Kobad fils de Khosrou Parviz

Commencement du récit

...

Lorsque Schirouïeh se fut assis joyeusement sur le trône, il plaça sur sa tête cette couronne des Keïanides, symbole de la justice.

Les héros iraniens arrivèrent et lui rendirent l’hommage dû aux rois et tous dirent à haute voix :

Ô noble roi, plein de mérite !

De même que Dieu t’a donné la couronne et t’a fait asseoir tranquillement sur le trône d’ivoire, puisse de même le monde appartenir à ta famille et à tes alliés.

Kobad leur répondit :

Puissiez-vous être toujours victorieux et heureux !

Nous ne ferons jamais le mal ; bien glorieuse est la justice unie à une disposition bénévole.

Nous assurerons au monde la sécurité, nous détruirons les œuvres d’Ahriman à l’aide des règles parfaites, transmises par nos ancêtres, qui feront briller notre religion d’un nouvel éclat.

J’enverrai un message à mon père, je lui ferai connaître tout l’état des choses.

C’est à cause des mauvaises actions qu’il a commises que tout cela lui est arrivé.

Il demandera pardon à Dieu de ses péchés, il se conduira selon les règles et marchera dans la bonne voie.

S’il consent à suivre mes avis, lui qui a tant affligé mon cœur, il vivra sans être affligé.

Alors je m’appliquerai aux affaires du monde, je m’efforcerai de faire en public et en secret ce qui est juste ; je ferai le bonheur des bons et ne briserai pas le cœur des pauvres.

Maintenant j’ai besoin de deux hommes nobles et éloquents qui connaissent ce qui s’est passé autrefois.

Se tournant vers l’assemblée, il dit :

Qui est-ce qui me servira ?

Quels sont les plus purs et les plus prudents chefs de l’Iran ?

Les héros indiquèrent par leurs regards deux hommes instruits, qu’on pouvait employer, si cela ne leur déplaisait pas et Schirouïeh comprit sur qui, parmi tous, tombait le choix des Iraniens : c’étaient Aschtad et Kharrad, fils du vieux Berzin, deux hommes savants, éloquents et observateurs.

Il leur dit :

Ô hommes intelligents, qui avez beaucoup vu et beaucoup fait !

Ne regardez pas comme trop pénibles les affaires du monde ; car c’est par la peine que les grands acquièrent des trésors.

Ces deux hommes sages se levèrent à contrecœur et s’apprêtèrent à partir, les cils des yeux pleins de larmes.

Lorsque Kharrad, fils de Berzin et Aschtad, fils de Guschasp, furent montés à cheval, selon l’ordre du roi, celui-ci leur dit :

Mettez de la bonne volonté et prenez la route de Thisifoun, portez ce message à mon auguste père et rappelez-vous tout, d’un bout à l’autre ; dites-lui :

Ce n’est pas notre faute ; les Iraniens n’étaient pas les maîtres ; c’est la vengeance de Dieu qui t’a frappé, lorsque tu t’es détourné de ce qui est bien.

D’abord un fils bien né qui verse le sang de son père, si impur qu’il soit, ne sera jamais approuvé par celui qui racontera une histoire pareille.

Ensuite le monde est plein de tes trésors et tes exactions se sont étendues sur tous les pays ; tu as rempli de douleur le cœur des hommes de bien et en cela aussi personne ne t’approuve.

Puis, il y a tant de vaillants cavaliers, tous illustres dans l’Iran, qui n’ont pu jouir ni de leurs enfants, ni de leurs terres, ni de leurs familles chéries, l’un étant envoyé vers la Chine, l’autre du côté du Roum, tous dispersés dans tous les pays.

Ensuite le Kaïsar, qui a tant fait pour toi, qui a fait toute espèce de sacrifices pour toi, qui t’a donné une armée, sa fille, de l’or et avec l’or bien des choses précieuses, t’a demandé de rendre au Roum la croix du Messie pour que son pays fleurisse.

À quoi sert cette croix de Jésus dans ton trésor, pendant que le Kaïsar aurait été si heureux de cette grâce ?

Et pourtant tu l’as refusée, tu as manqué d’intelligence et tu n’as pas suivi la voie de l’humanité, parce qu’un autre s’est tellement emparé de toi, que les yeux de ta raison se sont troublés et que tu as laissé extorquer leurs biens à des malheureux ; ce sont leurs malédictions qui t’ont perdu.

Ensuite tu avais deux fois huit fils, dont les jours et les nuits se sont passés dans la prison et personne dans ta cour ne pouvait dormir en sécurité à cause de toi et l’on s’en éloignait en secret par peur de toi.

Sache que ce qui t’arrive vient de Dieu et réfléchis sur tes vilaines actions.

Je ne suis que l’instrument du malheur qui en est résulté, je ne suis que le seuil sur lequel passent les choses ; je jure par Dieu que tout cela n’est pas de ma faute, que je n’ai pas cherché à ruiner le trône du roi.

Demande maintenant pardon de tout ce que tu as fait, demande-le à ces grands de l’Iran ; tourne-toi vers Dieu après tes méfaits, c’est lui qui est le guide vers la vertu et espère qu’il te tendra une main secourable dans ces peines que tu aurais pu éviter.

Les deux hommes, ayant écouté le message, partirent l’âme blessée et tourmentée et allèrent jusqu’au pays de Thisifoun, les yeux pleins de larmes, le cœur gonflé de sang ; de la ville, ils se rendirent au palais de Marousipend, où se trouvait le Grand Roi.

À la porte était assis Galinous, devant lequel on aurait dit que la terre bouillonnait ; toute sa troupe était en armes, toute ornée et parée et les épées tirées, revêtue de cuirasses et de casques, montée sur des chevaux arabes caparaçonnés.

Galinous tenait en main une massue d’acier, son cœur était plein de feu et d’orage.

Quand Kharrad, fils de Berzin et Aschtad, fils de Guschasp, ces deux sages, descendirent de cheval, Galinous se leva à l’instant, tout réjoui de les voir, leur assigna des places d’honneur pour s’asseoir et les appela des grands, des hommes illustres.

L’éloquent Kharrad, fils de Berzin, prit le premier courageusement la parole et dit à Galinous :

Le fortuné Kobad a mis paisiblement sur sa tête la couronne des Keïanides et l’on a annoncé à l’Iran, à l’Aniran et au Roum que Schirouïeh occupe le trône des rois des rois.

Pourquoi es-tu armé de cette cuirasse, du casque, de la massue et de l’arc et qui est ton ennemi ?

Galinous répondit :

Ô homme plein d’expérience, puisse tout se faire selon tes désirs !

Tu as pitié de mon corps délicat, parce que ma tunique est de fer.

Je te rends grâces de cette tendresse et je devrais répandre des joyaux sur toi.

Jamais tu ne prononceras que de bonnes paroles ; puisse le soleil être ton protecteur dans le monde !

Dis ce qui t’amène et puis demande-moi une réponse.

Kharrad dit :

Le fortuné Kobad m’a donné quelques messages pour Khosrou et si tu veux lui demander audience pour moi, je lui dirai tout ce que le maître du monde et le peuple m’ont chargé de lui dire.

Galinous répondit :

0 homme noble, qui pourrait répéter leurs paroles aussi bien que toi ?

Mais Kobad, le roi de l’Iran, m’a prodigué les avis et les recommandations pour que ni jour ni nuit je ne permette qu’on parle à Khosrou, à moins que je ne puisse entendre ce qu’on dit, soit qu’on parle en langue perse, soit qu’on se serve du pehlewi.

Aschtad lui dit :

Ô homme heureux !

Je ne fais pas un secret de mon message.

Il est tel que cette épée aura à porter fruit et qu’il y aura à jeter dans les plis de leurs tuniques les têtes des plus fiers.

Demande maintenant à Khosrou une audience pour que je puisse lui remettre le message du roi.

Galinous l’écouta, se leva, boutonna partout la cuirasse qu’il portait, entra chez le roi en se croisant les mains sur la poitrine, comme le doit faire un serviteur et dit à Khosrou :

Ô roi, puisses-tu vivre éternellement, puisse ton cœur n’être jamais affligé par le malheur !

Aschtad et Kharrad, fils de Berzin, apportent un message que le roi t’envoie du palais.

Khosrou sourit et dit à haute voix :

Tes paroles ne sont pas raisonnables, car si c’est lui qui est le roi, que suis-je alors ?

Pourquoi suis-je dans cette prison étroite et pourquoi faut-il que tu me demandes audience pour ceux qui veulent me dire soit des faussetés, soit des vérités ?

Galinous s’en retourna auprès des héros, leur rapporta ces paroles royales et leur dit :

Entrez maintenant, les mains croisées sur la poitrine, parlez-lui et écoutez-le.

Les deux hommes intelligents, aux paroles sincères, se couvrirent la bouche d’une étoffe chinoise et lorsqu’ils virent le roi, ils se prosternèrent et restèrent ainsi tous les deux pendant longtemps.

Le maître du monde était assis sur un trône élevé, tout orné de têtes de béliers et de loups, tout brodé d’or et de pierreries entrelacées ; sous ses pieds était un tabouret en brocart jaune, derrière son dos se trouvaient des coussins couleur de lapis-lazuli ; il avait dans la main un gros coing et se tenait, avec une mine sombre, renversé sur son siège.

Lorsqu’il aperçut ces deux hommes puissants, qui excellaient en sagesse, il se redressa de sa position couchée et invoqua dans son âme l’appui du Créateur ; il posa sur le coussin ce beau coing et s’apprêta à adresser des questions à ces deux esclaves, mais le coing glissa doucement sur les deux coussins, tournant tranquillement et descendant cette pente de brocart, jusqu’à ce qu’il roulât du trône royal sur le sol.

Aschtad courut le prendre, l’essuya pour ôter la poussière et le posa sur son front.

Le maître du monde détourna les yeux d’Aschtad pour ne pas voir la couleur ni sentir le parfum du coing ; ensuite les deux hommes placèrent le coing sur le trône et restèrent debout devant le roi.

Khosrou devint soucieux de cette affaire du coing, dans laquelle il vit un mauvais présage ; il tourna les yeux vers le ciel, disant :

Ô juge véridique !

Qui peut relever celui que tu renverses, qui peut rétablir celui que tu brises ?

Lorsque la fortune brillante abandonne une famille, elle amène le chagrin aussitôt que les jours de joie sont passés.

Il dit à Aschtad :

Quel message apportes-tu de la part de ce vil jeune homme sans âme et de ces atroces malfaiteurs, malveillants, au cœur noir et soupçonneux ?

Ils méditent tous le mal et manquent de sagesse et dans leur ignorance, ils sont indisciplinables.

La fortune va abandonner ma famille et personne de ma race ne sera plus heureux.

La couronne et le trône tomberont dans des mains indignes et cet arbre royal périra ; le pouvoir ne restera ni à mon fils, ni à ma famille, ni à mes parents, ni à mes alliés ; tous leurs amis deviendront des ennemis ; ils attaqueront cette famille par leurs paroles et leurs actes.

Ce coing a révélé le secret : le trône des rois des rois ne portera plus de fruit.

Maintenant répète-moi tout ce qu’on t’a dit ; le message de cet homme m’est plus indifférent que l’eau qui coule dans le ruisseau.

Les deux hommes ouvrirent leurs lèvres éloquentes et lui répétèrent toutes les paroles de son fils.

Le roi les écouta et poussa un soupir en se tordant, puis il dit à l’illustre Aschtad :

Écoute ma réponse et rapporte-la tout entière au nouveau roi.

Dis-lui :

Ne blâme personne avant d’avoir renoncé toi-même à ce qui est blâmable.

Tout ce que tu me fais dire ne vient pas de toi.

Puisse celui qui t’a inspiré perdre la santé !

Ne dis jamais des choses insensées qui remplissent de joie ton ennemi quand ils les entend, car il comprendra que tu n’as pas assez d’intelligence pour que ton cerveau puisse nourrir une pensée sage.

Quand tu te fies à des paroles stériles, tu te fausses le cœur et l’esprit.

Un homme qui t’appelle scélérat et puis te salue comme maître du monde, n’est pas digne de s’asseoir devant toi ni d’être chargé d’affaires grandes ou petites.

Ne médite plus de message comme celui que tu m’envoies, car tes ennemis en seraient dans la joie.

C’est Dieu qui a décidé de mon sort, mes vœux ne s’adressent plus qu’à l’autre monde ; mais toi, tu ne gagneras pas de gloire devant les grands par tes accusations mensongères contre moi.

Dernière mise à jour : 7 sept. 2021