Keï Khosrou

Lettre d'Afrasiab à Pouladwend

...

Afrasiab sortit de son palais et se rendit dans la plaine ;

Il avait hâte de commencer la guerre contre l’Iran.

Après avoir donné à Piran les ordres nécessaires, il se retira à l’écart ;

On appela un écrivain ; on renvoya de la tente tous les étrangers et le roi dit à Schideh :

Ne reste pas inactif et prépare-toi à partir sur l’heure avec deux cents cavaliers.

Ensuite, il s’adressa à l’écrivain plein d’expérience et lui dit :

Il ne faut pas cacher aux grands ses secrets ;

Ecris donc à Pouladwend une lettre et ouvre-lui ton cœur.

Commence par les louanges de Dieu le saint, le juste, qui donne la force et qui en prive ; de Dieu, maître de Saturne et du ciel qui tourne, maître de Vénus et du soleil brillant.

Ensuite rends hommage au vaillant et fortuné Sipehdar Pouladwend ;

Raconte-lui le danger dont me menacent l’illustre Rustem aux croyances ténébreuses et les grands pleins de courage, comme Thous, Gouderz et les autres héros iraniens ;

Raconte-lui l’histoire de mon petit-fils Khosrou le maître de la victoire, le roi du peuple de l’Iran, que j’ai élevé avec tant de soin qu’un souffle d’air même n’a pu l’atteindre.

Si le ciel sublime m’accorde sa grâce, Pouladwend arrivera dans ce pays, où une grande armée de Turcs, de Seklabs et de Chinois a été vaincue et a dû plier, où tant de provinces ont été dévastées par les braves de l’Iran.

Ils ont fait prisonnière toute une armée ;

Ils ont fait du Touran comme une mer de poix ;

Leur armée ressemble à une montagne en mouvement ;

Leur Sipehdar est Rustem le Pehlewan ;

Leurs chefs sont Gouderz et Thous ;

Leurs timbales retentissent jusqu’aux nues.

Mais quand Rustem aura péri de ta main, aucune armée ne prendra plus le chemin de notre pays, car toute la détresse du Touran ne vient que de lui.

Sois donc mon sauveur dans cette guerre.

Quand il aura reçu la mort de ta main, le monde entier me sera infailliblement assujetti.

Mais je ne prendrai pour moi que la moitié du riche empire et des trésors de Khosrou ;

Et l’autre moitié formera ton trône, ton diadème et ton trésor, puisque c’est toi qui vas essuyer aujourd’hui les fatigues du combat.

Le roi apposa son sceau sur la lettre ; et au moment où la lune montrait sa face dans le signe du Cancer, Schideh se ceignit les reins devant son père, dont il était le messager et qui l’avait chargé de porter à Pouladwend l’expression de ses inquiétudes.

Il partit rapidement comme la flamme, stimulé par ses craintes et arriva auprès de Pouladwend, qui demeurait dans les montagnes de la Chine et n’avait pas son égal en bravoure dans ce pays.

C’était un roi qui élevait la tête jusqu’au ciel sublime.

Schideh le salua, lui remit la lettre et lui rendit compte des entreprises de Rustem, disant :

Il est venu de l’Iran pour nous combattre ;

C’est un Sipehbed qui ressemble au lion et son armée se compose de léopards ;

Il a détruit notre beau pays ; puisse la bénédiction du ciel ne descendre jamais sur lui !

Il a chargé de chaînes Kamous, le Khakan, Manschour et Ferthous ;

Il porte son lacet roulé autour du bras ; son corps est revêtu d’une peau de lion ; il n’est jamais las de combattre et il emportera dans l’Iran jusqu’au sol du Touran.

Que pouvons-nous dire à ce héros impur ?

Il a détruit toute notre prospérité et par lui s’évanouira toute la splendeur du Touran.

Pouladwend manda les gouverneurs de ses provinces et ses Mobeds, leur parla longuement et leur fit connaître le contenu de la lettre.

C’était un homme ambitieux, jeune et téméraire ;

Il fit préparer les timbales et envoya ses tentes dans la plaine, rassembla ses troupes qui ressemblaient à des Divs et une immense clameur s’éleva du milieu des braves de son armée.

Pouladwend marcha à la tête de ses troupes, armé d’un bouclier, d’un carquois et d’un lacet ;

On portait derrière lui son étendard et c’est ainsi qu’il sortit des montagnes, passa le fleuve et arriva auprès d’Afrasiab.

On battit le tambour sous la porte du palais du roi ;

Toute l’armée du Touran alla à la rencontre de Pouladwend ;

Le vieux roi le serra dans ses bras et lui rappela longuement ce qui s’était passé autrefois ;

Il lui dit quel était l’homme qui inspirait de l’inquiétude aux Turcs et quels étaient le but et les moyens de cette entreprise.

Ils firent une entrée pompeuse dans le palais du roi ;

Ils tinrent conseil et ouvrirent de nouveaux avis.

Afrasiab exposa toutes les raisons qu’il y avait ou de tarder ou de se hâter ;

Il parla du passé, du meurtre de Siawusch, des guerres et des reproches que ce meurtre lui avait attirés, du sort du Khakan, de Manschour et du vaillant Kamous et il ajouta :

Toutes mes peines ne viennent que d’un seul homme, qui est vêtu d’une peau de léopard ;

Et mes armes ne font aucune impression sur son Bebr-i-beyan, son casque et son bouclier de la Chine.

Tu as traversé le désert et parcouru une longue route, maintenant trouve le moyen de nous délivrer de Rustem.

Pouladwend devint soucieux en réfléchissant comment il pourrait dénouer le nœud de cette aflaire.

À la fin il répondit :

Il ne faut pas se hâter d’attaquer.

Si Rustem est encore tel qu’il était lorsqu’il dévasta le Mazenderan et le conquit avec sa lourde massue, lorsqu’il déchira le flanc du Div blanc et les reins de Poulad fils de Rhandi et de Bid, je n’aurai pas la force de le combattre et n’oserai pas provoquer sa colère.

Je voue mon corps et mon âme à l’exécution de tes ordres ;

Puisse la raison être le guide constant de ton esprit !

J’essayerai de la ruse pour le vaincre, je tournerai autour de lui comme un léopard, pendant que tu exciteras ton armée à combattre contre la sienne ;

Et j’espère qu’il perdra la tête en nous voyant si nombreux et cela nous sauvera peut-être.

Sinon notre malheur est certain ;

Car nous n’avons pas la force de briser sa poitrine et ses membres.

Afrasiab se réjouit de ces paroles ;

Il fit apporter du vin brillant, des harpes et des rebecs ;

Et Pouladwend, lorsqu’il fut ivre, s’écria en poussant des cris furieux :

J’ai ôté à Feridoun, à Zohak et à Djemschid l’envie de manger, de dormir et de se reposer !

Le Brahmane a tremblé à ma voix et devant mes fiers guerriers ;

Et je vais tailler en morceaux sur le champ de bataille, avec mon épée tranchante, cet homme du Zaboulistan !

Dernière mise à jour : 7 sept. 2021