Keï Khosrou

Lettre de Rustem à Keï Khosrou

...

Rustem appela un écrivain expérimenté et lui dit ce qu’il fallait mander au roi.

On écrivit, comme il l’avait ordonné, avec de l’ambre sur de la soie, une lettre telle qu’on les écrit aux rois et commençant par les louanges du Créateur :

Lui dont l’existence n’a ni commencement ni fin ;

Lui qui a créé la lune, Saturne et le soleil ;

Lui qui donne de l’éclat au pouvoir, aux diadèmes et à la bravoure, qui a créé le ciel, le temps et la terre, l’âme, la raison et la foi.

Puisse-t-il bénir le roi !

Puisse le temps ne jamais venir où il ne restera de lui que son souvenir !

Je suis arrivé selon tes ordres entre deux montagnes, où j’ai trouvé rassemblées les armées de trois royaumes et où l’ennemi avait réuni sur le champ de bataille plus de cent mille cavaliers armés d’épées, des hommes de Kaschan, de Schikin, de la Chine et de l’Inde, une armée qui s’étendait de la Chine jusqu’à la mer du Sind et qui couvrait de ses tentes, de ses éléphants et de ses bagages tout le pays depuis le Kaschmir jusqu’au pied du mont Schahd.

Je n’ai pas eu peur grâce à la fortune du roi et j’ai détruit ses ennemis sur le champ de bataille.

Nous avons combattu pendant quarante jours ;

On aurait dit que le monde était devenu trop étroit pour eux.

C’étaient tous des chefs de grands empires, maîtres des couronnes, des trônes et des diadèmes ;

Et à présent on ne peut plus passer entre les deux montagnes à travers les plaines et les ravins, tant il y a de sang et de morts et sur un espace de quarante farsangs le sol est coloré par le sang comme la rose.

Enfin, si je voulais tout dire sur ce long combat, ma lettre s’étendrait à l’infini.

Tous ces rois enchaînés, je les ai arrachés de dessus leurs éléphants avec mon lacet et je te les envoie avec des trésors et des joyaux sans nombre.

Maintenant je vais me porter sur Gangue, dans l’espoir que Guerouï Zereh se présentera devant ma massue.

Que toutes les langues te bénissent !

Que la voûte du ciel qui tourne soit le sol où tu poses tes pieds !

Rustem apposa son sceau sur la lettre et la donna au vaillant et noble Feribourz ;

Il lui remit les rois, les éléphants et trois mille chameaux chargés des dépouilles du champ de bataille et le fils de Kaous partit gaiement et se dirigea en toute hâte vers Keï Khosrou.

Rustem l’accompagna avec les grands et les braves de son armée, ensuite il l’embrassa et prit congé de lui et le prince versa des larmes.

Rustem rentra dans son camp lorsque les deux boucles de cheveux de la nuit commencèrent à se montrer ;

Tous les grands aux traces fortunées s’assirent au banquet en écoutant les chants et la musique et en buvant du vin et se rendirent à la fin dans leurs tentes, emportant des richesses au gré de leurs désirs.

Lorsque le soleil aux couleurs d’or commença à déchirer le voile noir de la nuit et au moment où le bruit des trompettes se fit entendre entre l’enceinte et la tente de Rustem, celui-ci se revêtit de son armure de combat, s’assit sur son destrier qui ressemblait à une montagne et ordonna à l’armée de se munir de provisions.

Lls commencèrent une marche pleine de difficultés.

On prit la longue route du désert et l’armée s’y avança prête à combattre.

Rustem dit à Thous, à Gouderz et à Guiv :

Ô illustres et vaillants guerriers, je recommence la guerre, je réduirai au désespoir nos ennemis.

Qui sait si cet homme prudent et rusé n’amènera pas de nouveau une armée tirée de la Chine, du Seklab et de l’Inde ?

Mais je le rendrai comme ivre, je le priverai de raison et réduirai son corps en poussière pour la répandre sur la tombe de Siawusch ;

De sorte que les peuples de l’inde, du Seklab, de Schingan et de la Chine ne lui offriront plus leurs hommages.

Il fit sonner des trompettes, la poussière s’éleva et remplit l’air, la terre était couverte de morts et la voix des grands avides de combats montait jusqu’aux nuages.

Pendant deux journées de marche à partir du champ de bataille ils trouvèrent partout le pays noirci de corps morts.

À la fin ils virent une forêt ;

Rustem s’y arrêta et couvrit de son armée les alentours et les bords du fleuve.

Ils y restèrent pendant quelque temps et l’armée se reposa des fatigues de sa longue marche ; ils burent du vin, ils écoutèrent les chanteurs ;

Les uns étaient gais et heureux, les autres dormaient enivrés.

Tous les rois, tous les grands et toutes les provinces envoyèrent des messagers à Rustem et lui offrirent beaucoup de dons précieux, des tributs et de l’argent.

Dernière mise à jour : 7 sept. 2021