Lohrasp

Histoire de Kitaboun fille du Kaisar

Or il arriva que le Kaisar avait l’intention, lorsqu’il aurait une fille devenue grande et désirant se marier et qu’il verrait arrivé le temps de lui donner un époux, de tenir dans son palais une assemblée des grands, des sages, des hommes de bon conseil, enfin de tous ceux qui étaient ses égaux et les plus puissants parmi les hommes illustres, puis alors de faire traverser à cette fille au visage de lune toute cette assemblée réunie dans le palais, pour se choisir un mari, mais en restant entourée d’esclaves, de sorte qu’aucun homme ne pût apercevoir même son diadème.

Or le Kaisar avait alors dans l’appartement des femmes trois filles célèbres dans le monde pour leur stature, leur beauté, leur grâce, leur vertu et leur modestie.

L’aînée portait le nom de Kitaboun ; elle avait de l’esprit et un caractère serein et joyeux.

Une nuit elle vit en rêve tout le pays éclairé par le soleil ; elle vit paraître une masse d’hommes telle que les Pléiades s’enfuirent devant cette foule ; à la tête de cette réunion se trouvait un inconnu, un étranger, le cœur plein de soucis, la tête pleine de savoir ; il était grand comme un cyprès, beau comme la lune et s’asseyait comme un roi qui s’assied sur son trône.

Kitaboun lui remit un bouquet de fleurs et en reçût un de lui, plein de beauté et de parfum.

Le matin, lorsque le soleil commença à rayonner et que le sommeil quitta les têtes des grands, le Kaisar réunit une grande assemblée de tous les braves et de tous les héros ; ils s’assirent gaiement dans cette réunion, ensuite on appela Kitaboun au visage de lune.

Elle quitta sa chambre, entourée de soixante esclaves et tenant en main un bouquet de roses, elle traversa la foule jusqu’à ce qu’elle fût fatiguée, mais personne ne lui convint et elle s’en retourna de la salle d’audience dans l’appartement des femmes, marchant fièrement, mais pleurant en secret et désirant dans son cœur un mari.

La terre était alors noire comme le plumage du corbeau ; mais lorsque le flambeau du soleil se leva au-dessus des montagnes, le Kaisar ordonna de réunir au palais impérial tous les notables riches, mais d’un rang inférieur, espérant qu’un d’eux plairait par sa beauté à Kitaboun.

Lorsque cette nouvelle se répandit parmi les grands, les hommes renommés et les chefs, le prudent chef du bourg dit à Guschtasp :

Combien de temps veux-tu donc rester caché ?

Va au palais, car il se peut que la couronne et le trône du pouvoir t’échoient et que ton cœur soit délivré de ses soucis.

Guschtasp l’écouta et partit avec lui ; il entra rapidement dans le palais du Kaisar, où il se plaça dans a un coin, séparé des grands et s’assit tristement et l’âme désolée.

Des esclaves pleines d’intelligence arrivèrent, ensuite Kitaboun entourée de servantes aux joues de rose ; elle fit le tour de la salle de son père, précédée et suivie de ses esclaves.

Quand elle aperçût de loin Guschtasp, elle se dit :

Voilà mon rêve qui s’éclaircit

Et sur-le-champ elle para de son riche et noble diadème la tête heureuse du prince.

Lorsque le Destour qui l’avait instruite vit cet acte, il courut à l’instant auprès du Kaisar, s’écriant :

Elle a choisi dans l’assemblée un homme dont la taille est celle d’un cyprès dans la prairie, dont les joues sont un jardin de roses et les bras et les épaules tels qu’ils jettent dans l’étonnement ceux qui les voient.

Nous ne savons qui il est, mais on dirait que tout ce que Dieu peut donner de majesté repose sur lui.

Kaisar répondit :

A Dieu ne plaise que j’aie une fille qui amène de l’appartement des femmes le déshonneur sur ma famille !

Si je donnais ma fille à cet homme, j’aurais à courber le front de honte ; il faut donc qu’on tranche dans le palais la tête à elle et à celui qu’elle a choisi.

Le Destour lui répondit :

Ce n’est pas une affaire si grave. Il y a eu avant toi bien des princes choisis de cette manière. Or tu as dit à ta fille de prendre un mari et non pas de prendre un prince illustre ; et elle a choisi celui qui lui a convenu ;

ne détourne pas ton esprit de la voie de Dieu.

Cette coutume vient de tes ancêtres, tes pères pleins de fierté, de dévotion et de vertus et c’est par elle que Roum s’est fortifié ;

n’introduis pas de nouvelles voies dans ce pays florissant, ce ne serait pas digne d’un roi ;

ne prononce pas de pareilles paroles et ne marche pas dans une voie où tu n’as jamais marché.

Dernière mise à jour : 7 sept. 2021