Lohrasp

Ahren demande en marriage la troisième fille du Kaisar

Il y avait un homme plus jeune que Mirin, dont la taille dépassait celle de tous les grands du Roum : c’était un héros plein de dignité ; son nom était Ahren, il descendait d’une race puissante, son corps était d’airain.

Ce fils du roi se rendit auprès du Kaisar et lui dit :

Puisse ce pays prospérer sous toi !

Je suis supérieur à Mirin en toute chose, je suis plus riche, mon épée est plus forte, mon courage plus grand.

Donne-moi ta fille cadette et je rendrai brillants ton armée et ton diadème.

Le Kaisar répondit :

Tu as peut-être entendu quel serment j’ai fait devant le Créateur.

J’ai juré que ma fille ne choisira pas son mari et que je dévierai des coutumes de mes ancêtres.

Il faut faire une action comme celle de Mirin, ensuite tu seras mon égal.

Il y a dans le mont Sekila un dragon qui dévaste pendant toute l’année ce pays ; si tu délivres le Roum de ce dragon, je te donnerai ma fille et des trésors et une province.

Il est l’égal de ce loup qui abattait les lions et son souffle empoisonné est un piège que nous tend Ahriman.

Ahren lui répondit :

Je ferai ce que tu ordonnes : que ma vie soit garante de ma bonne volonté.

Il quitta le Kaisar, suffoqué de ses paroles.

Il dit à ses amis :

Ce coup de mort du loup n’a pu être donné que par l’épée d’un héros ;

comment Mirin aurait-il pu faire une telle action ?

Le Kaisar ne sait pas distinguer un homme d’un autre.

J’irai auprès de Mirin et lui ferai des questions : il m’indiquera peut-être quelqu’un qui ait un moyen de salut.

Il courut au palais de Mirin et envoya un serviteur pour annoncer sa visite.

Or Mirin avait une salle telle que la lune n’en posssède pas une semblable dans son orbite ; c’était un homme ambitieux, hautain et brave, qui portait sur la tête un diadème comme le Kaisar.

Un esclave lui dit qu’Ahren au corps d’éléphant arrivait avec une escorte ; alors il fit arranger sa salle encore plus magnifiquement et ses principaux domestiques sortirent pour recevoir Ahren.

Quand Mirin le vit, il l’embrassa et lui demanda des nouvelles de sa santé.

Ensuite ils renvoyèrent tout le monde de la salle d’audience et les deux princes s’assirent tout seuls sur le trône.

Ahren lui dit :

Réponds-moi et ne cherche pas à me tromper dans ce que je te demande.

Je désire épouser la fille du Kaisar, qui est la plus grande dame du Roum.

Je l’ai dit au Kaisar et il m’a répondu que je devais combattre le dragon dans la montagne ; raconte-moi donc ton combat avec le loup et sers-moi de guide et de maître.

Mirin, à ces paroles d’Ahren, se troubla et réfléchit que s’il refusait de dire à Ahren ce que Guschtasp, le champion du monde, avait fait, cela néanmoins ne resterait pas caché ; qu’un homme devait, avant tout, agir avec droiture, pendant que les voies ténébreuses et tortueuses ne conduisaient qu’à des larmes ; qu’il valait donc mieux dire la vérité ; que peut-être ce cavalier vaillant abattrait la tête du dragon et qu’alors, lui et Ahren étant amis et se soutenant, il ne resterait dans les mains de leurs ennemis que du vent ; plus tard ils pourraient détruire le cavalier, car leur secret resterait bien caché quelque temps.

Il dit à Ahren :

Je te dirai ce qui s’est passé avec le loup, quand tu m’auras prêté un grand serment de ne jamais parler de ce secret ni jour ni nuit et de ne jamais ouvrir les lèvres sur ce sujet.

Ahren s’engagea sur-le-champ par un serment solennel et accepta en tout point cette convention.

Alors Mirin appliqua le roseau sur le papier et écrivit une lettre à Heischoui, dans laquelle il dit :

Ahren, qui descend de la famille des Kaisars, est un prince ambitieux, riche, juste et possesseur d’un trône ;

il demande à épouser une fille du Kaisar, la dernière qui lui reste ;

mais le dragon lui tendra un piège et tâchera de le détruire.

Il est venu chez moi pour me demander un moyen de salut, je lui ai dévoilé ce qui s’est passé et lui ai raconté exactement l’histoire du loup et du vaillant cavalier.

Celui qui m’a tiré d’affaire voudra sans doute aussi tirer d’affaire Ahren, donner ainsi de la puissance dans ce pays à deux hommes et placer sur son propre front un diadème brillant comme le soleil.

Ahren, qui cherchait un moyen de salut, se rendit en toute hâte auprès de Heischoui et lorsqu’il fut arrivé au bord de la mer, l’ambitieux Heischoui l’aperçût, reçut de lui cette lettre faite pour le flatter, le salua humblement et rompit le fil qui fermait la lettre.

Ensuite, il lui dit :

Ô homme illustre, puissent les âmes nobles ne jamais être affligées !

Un jeune et glorieux étranger a donné à Mirin sa vie pour gage et maintenant, quand il combattra le terrible dragon, il faut espérer qu’il ne périra pas dans cette lutte.

Je ne puis que parler, c’est à lui d’agir ; mais c’est toujours quelque chose que de donner de bonnes paroles.

Contente-toi, cette nuit, de cette maison ; établis-toi ici et réjouis-toi de l’aspect de la mer, car le héros illustre viendra demain et je lui dirai tout ce que tu voudras que je lui dise.

Ils placèrent des flambeaux sur le bord de la mer et se mirent à manger et à boire du vin jusqu’à ce que les lueurs du matin se répandissent du soleil sur la surface verte de la terre et la voûte bleue du ciel.

Dans ce moment un vaillant cavalier parut sur la plaine ; l’illustre Ahren l’aperçut du bord de la mer et dit à Heischoui :

Cet homme glorieux arrive ; regarde, le ciel est rempli de la poussière que soulève son cheval.

Quand il fut plus près les deux hommes au cœur joyeux coururent à pied au-devant de lui ; le vaillant cavalier mit pied à terre et demanda à Heischoui du vin et de la nourriture.

Heischoui s’empressa de lui adresser ces paroles :

Puisses-tu être heureux jour et nuit, ô homme illustre !

Regarde ce descendant des Kaisars, qui fait la joie du ciel qui tourne.

Il est non seulement de la race des Kaisars, mais il a du pouvoir, un grand renom, des trésors et tout ce qu’il faut.

Il désire devenir le gendre du Kaisar et cherche quelqu’un qui pourrait le guider.

Il n’y a personne que les Kaisars qui soit de son rang ; il est brave, puissant et haut de taille.

Il a fait sa demande et on lui a répondu par une nouvelle exigence, car le Kaisar lui a dit :

Deviens vainqueur de dragons ; si tu es de ma race, fais une empreinte de Kaisar.

Devant les grands, il ne parle, jour et nuit, que de Mirin, en répétant que quiconque veut devenir un ornement du trône doit être l’émule du renom et de la fortune de Mirin.

Or, il y a non loin d’ici une haute montagne, qui offre partout des lieux propices aux fêtes et aux banquets ; mais un dragon demeure sur le sommet de la montagne et tout le pays de Roum est terrifié par ses ravages ;

Il tire du sein des airs le vautour, il arrache le crocodile terrible du fond de la mer ; son haleine et son venin brûlent la terre ; jamais personne n’a rien vu de semblable.

Si tu parviens à le tuer, tu jetteras dans l’étonnement le monde entier ; et si Dieu le très-saint te vient en aide dans cette entreprise, le soleil ne tournera plus que selon ton gré.

Nous ne connaissons aucun homme de guerre qui soit ton égal en stature et en force victorieuse.

Guschtasp lui répondit :

Va et prépare-moi un long khandjar, qui doit, avec la poignée, mesurer cinq empans ;

il faut qu’il ait des deux côtés des dents aiguës comme un serpent, qu’il porte une pointe semblable à une épine, qu’il ait été trempé avec du poison et du sang, qu’il soit tranchant et d’un poli brillant ;

donne-moi un destrier caparaçonné, une massue, une épée et une robe indienne et avec l’aide de Dieu et de ma fortune victorieuse, je précipiterai le dragon du haut de son arbre.

Dernière mise à jour : 7 sept. 2021