Keï Khosrou

Keï Khosrou reçoit des nouvelles de son armée

...

Cependant Keï Khosrou apprit que Piran avait remporté une victoire ;

Que Thous s’était retiré sur le mont Hemawen ;

Que beaucoup de braves avaient péri ;

Que la maison de Gouderz fils de Keschwad était privée de ses nobles héros ;

Que les astres les pleuraient et que dans le jardin le rosier ne croissait plus ;

Que leur mort remplissait le monde de sang et de poussière, enfin que le puissant astre de Thous avait baissé.

À ces nouvelles le cœur de l’illustre Keï Khosrou fut bouleversé ;

Il ordonna à Rustem au corps d’éléphant de se rendre avec son armée à la cour, où les sages, les expérimentés et les glorieux Mobeds de tout l’Iran se réunirent.

Le maître des grands commença à parler à Rustem des combats de l’armée iranienne, disant :

Ô toi qui porte haut la tête !

Je crains que ce vieil empire ne s’incline vers sa chute et mon âme est accablée de ces malheurs.

Tu as soutenu le trône et la couronne ;

Et la fortune, qui est la maîtresse du monde, t’emprunte sa splendeur.

Le cœur du firmament est sous la pointe de ton épée ;

Le ciel, la terre et le temps te sont soumis ;

Tu as arraché au Div blanc le cœur et le cerveau ;

Le monde met son espoir dans ta compassion ;

La terre est l’esclave de la poussière que soulève ton cheval Raksch ;

Le temps est pour toi une mère pleine de tendresse ;

Le soleil s’effraye de ton épée, Vénus pleure en voyant tes bras ;

Ta massue et la pointe de tes flèches font repentir le lion de son agression au jour du malheur.

Depuis que tu es homme et que tu as mis un casque sur ta tête, aucun ennemi n’a osé porter ses regards sur l’Iran ;

mais maintenant Thous, Gouderz et Guiv, les chefs de mon armée et beaucoup de braves de ce pays ont le cœur plein de sang et les yeux remplis de larmes et ils sont en fuite devant les guerriers d’Afrasiab.

Une grande partie de la famille de Gouderz est tombée, leur couche est la poussière du champ de bataille et tous ceux qui ont survécu restent blessés sur le mont Hemawen ;

Ils ont les yeux tournés vers le ciel, vers le Créateur du temps et de l’espace et prient que le héros au corps d’éléphant se rende auprès d’eux par mon ordre et avec la force que Dieu lui a donnée.

Il était nuit quand j’ai lu cette lettre ;

Mes yeux ont versé des torrents de sang ; pendant trois jours je n’en ai parlé que devant Dieu le secourable ;

Mais enfin ce malheur passe toute mesure ; mon cœur en est plein de soucis.

Tout l’espoir de l’armée et du Sipehbed est en toi.

Puisse ton âme être heureuse et ton corps rester sain !

Puisse ta tête rester jeune et ton cœur être joyeux !

Puissent les ennemis de Zal être impuissants contre lui !

Demande-moi tout ce qu’il te faut en chevaux, en armes, en trésors et en hommes et pars le cœur joyeux et l’esprit plein de fermeté, car il ne faut pas commencer mollement une si grande entreprise.

Rustem répondit :

Puissent le sceau et le diadème n’être jamais privés de toi !

Car tu es un roi glorieux, fort, sage et juste et la voûte du ciel n’a jamais connu ton pareil.

Le roi sait que jusqu’à ce que Keï Kobad eût placé sur sa tête la couronne des Keïanides, je suis resté dans l’Iran ceint pour le combat, sans prendre du repos pendant un seul jour, sans m’inquiéter des déserts, des ténèbres, des éléphants, des lions, des magiciens, des dragons courageux, des grands du Touran et du Mazenderan, de la nuit sombre, des lourdes massues, de la soif, des longues routes et des fatigues pour lesquelles je renonçais aux plaisirs.

J’ai éprouvé tant de douleurs et couru tant de dangers que je n’ai jamais pu penser à jouir de la vie un seul jour.

Tu es un jeune roi et je suis ton esclave ;

Je suis prêt à faire ce que tu ordonnes.

Puisse le roi se consoler de la perte de ceux qui sont morts !

Puisse le cœur de tes ennemis pâlir !

Je me rendrai auprès du Sipehbed ;

Je me ceindrai pour venger les Iraniens ;

Mon âme souffre du sort de la famille de Gouderz et leur mort me plonge dans le deuil.

Lorsque Keï Khosrou eut entendu ces paroles, ses yeux versèrent sur ses joues deux torrents de larmes et il répondit :

Sans toi je ne voudrais pas de l’empire du monde, ni du diadème, ni de la couronne, ni du trône des héros.

Puisse le ciel être pris dans les nœuds de ton lacet !

Puissent les têtes couronnées rester dans tes liens !

Le trésorier du roi apporta la clef du trésor qui contenait l’or, les couronnes, les joyaux, les casques, les arcs, les lacets et les ceintures ;

Il brisa les couvercles des caisses remplies d’argent et le roi de l’Iran donna tout cela à Rustem, en disant :

Ô héros illustre, pars rapidement comme le vent, avec les héros du Zaboulistan armés de massues, avec les braves et les guerriers du Kaboul et ne t’arrête pas un instant sur la route.

Emmène dans cette guerre cent mille hommes prêts à frapper de l’épée ;

Donne un corps d’armée à Feribourz fils de Kaous, qui brûle de nous venger et qui commandera ton avant-garde.

Tehemten baisa la terre et dit :

La bride et l’étrier seront mes compagnons ;

je stimulerai les grands pour qu’ils se hâtent ;

et loin de nous toute idée de repos et de sommeil !

Alors, il distribua de l’argent à ses troupes, se rendit dans la plaine et fit ses préparatifs pour la guerre.

Il dit à Feribourz :

Pars demain matin avec un corps qui formera l’avant-garde de l’armée ;

Ne ralentis ta marche ni jour ni nuit, jusqu’à ce que tu sois arrivé auprès du Sipehbed Thous, à qui tu diras qu’il se garde de se laisser emporter par l’ardeur du combat, qu’il emploie la ruse, qu’il gagne du temps et ne s’aventure pas.

Je partirai rapidement comme le vent et ne tarderai pas en chemin.

Gourguin fils de Milad, un homme plein d’expérience, nous servira de conseiller dans la bonne et la mauvaise fortune.

Dernière mise à jour : 7 sept. 2021