Keïkobad

Afrasiab se rend auprès de son père

...

Du côté par où Afrasiab s’était enfui, il courut jusqu’au bord du Djihoun ; il s’arrêta près de la rive pendant sept jours et le huitième il se remit en marche plein de colère et d’angoisse.

Le fils de Pescheng arriva auprès de son père la langue pleine de discours, le cœur plein d’hésitation ; il dit :

Ô roi dont le nom est glorieux, tu as eu tort de chercher cette guerre.

En premier lieu, les braves des anciens temps n’auraient jamais cru qu’il fût permis à un roi de rompre la foi donnée.

Ensuite le monde n’est pas délivré de la race d’Iredj et le poison malfaisant n’a pas été converti en thériaque.

Quand l’un meurt, un autre prend sa place et jamais ils ne laissent le monde sans maître.

Kobad est venu, a mis la couronne sur sa tête et a ouvert de nouveau la porte de la vengeance.

Parmi les descendants de Sam a paru un cavalier à qui Destan a donné le nom de Rustem.

Il est venu comme un crocodile furieux.

On eût dit qu’il allait consumer le monde en un instant.

Il s’élançait sur les hauteurs et dans les vallées ; il frappait de la massue, de l’épée et de l’étrier ; l’air se remplissait des débris qui volaient sous sa massue et ma vie ne valait pas une poignée de poussière.

Toute notre armée a été dispersée par lui ; personne dans le monde n’a vu une chose aussi étonnante.

Il aperçut mon étendard à une aile de mon armée et suspendant à l’arçon sa massue pesante, il me souleva de ma selle de bois de peuplier ; tu aurais dit que je ne pesais pas autant qu’une mouche.

Ma ceinture et la boucle de ma tunique rompirent et je tombai de sa main sous ses pieds.

Aucun lion n’a une force pareille ; ses deux pieds s’appuient sur la terre, sa tête s’élève jusqu’aux nuages.

Mes cavaliers vaillants, réunis en une masse compacte, m’arrachèrent de cette main dure comme un éclat de rocher.

Tu sais que j’ai le cœur et le bras, la bravoure, la hardiesse et la prouesse d’un roi ; mais dans sa main je ne suis qu’une mouche et sa gloire me remplit de tristesse.

J’ai vu un homme au corps d’éléphant et aux griffes de lion, contre lequel ne peuvent rien la réflexion et la ruse, les conseils et la prudence.

Il lâcha les rênes à son cheval qui est comme un éléphant furieux, qui franchit également les torrents, les précipices et les chemins de la plaine.

On frappa avec plus de mille massues sur ce corps de héros ; mais tu aurais dit qu’il était de fer, qu’il était composé de pierre et d’airain.

Qu’est-ce devant lui qu’une mer ou une montagne ?

Qu’est-ce qu’un éléphant furieux ou un lion en colère ?

Il s’élançait comme un guépard de chasse et la guerre pour lui n’était qu’un jeu.

Si Sam eût été un guerrier comme lui, il n’y aurait plus de Turc qui puisse porter haut la tête.

Il ne te reste plus qu’à demander la paix, car ton armée ne peut lui résister.

Je suis un homme qui ambitionne la possession du monde, je suis le soutien de ton armée et ton refuge dans le danger ; mais auprès de lui toute ma force s’est évanouie.

Va, cherche des conseils et fais la paix.

La terre que Feridoun le héros a donnée à Tour le vaillant dans les anciens temps, on te l’a livrée et le partage était juste.

Il ne faut pas que tu cherches à te venger ; car si nous dépassons nos limites et que nous portions la guerre dans l’Iran, nous rendrons la terre étroite pour nous-mêmes.

Tu sais que voir vaut mieux qu’écouter et ce qu’on entend est toujours creux.

Tu as regardé la guerre contre l’Iran comme un jeu, mais ce jeu est devenu long pour ton armée.

Ne renvoie pas à demain ce que tu as à faire aujourd’hui, car qui sait ce que le sort amènera demain ?

Le jardin de roses est aujourd’hui en fleurs ; mais si tu veux y aller cueillir demain, il n’y aura plus de roses.

Réfléchis combien il y avait de housses d’or, combien de casques d’or et de boucliers d’or, combien de chevaux arabes avec des rênes d’or, combien d’épées indiennes dans des fourreaux d’or et combien plus encore de guerriers renommés sur lesquels le vent a soufflé et qu’il a emportés ignominieusement, tels que Kelbad, Barman le vaillant qui faisait sa proie de tous les lions, Khazarwan que Zal a fait périr misérablement, à qui il a montré la puissance de sa massue pesante ; Schemasas qui était le soutien de l’armée de Touran et que Karen a tué sur le champ de bataille et en outre dix mille braves renommés qui sont morts dans cette guerre.

Mais ce qui est encore pis, ton nom et ton honneur sont flétris et c’est une brèche que rien ne pourra jamais réparer.

Si un chef renommé est tombé sous ma main comme le vertueux Aghrirez que j’ai tué, la récompense du bien et du mal qu’on fait dans cette vie a lieu dès aujourd’hui et demain on nous demandera compte de nos actions.

Tous les chefs sont venus me trouver, chacun suivi de sa bannière ; ils m’ont beaucoup parlé de ce jour funeste, des clameurs m’ont poursuivi et j’en gémis et en suis confus.

Maintenant, il faut que tu oublies ce qui est passé et que tu te hâtes de faire la paix avec Keïkobad ; car si tu te décidais pour autre chose, des armées se réuniraient contre toi de quatre côtés.

D’un côté est Rustem semblable au soleil brillant, avec sa massue et son épée, avec sa gloire et sa force ; de l’autre côté se trouve Karen le guerrier, dont les yeux n’ont jamais vu une défaite, du troisième côté se tient Keschwad au casque d’or, qui est allé à Amol menant avec lui son armée ; du quatrième côté est Mihrab, le maître du Kaboul, chef des armées du roi, plein de gloire et de prudence.

Dernière mise à jour : 7 sept. 2021