Minoutchehr

Sam voit son fils en songe

...

Une nuit Sam dormait, le cœur navré et fatigué des affaires de ce monde.

Il vit en songe un homme qui venait sur un cheval arabe du côté de l’Hindoustan ; c’était un cavalier fier et un parfait héros.

Ce cavalier s’avança jusqu’à ce qu’il eût atteint Sam et il lui donna des nouvelles de son fils, de cette branche haute et fertile de lui-même.

Sam, aussitôt qu’il fut réveillé, appela les Mobeds et leur parla longuement de cette affaire et leur raconta le rêve qu’il avait eu et en outre tout ce que les caravanes lui avaient rapporté.

Que direz-vous de cette histoire et votre esprit peut-il déterminer si cet enfant est encore en vie, ou s’il a péri par le froid du mois de Mihr ou par la chaleur du mois de Temouz ?

Tous, jeunes et vieux, ouvrirent la bouche, se tournant vers le héros et dirent :

Quiconque n’est pas reconnaissant envers Dieu, ne connaîtra jamais le bonheur.

Les lions et les tigres qui n’ont pour demeure que les rochers et la poussière, les poissons et les crocodiles qui vivent dans l’eau, tous élèvent leurs petits et font parvenir à Dieu leurs actions de grâce.

Mais toi, tu violes la reconnaissance que tu dois à Dieu pour ses bienfaits, en abandonnant cet enfant innocent.

Ses cheveux blancs jettent ton cœur dans l’angoisse, mais ils ne sont pas un déshonneur pour un corps brillant et pur.

Ne dis pas qu’il ne vit plus.

Prépare-toi et lève-toi pour le chercher !

Car un être sur lequel Dieu a jeté un regard, ne périra pas par le froid ni par la chaleur.

Tourne-toi vers Dieu pour demander pardon, car c’est lui qui guide vers le bien et vers le mal.

Le Pehlewan devait donc s’acheminer le lendemain en toute hâte vers le mont Alborz et lorsque la nuit fut devenue sombre, il voulut dormir, car il était impatient de partir, tant son cœur était soucieux.

Il vit dans un nouveau rêve que sur une montagne de l’Hindoustan on élevait un drapeau de soie.

Un beau jeune homme parut, suivi d’une grande armée.

À sa gauche se tenait un Mobed, à sa droite un sage de grand renom.

Un de ces deux hommes s’avança vers Sam et lui parla avec sévérité :

Ô homme impur et sans crainte de Dieu, as-tu donc dépouillé toute honte devant le maître du monde ?

Si un oiseau te convient pour nourrice de ton fils, à quoi te sert ta haute dignité ?

Si des cheveux blancs sont un crime dans un homme, ta barbe et ta tête sont blanches comme la feuille du tremble.

Dieu t’as toujours comblé de ses grâces, mais tu perds ses dons par ton injustice.

Abjure donc toute relation avec le Créateur, puisque ton corps prend chaque jour une couleur nouvelle.

Tu as rejeté ton fils, mais il est devenu le pupille de Dieu, qui a plus de tendresse pour lui qu’une nourrice, pendant que tu es dénué de toute miséricorde.

Sam poussa un cri, dans son sommeil, comme un lion furieux qui tombe dans un filet.

Ce rêve lui fit craindre que le sort ne lui réservât une leçon de malheur.

Aussitôt qu’il fut réveillé, il appela auprès de lui les sages, rangea les chefs de son armée et se mit en marche en toute hâte vers les montagnes pour réclamer celui qu’il avait rejeté.

Il vit un rocher qui s’élevait jusqu’aux Pléiades et qui semblait vouloir arracher les étoiles.

Sur le rocher s’élevait un nid immense que la mauvaise influence de Saturne ne pourra jamais atteindre ; des troncs d’ébène et de santal y étaient fixés et des branches d’aloès y étaient entrelacées.

Sam regarda ce rocher et la puissance du Simurgh et la hauteur de son nid.

C’était un palais dont le faîte montait jusqu’aux étoiles et qui n’était construit ni à l’aide d’une scie, ni en pierre, ni en terre.

Il y vit un jeune homme de haute taille qui lui ressemblait et qui faisait le tour du nid.

Frappant la terre de son front, il adressa des louanges au Créateur pour avoir créé sur cette montagne un tel oiseau et formé un rocher dont la tête s’élevait jusqu’aux Pléiades.

Il reconnut que Dieu était le distributeur de la justice, le tout-puissant, le sublime au-dessus de toute chose sublime.

Il cherchait un chemin pour monter, il cherchait quelle était la voie que suivaient les animaux sauvages pour gravir cette haute montagne autour de laquelle il tournait, en implorant Dieu, sans trouver d’accès.

Il dit :

Ô toi, qui es plus élevé que les plus hauts lieux, plus élevé que l’arc brillant du ciel, plus élevé que le soleil et la lune !

Je baisse la tête en implorant ton pardon, mon âme se prosterne en crainte devant toi ; si cet enfant est issu de ma race pure et n’est pas de la race d’Ahriman le mauvais, aide ton esclave à monter ici, sois miséricordieux envers ce pécheur.

Lorsqu’il eut ainsi soumis à Dieu les secrets de son âme, sa prière fut exaucée sur-le-champ.

Le Simurgh regarda du haut de la montagne et apercevant Sam et son cortège, il sut que c’était pour l’enfant que le roi venait et que ce n’était pas par amour pour le Simurgh qu’il s’était mis en peine.

Alors, il parla ainsi au fils de Sam :

Ô toi, qui as partagé la misère de ce nid et de ce gîte, je t’ai élevé comme une nourrice, je suis pour toi comme une mère et je suis une source de bonheur pour toi.

Je t’ai donné le nom de Destan-i-zend, car ton père a usé envers toi de fraude et de ruse ; et quand tu seras rentré chez toi, demande que le brave qui te guidera t’appelle ainsi.

Ton père est Sam, le héros, le Pehlewan du monde, le plus éminent d’entre les grands.

Il est venu près de ce rocher pour chercher son fils et la splendeur t’attend auprès de lui.

Il faut maintenant que je te rende à ton père, que je te porte devant lui sain et sauf.

Le jeune homme entendit ces paroles du Simurgh et ses yeux se remplirent de larmes et son cœur de tristesse.

Il n’avait jamais vu d’hommes, mais il avait appris du Simurgh à parler et à répondre.

Quand il parlait, c’était comme un écho du Simurgh ; il avait beaucoup d’intelligence et la sagesse d’un vieillard.

Sa parole, son esprit et son jugement étaient droits ; c’était à Dieu seul qu’il demandait la force du corps.

Écoute ce qu’il répondit au Simurgh :

Tu es donc fatigué de ma compagnie ; ton nid est pour moi un trône brillant, tes deux ailes sont pour moi un diadème glorieux.

Après le Créateur, c’est toi à qui je dois le plus de reconnaissance, car tu as adouci mon sort malheureux.

Le Simurgh lui répondit :

Quand tu auras vu un trône et une couronne et la pompe du diadème des Keïanides, peut-être qu’alors ce nid ne te conviendra plus ; essaye le monde.

Ce n’est pas par inimitié que je t’éloigne, c’est sur un trône que je te porte.

J’aurais désiré que tu restasses ici, mais l’autre destinée vaut mieux pour toi.

Emporte une de mes plumes pour rester sous l’ombre de ma puissance ; et si jamais on te met en danger, si l’on élève un cri contre tes actions, bonnes ou mauvaises, jette cette plume dans le feu et de suite tu verras ma puissance ; car je t’ai élevé sous mes ailes, je t’ai laissé grandir avec mes petits.

Je viendrai aussitôt comme un noir nuage pour te porter sain et sauf dans ce lieu.

Ne laisse pas s’effacer de ton cœur ton amour envers ta nourrice, car mon âme te porte un amour qui me brise le cœur.

Il le consola ainsi et le souleva, il l’éleva dans les airs en tournant et le porta en volant devant son père.

Les cheveux de Destan lui tombaient jusqu’au-dessous de la poitrine ; son corps était comme celui d’un éléphant, ses joues comme une peinture.

Lorsque son père le vit, il poussa un soupir douloureux ; il baissa aussitôt la tête devant le Simurgh et le couvrit de ses bénédictions :

Ô roi des oiseaux, le Créateur t’a donné de la force, de la puissance et de la vertu, parce que tu es le sauveur des malheureux, parce que, en fait de bonté, tu es supérieur à tous les juges.

Les méchants sont toujours confondus par toi !

Puisses-tu rester puissant à jamais !

Le Simurgh retourna sur-le-champ à la montagne et Sam et son cortège tenaient les yeux fixés sur lui ; puis Sam regarda son fils de la tête aux pieds et reconnut qu’il était digne du trône et de la couronne.

Destan avait la poitrine et le bras d’un lion et un visage de soleil, un cœur de héros et une main avide de tenir une épée.

Ses cils étaient noirs, ses yeux couleur de bitume, ses lèvres comme le corail, ses joues comme le sang.

Il n’avait aucun défaut, excepté ses cheveux ; on ne pouvait découvrir en lui une autre tache.

Le cœur de Sam devint comme le paradis sublime et il bénit son enfant innocent :

Ô mon fils, dit-il, adoucis ton cœur envers moi, oublie ce qui s’est passé et accorde-moi ton amour.

Je suis le dernier des esclaves adorateurs de Dieu et puisque je t’ai retrouvé, je promets devant Dieu le tout-puissant que jamais mon cœur ne sera plus dur pour toi.

Je chercherai à faire tout ce que tu souhaiteras en bien ou en mal et dorénavant tout ce que tu désireras sera un devoir pour moi.

Il l’habilla d’une tunique digne d’un Pehlewan et quitta la montagne ; il descendit de la montagne et demanda un cheval pour son fils et une robe dont un roi pût se vêtir ; puis il lui donna le nom de Zal-zer, comme le Simurgh lui avait donné celui de Destan.

Toute l’armée s’assembla devant Sam, le cœur ouvert et en joie ; des timbaliers assis sur des éléphants les précédaient et la poussière s’élevait comme une montagne bleue.

Les tambours battaient et les timbales d’airain, les sonnettes d’or et les clochettes indiennes résonnaient.

Tous les cavaliers poussèrent des cris et achevèrent leur route plein d’allégresse ; ils arrivèrent ainsi joyeusement dans la ville et s’y arrêtèrent avec les Pehlewans.

Dernière mise à jour : 7 sept. 2021