Keï Khosrou

Guersiwez amène Bijen devant Afrasiab

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Lorsque Guersiwez s’approcha de la porte, il entendit dans l’intérieur les bruits d’un banquet ;

Et le palais d’Afrasiab retentissait du son des luths et des accords des rebecs.

Les cavaliers du roi occupèrent les portes et les toits et coupèrent toutes les issues ;

Et Guersiwez voyant que la porte du pavillon de Menijeh était fermée et qu’on ne cessait pas de verser du vin et de boire, brisa sans hésiter les verrous de la porte, se précipita dans l’intérieur du pavillon et courut à la chambre où se trouvait l’étranger.

Lorsque du seuil de la porte, il aperçut Bijen, son sang commença à bouillonner de rage.

Il y avait dans cette salle six cents esclaves, toutes tenant des rebecs, ou portant des coupes remplies de vin, ou chantant ;

Et Bijen était assis joyeusement au milieu de ces femmes, une coupe remplie de vin rouge en main.

Guersiwez lui cria de loin :

Ô homme présomptueux et de vile race, tu es tombé dans les griffes du lion féroce ;

Comment pourrais-tu sauver ta vie ?

Bijen trembla en lui-même et se dit :

Comment me défendre sans armes, sans Schebreng ou un autre destrier ?

Je crains que ma vie ne finisse aujourd’hui.

Où sont donc Guiv et Gouderz fils de Keschwad, que je sois obligé de livrer ma tête sans coup férir ?

Je ne vois dans le monde personne qui puisse m’aider et il n’y a que Dieu qui puisse me sauver.

Bijen portait toujours dans la tige d’une de ses bottes un poignard acéré ;

Il le saisit, le tira de sa gaine, se plaça sous la porte de la salle et proclama son nom :

Je suis Bijen petit-fils de Keschwad, chef des Pehlewans et des nobles.

Qu’aucun de vous n’essaye de toucher à ma peau, à moins que son corps ne soit las de porter sa tête ;

Et quand même la terre tremblerait comme au jour de la résurrection, personne ne me verra fuir et montrer le dos.

Ensuite, il se tourna vers Guersiwez, en s’écriant :

C’est mon mauvais sort qui m’a tendu ce piège.

Tu sais qui sont mes ancêtres, qui est mon roi et quelle est ma place parmi les héros.

Si vous voulez me combattre, je n’hésite jamais à tremper mes mains dans le sang et avec ce poignard je trancherai la tête à un grand nombre des chefs du Touran.

Mais si tu veux me mener devant le roi, je lui raconterai toute cette aventure ;

Et en lui demandant grâce pour ma vie, tu te feras son guide sur la voie du bonheur.

Guersiwez voyant combien il était prompt au combat, ne l’attaque pas ;

Il savait que Bijen disait vrai et qu’il n’hésiterait pas à laver sa main dans le sang.

Il lui garantit sa vie sous serment et lui donna beaucoup de bons conseils.

Il obtint de Bijen, par cette convention, qu’il lui livrât son poignard et qu’il se laissât enchaîner sans résistance.

Guersiwez l’entoura de liens de la tête aux pieds, comme un guépard.

Hélas !

À quoi sert la bravoure quand la fortune est contraire ?

Telle est la rotation du ciel au dos courbé, qui te traite avec dureté au moment où tu te préparais à jouir de ses faveurs.

C’est ainsi qu’on amena Bijen auprès d’Afrasiab, les joues pâles, les yeux remplis de larmes.

Lorsque le roi le vit les deux mains enchaînées, la tête nue, il lui dit :

Ô homme méchant et pervers, pourquoi es-tu venu dans ce pays ?

Bijen invoqua sur le roi les grâces de Dieu et répondit :

Puisque tu me demandes la vérité, je le dirai que je ne suis pas venu dans ce palais de mon gré et qu’il n’y a dans tout cela de la faute de personne.

J’étais parti de l’Iran pour aller détruire les sangliers ;

J’étais arrivé dans le lieu où les Touraniens célèbrent leurs fêtes et j’avais envoyé mes serviteurs et mon cortège à la poursuite d’un faucon égaré ;

Moi-même je m’étais endormi sous un cyprès qui m’abritait contre le soleil.

Une Péri vint, étendit ses ailes et m’emporta dans ses bras pendant que je dormais ;

Elle m’enleva d’auprès de mon cheval et vola jusqu’à ce qu’elle rencontrât le cortège de ta fille.

Des cavaliers couvraient la plaine et des litières passaient de tous côtés auprès de moi ;

Au loin s’avançait une ombrelle indienne entourée de cavaliers touraniens :

Au milieu de cette foule se trouvait une litière de bois d’aloès, fermée par des rideaux de satin et contenant une idole endormie, dont le diadème reposait sur un coussin. Tout à coup la Péri invoqua Ahriman ;

elle s’abattit, rapidement comme le vent au milieu des cavaliers, me posa subitement dans la litière et prononça sur cette femme au beau visage une formule magique.

Arrivé au palais, je restai encore pendant quelque temps endormi ;

Mais lorsque je me réveillai, je me mis à trembler et à verser des larmes.

Je n’ai pas commis de faute et la pureté de Menijeh n’a pas été en danger ;

Mais sans doute la Péri a troublé ma fortune en essayant sur moi la puissance de sa magie.

Afrasiab répondit :

Ton jour de malheur est arrivé de bonne heure.

Tu es sorti de l’Iran avec l’arc et le lacet, pour chercher les combats et la renommée ;

Et maintenant te voilà devant moi, comme une femme, les mains liées et me racontant des histoires confuses comme un homme ivre.

Mais tu as beau mentir, tu ne tireras pas ta tête de mes mains.

Bijen lui dit :

Ô roi, écoute-moi et prête-moi l’oreille.

Les sangliers avec leurs défenses, les lions avec leurs griffes sont toujours en état de se défendre ;

Les héros peuvent, avec l’épée, les flèches et l’arc, lutter contre un ennemi ;

Mais quand l’un est enchaîné et désarmé et l’autre couvert d’une cotte de mailles d’acier, comment pourrait-il y avoir un combat entre eux ?

Comment un lion privé de ses griffes aiguës déchirerait-il son ennemi, si vaillant que soit son cœur ?

Si le roi veut que je montre mon courage au milieu de cette cour, qu’il me fasse donner un cheval et une lourde massue, que parmi les chefs du Touran il en choisisse mille ;

Et si je laisse en vie sur le champ de bataille un seul de ces mille hommes, qu’il ne me compte pas pour un brave.

À ces paroles de Bijen, Afrasiab jeta sur lui un regard furieux et laissa éclater sa colère.

Il dit en se tournant vers Guersiwez  :

Tu m’as dit qu’il ne fallait pas le mettre à mort, mais ne vois-tu pas que ce vil mécréant médite contre nous de nouveaux méfaits ?

Il n’est pas content de l’injure qu’il nous a faite et demande d’être admis à un combat honorable.

Lie-lui les pieds et les mains et délivre à l’instant même la terre de lui.

Fais élever un gibet devant la porte du palais, dans une place accessible de tous côtés ;

Suspends ce malheureux vivant au gibet et ne m’en parle plus jamais.

J’espère qu’alors aucun Iranien n’osera plus tourner les yeux du côté du Touran.

On entraîna d’auprès d’Afrasiab Bijen le cœur percé de douleur et les yeux inondés de larmes :

Il arriva à la porte du palais l’âme troublée, les pieds colorés comme la rose par le sang qui dégouttait des cils de ses yeux et il dit :

Si Dieu a décrété que je dois mourir misérablement, je ne suis pas effrayé du gibet ni de la mort, mais je tremble en pensant aux grands de l’Iran ;

Car mon ennemi dira que j’étais un lâche, que je me suis laissé attacher au gibet sans avoir reçu une blessure ;

On médira de moi après ma mort devant ces personnages royaux, mon père et mon grand-père.

Hélas !

Mon ennemi va se réjouir et tout ce qu’il a médité contre moi va s’accomplir.

Hélas !

Je ne verrai plus ni le roi des rois ni Guiv.

Hélas !

Je suis loin des héros pleins de valeur.

Ô vents, passez dans le pays d’Iran, portez un message de moi au noble roi ;

Dites-lui que Bijen est en grande détresse et que son corps est entre les griffes des lions.

Dites à Gouderz fils de Keschwad que c’est Gourguin qui a terni ma gloire.

Dites à Gourguin :

Ô chien stupide, que me répondras-tu dans l’autre monde, toi qui m’as jeté dans le malheur de manière que je ne puisse trouver de sauveur ?

Dernière mise à jour : 7 sept. 2021