Keï Khosrou

Thous voit Siawusch en songe

...

Une nuit, à l’heure où l’on bat le tambour, Thous s’endormit le cœur blessé et plein de soucis.

Il vit alors en songe un flambeau brillant qui s’élevait de l’eau et au milieu de cette lumière un trône d’ivoire sur lequel était assis Siawusch, en grande pompe et une couronne sur la tête.

Ses lèvres souriaient, sa langue prononçait des paroles douces ;

Il tournait vers Thous son visage semblable au soleil et lui disait :

Maintiens les Iraniens ici à leur poste, car tu seras victorieux dans la bataille ;

Ne plains pas les parents de Gouderz, car nous sommes ici dans un frais jardin buvant du vin sous les roses et ne sachant quand nous l’épuiserons.

Thous se réveilla tout joyeux, le cœur délivré de ses soucis et de ses peines et il dit à Gouderz :

Ô Pehlewan du monde, j’ai eu un rêve ;

Sache que Rustem arrivera rapidement comme le vent et que nous pouvons l’attendre d’un moment à l’autre.

Il ordonna alors de sonner des trompettes et son armée s’ébranla sur la montagne.

Les braves de l’Iran se ceignirent et élevèrent en l’air le drapeau de Kaweh.

De son côté Piran amena son armée et la poussière obscurcit l’éclat du jour ;

Les cris des guerriers se firent entendre et une pluie de traits éblouit l’œil du soleil.

Les deux armées restèrent ainsi en présence, mais aucun des braves n’eut envie de combattre.

Houman dit a Piran :

Il faut livrer bataille !

Pourquoi tardes-tu ?

Ce n’est pas pour chasser que l’armée est ici et que les chevaux sont couverts de leur armure.

Piran lui dit :

Ne t’impatiente pas !

Nous n’avons pas besoin de nous hâter et il n’y a pas lieu de disputer.

Trois hommes avec une poignée de troupes sont sortis hier dans la nuit de leur camp à l’improviste ;

Ils se sont conduits comme des lions affamés qui s’élancent en bondissant de la montagne et nous étions devant eux comme un troupeau ;

Nous avons trouvé toute la plaine inondée de sang et les plus illustres de nos guerriers abattus.

Ils n’ont qu’une montagne stérile et des ronces et leurs chevaux affamés flairent la terre comme si c’était du musc.

Attends donc qu’ils se soient exténués sur ces rochers ;

Et quand toutes leurs ressources seront épuisées, ils périront.

Ne leur ouvrons pas un chemin ni en avant ni en arrière de leur camp.

Si nous pouvons nous emparer de nos ennemis sans combat, cela vaut bien un retard d’un ou deux jours.

Pourquoi donc provoquer une bataille ?

Il suffit d’envoyer cent cavaliers en vedette dans cette plaine et de rester tranquille jusqu’à ce que le manque de vivres et d’eau ait réduit les ennemis à demander grâce pour leur vie ;

Car, à moins de pouvoir vivre de terre et de pierres, ils périront demain.

Ils se retirèrent alors du champ de bataille sous leurs tentes et placèrent des vedettes le long du front de l’armée ;

Les héros ôtèrent leurs ceintures et se mirent à manger et à dormir.

Thous se rendit aussi dans son camp, le cœur gonflé de sang et le visage rouge comme la sandaraque.

Il dit à Gouderz :

Nos affaires vont mal, la fortune de l’Iran se trouble ;

Nous sommes entourés de troupes de tous côtés ;

Nos chevaux n’ont pour se nourrir que des épines et l’armée elle-même va manquer de vivres, de sorte qu’il ne nous reste d’autre remède que nos massues et nos glaive.

Tirons donc nos épées à la tombée de la nuit ;

Menons nos troupes au combat sur toute la lisière de la montagne.

Si notre bonne étoile nous favorise, elle te donnera la victoire ;

Et si le maître du ciel nous fait périr par le glaive, nous ne pouvons ni ajouter ni ôter au sort que le Créateur nous destine.

Ne t’inquiète donc pas follement.

J’aime mieux mourir en gardant un nom glorieux que de vivre craintif et déshonoré.

Tous les Iraniens se rangèrent de l’avis qu’avait énoncé leur chef fortuné.

Dernière mise à jour : 7 sept. 2021