Keï Khosrou

Thous entre dans le pays des Turcs

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Lorsque le soleil se fut montré dans toute sa grandeur, qu’il eut occupé sa place sur le trône des cieux, qu’il eut foulé aux pieds le signe du Bélier et qu’il eut rempli le monde d’une lumière dorée comme le vin, le bruit des tambours, des clairons et des timbales se fit entendre sous la porte des tentes de Thous ;

Tout le pays fut plein de tumulte, l’air retentit de voix, le hennissement des chevaux et le son des clairons de l’armée firent trembler la terre, la face du soleil et de la lune s’obscurcit et le cliquetis des armes et les cris des éléphants remplirent le monde comme les flots remplissent l’Indus.

L’air était rouge et jaune, bleu et violet ;

L’étendard de Kaweh brillait et les cavaliers de la famille de Gouderz l’entouraient.

Keï Khosrou parut sous la porte de l’enceinte de ses tentes, portant un diadème et précédé par des trompettes ; et Thous se mit en marche, suivi du drapeau de Kaweh et des guerriers illustres aux bottines d’or.

Les grands de la famille de Newder qui ambitionnaient la possession du monde marchaient à la tête de l’armée, parés de colliers et de diadèmes et s’approchaient du roi en faisant bondir leurs chevaux.

Thous se tenait sous un drapeau sur lequel on voyait une figure d’éléphant et dont la pointe dorée s’élevait jusqu’aux nues et tous ceux qui étaient de la famille de Minoutchehr avaient le cœur et l’âme remplis d’affection pour lui.

Ils s’avancèrent semblables à un nuage noir et le soleil et la lune cessèrent de briller.

Lorsque toute l’armée se fut approchée du roi, marchant bruyamment sous ses drapeaux et couvrant la plaine de casques, le roi ordonna au Sipehbed de lui amener les chefs illustres de ses troupes.

Le prudent roi leur dit :

Le Sipehbed Thous commande l’armée, il tient le drapeau de Kaweh, il faut que vous obéissiez à ses ordres.

Il remit à Thous, devant les braves, un sceau, le nomma leur chef et leur guide et lui dit :

Ne manque pas à ton devoir envers moi, respecte mon autorité et mes injonctions.

Il ne faut pas faire de mal à qui que ce soit sur la route, telle est la loi de la royauté.

Ne souffre pas qu’un vent froid atteigne le cultivateur et l’artisan, ni ceux qui ne sont pas ceints pour la guerre ;

Ne combats que ceux qui combattent ;

Ne fais pas de peine à ceux qui n’en font pas aux autres, car ce monde passager ne reste à personne.

Ne passe dans aucun cas par Kelat, car si tu prends ce chemin, tu en souffriras.

Puissent les mânes de Siawusch briller comme le soleil !

Puisse l’autre monde être pour lui un séjour plein d’espérance !

Il a eu un fils de la fille de Piran, qui d’après les ordres de son père ne s’est montré que rarement parmi les hommes.

C’est mon frère, il me ressemble beaucoup, il est jeune, né dans la même année que moi et a été élevé dans le bonheur.

Il demeure avec sa mère à Kelat, c’est un homme puissant, plein de majesté et entouré de braves.

Il ne connaît personne dans l’Iran, pas même de nom et il ne faut pas diriger la bride de vos chevaux de son côté ; il a une armée et des guerriers illustres et réside sur une montagne où ne conduit qu’une route difficile et étroite ; c’est un brave et vaillant cavalier, d’un naturel généreux et d’une complexion robuste.

Il faut donc que tu prennes le chemin du désert, car malheur à toi si tu blesses la griffe du lion.

Thous répondit au roi :

Puisse le sort ne jamais contrarier ta volonté !

Je prendrai le chemin que tu me prescris, car tes ordres ne peuvent conduire qu’au bien.

Thous partit sur-le-champ et le roi s’en retourna à son palais avec Rustem, qui lui était dévoué.

Il forma autour de lui une assemblée, où se trouvaient Rustem, des héros, des Mobeds, des princes et des sages et leur parla longuement d’Afrasiab, de ce qu’il avait souffert de lui et des tourments qu’avait endurés son père.

Cependant l’armée marchait de station en station, jusqu’à ce qu’elle arriva à l’endroit où le chemin se partageait en deux branches, dont l’une conduisait à un désert aride et sans eau, l’autre à Kelat et à Djerem.

On y arrêta les éléphants qui portaient les timbales pour attendre l’arrivée du Sipehdar Thous, qui devait décider lequel des deux chemins il voulait que prît l’armée.

Lorsque Thous, qui s’avançait sans se presser, fut arrivé auprès des chefs de l’armée, on parla de ce chemin dépourvu d’eau et aride et Thous dit à Gouderz :

Quand la poussière de ce désert aride serait de l’ambre et le sol du musc, nous aurions néanmoins besoin d’eau et d’un lieu de repos après une longue et pénible journée.

Il vaut donc mieux prendre la route de Kelat et de Djerem, en emportant avec nous de l’argent et de l’or et nous arrêter à Kelat, car nos troupes voudront se reposer.

Nous y trouverions à droite et à gauche des pays cultivés et arrosés, pourquoi irions-nous chercher le désert et les fatigues ?

J’ai fait un jour la route du désert avec Guezdehem qui me guidait et ce long chemin nous fatigua beaucoup, quoiqu’il n’y ait que peu de montées et de descentes ; il vaut donc mieux que l’armée suive l’autre route, où nous n’aurons pas à mesurer la longueur du désert et à compter le nombre des farsangs.

Gouderz lui répondit :

Le roi illustre t’a nommé chef et guide de cette armée, mais je te conseille de nous faire prendre la route qu’il a indiquée, car il ne faut pas que nous ayons à souffrir du choix que tu veux faire.

Le cœur du roi en serait blessé et l’armée se ressentirait de sa colère.

Thous lui dit :

Ô noble héros !

Ne t’inquiète pas de cela ; le roi ne sera pas mécontent, ne fais donc pas de ce souci le compagnon de ton âme.

Il dit et ordonna à l’armée d’avancer et de prendre le chemin de Kelat et de Djerem.

Il ne tint pas compte des ordres de Khosrou, mais tu verras quel orage finit par éclater sur lui.

Dernière mise à jour : 7 sept. 2021