroit que l’on appelle le Château-Blanc : d’un côté était Guezdehem le châtelain avec des braves infatigables ; de l’autre côté du château se trouvait Barman avec son armée, campé sur la route avec des éléphants et des troupes.

Karen avait été blessé au cœur par ce dernier et il désirait venger sur lui le sang de son frère.

Il revêtit son armure, ordonna convenablement ce qui concernait son armée et suivi de ses braves il se dirigea droit du côté du pays de Fars.

Barman le courageux en eut nouvelle et vint au-devant de lui semblable à un lion.

Lorsque Karen le vit s’avancer aussi impétueusement et qu’il aperçut dans le combat au milieu de la poussière le meurtrier de son frère, il se précipita sur lui comme un lion et ne lui laissa pas le temps de chercher des ruses ; il courut à sa rencontre et se jeta sur lui en invoquant le nom de Dieu le secourable ; il lança contre sa ceinture un javelot qui lui brisa le corps et les jointures.

Barman tomba du haut de son cheval et le soleil lumineux devint obscur pour lui.

Toute son armée eut le cœur brisé et se dispersa entièrement.

Le Sipehbed se dirigea vers le pays de Fars avec son armée glorieuse et prête à combattre.

Dernière mise à jour : 7 sept. 2021