Keï Khosrou

Gouderz et Piran conviennent du combat des onze champions

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Lorsque la terre fut devenue couleur d’ébène, on entendit dans les deux armées retentir les clairons et les timbales et les timbaliers assis sur le dos des éléphants quittèrent le champ de bataille.

Les chefi (les deux armées convinrent de s’en retourner, puisqu’il faisait nuit ; de choisir de grand matin des hommes vaillants qui réduiraient en écume les eaux de la mer profonde ; de mettre en présence les plus illustres de leurs héros et les plus avides de bataille et de dispenser les armées de combattre, de sorte qu’on ne versât plus de sang innocent.

Cette convention faite, ils s’en retournèrent et leur longue route leur parut courte.

Ils quittèrent le champ de bataille, l’âme consternée du dernier combat ; l’un se dirigeant vers le mont Kenabed, l’autre se hâtant de rentrer dans Reibed. [ : Gouderz, le chef de l’armée du roi, envoya sur lechamp des vedettes sur la route.

Les grands avaient la tête endolorie par leur casque ; leurs épées et leurs mains étaient couvertes de sang ; ils défirent les boutons de leurs cuirasses, de leurs morions, de leurs casques et de leurs cottes de mailles ; puis s’étant délivrés du poids de leurs armures de fer et ayant bu un peu de vin brillant, ils se sentirent tout réveillés et se rendirent, jeunes et vieux, auprès du Pehlewan pour se concerter avec lui.

Guiv dit à Gouderz :

Ô mon père, il m’est arrivé aujourd’hui une chose étonnante.

Lorsque je me suis jeté sur les Touraniens, j’ai rompu leurs rangs et ils m’ont fait place ; mais lorsque je me suis trouvé en face de Piran, mon destrier s’est arrêté et a refusé de faire un pas en avant, quoique mon ardeur fût telle qu’on eût dit que mon âme se briserait.

Alors Bijen s’est rappelé les paroles du roi et m’a dévoilé ce secret. que c’est de ta main que Piran doit périr ; voilà ce que le roi a dit d’après l’indication des astres. »

Gouderz répondit :

Ô mon fils, sans au-cun doute son heure est dans ma main ; et je vengerai sur lui, avec la force que Dieu le créateur m’a donnée, mes soixante et dix fils chéris. »

Ensuite, il regarda les chefs de l’armée ; il vit qu’ils étaient tout abattus par suite des fatigues du combat, du carnage et des attaques continuelles qu’ils avaient faites contre l’ennemi.

Le cœur du Pehlewan fut. at-. LE, tendri en voyant que les joues des nobles avaient pâli ; et le Sipehdar, le maître de la bonne étoile, le guide de l’armée, leur ordonna de s’en retourner chez eux, pour que leurs corps épuisés pussent se reposer des fatigues de la bataille.

Ils partirent et revinrent de grand matin, remplis d’ardeur pour la lutte et armés pour le combat.

Ils saluèrent leur chef, disant :

Ô illustre Pehlewan du monde, comment as-tu dormi cette nuit ?

En quel état t’es-tu levé ?

Qu’as-tu décidé sur le combat que nous devons livrer aux Turcs ? »

Le Pehlewan leur répondit :

Ô nobles et illustres héros, il faudrait que vous rendissiez grâces jour et nuit au Créateur du monde de ce que jusqu’à présent tous les événements de la guerre ont tourné selon nos désirs.

J’ai vu pendant ma vie bien des choses merveilleuses, mais je n’ai jamais regardé le monde que comme un passage.

Le ciel qui tourne crée beaucoup d’hommes comme nous et il moissonne ceux qu’il lui a plu de semer.

Je me rappelle d’abord Zohak le méchant qui s’empara de la royauté.

Que de mal ne fit-il pas au monde, aussi longtemps que le Créateur lui permit tout !

Quelques années s’étant ainsi passées, Dieu jeta ce méchant dans le malheur : le Dispensateur de la justice n’approuvant pas ses crimes, suscita contre lui un homme juste à qui il livra celui qui avait introduit la tyrannie dans le monde ; et Zolzak qui était venu du vent, redevint

Il’x

Ml. vent par un souffle.

Feridoun le fortuné, le roi juste, prit les armes pour conquérir la royauté, rompit tous les enchantements d’Ahriman et ordonna le monde selon la justice.

C’est de Zohak, l’homme de mauvaise race et de mauvaise nature, avec qui tous les rois étaient en querelle. qu’Afrasiab hérita sa méchante nature, son envie de rapine et de meurtre et ses arts magiques.

Il répandit la guerre sur le pays d’Iran, il abandonna la voie de la justice etjoula aux pieds les lois de la religion ; à la fin il tua le noble Siawusch et dévasta tout l’Iran.

Après cela Guiv quitta l’Iran et séjourna longtemps dans le Touran, au milieu des plus grandes privations ; les ronces lui servant de couche, la pierre de coussin, la chair de l’onagre de nourriture, la peau des léopards de vêtement.

Il alla ainsi errant de lieu en lieu, comme un homme en démence, pour chercher les traces du roi Keï Khosrou ; quand il l’eut enfin découvert, il lui offrit ses hommages dès qu’il l’aperçut ; ensuite ils se mirent tous deux en route pour l’Iran.

Le belliqueux Piran en eut avis et accourut en toute hâte avec une armée, dans l’espoir de les faire périr en route ; il fit tout ce qu’il put pour les perdre et Dieu seul les sauva.

Plus tard, quand nous nous fûmes portés sur le Kasehroud pour venger Siawusch, il arriva à Lawen une grande armée qui nous attaqua pendant la nuit et nous livra la bataille de Peschen, dans laquelle périt

M2 devant mes yeux un si grand nombre de mes fils et où le cœur faillit à tous nos grands.

Maintenant Piran a paru de nouveau avec une armée nombreuse r. »

Et avide de combats et a pris position en face de nous.

S’il ne se sent pas en force pour nous résister, il dira beaucoup de paroles et cherchera des délais, jusqu’à ce qu’une seconde armée puisse arriver du Touran sur ce champ de bataille.

Il provoque maintenant au combat les chefs de notre armée et il nous faut sur-le-champ accepter le défi ; car si nous négligeons cette occasion, si nous ne frappons pas le premier coup, il trouvera un prétexte de refuser le combat et renoncera à la vengeance, à la gloire et au renom.

Réduisons donc en poussière ces héros illustres aussitôt qu’ils nous offriront le combat.

Et si Piran ne recule pas devant l’accomplissement de sa parole, s’il attend notre attaque, je vous déclare que je me battrai de ma personne et que, tout vieux que je suis, j’exposerai mon corps à la mort sur ce champ de bataille devant tous les Iraniens.

Moi et le vaillant Piran, Rouïn et Guiv nous prendrons les armes comme des braves ; car personne ne peut vivre éternellement sur cette terre et il ne reste de nous dans le monde que notre renommée : qu’il y a de mieux. c’est de laisser un grand nom, car la mort nous enlace tous également ; il est indifférent que notre fin soit naturelle ou violente,

M3 et l’on ne peut avoir que peu de foi dans le ciel qui tourne.

Il faut donc que quiconque d’entre vous est en état de livrer bataille saisisse la lanèe et l’épée meurtrières et se ceigne pour le combat ; car la domination du Touran approche de sa fin et c’est le moment de précipiter notre vengeance.

Il. n’y avait dans le Touran aucun cavalier comparable à Houman ; il s’est essayé dans le combat avec Bijen fils de Guiv ; mais sa fortune avait baissé, il est tombé, sa tête a été tranchée, son corps a roulé misérablement dans le sang.

Il ne faut donc pas les craindre, il ne faut pas retirer votre main du combat.

Et si Piran préfère une bataille rangée, s’il amène toute son armée comme un tourbillon de poussière, alors il faut que nous aussi nous avancions contre lui en formant une masse semblable à une montagne ; car leur esprit est frappé, ils ne sont occupés que du soin de leur vie. le crois que nous aurons le dessus, que nous ferons lever la poussière noire de leur destruction. »

Le Pehlewan ayant prononcé ce discours devant les héros fortunés et expérimentés, ils le comblèrent de louanges, disant :

Ô Pehlewan au grand cœur,ô prince à la foi pure !

Depuis que Dieu a créé le monde, personne n’a vu un Pehlewan semblable à toi.

Feridoun, qui a soumis à sa royauté la terre entière, n’avait pas un serviteur comme toi : tu es l’appui des braves, le chef des armées du roi, le

soutien de la couronne, du trône et du diadème ; tu offres au roi le sacrifice de ta vie, de celle de tes enfants et de tes biens : que peut demander de plus un roi au chef de son armée ?

Tout ce que Khosrou avait attendu de Feribourz et de Thous, tu vas maintenant l’accomplir ; nous sommes tous les esclaves et nos cœurs te sont dévoués.

Si Piran amène les chefs de son armée pour nous livrer un combat, fussions-nous dix contre mille des siens, tu verras si un seul de nous le refuse ; s’il amène son armée entière pour nous combattre dans la plaine et dans la montagne, nous voilà prêts, le cœur brûlant du désir de la vengeance et les reins ceints pour le combat.

Puisse notre vie être la rancon de la tiennel tel est notre engagement solennel. »

Cette réponse remplit de joie le cœur de Gouderz ; il prononça des bénédictions sur les grands, disant :

Ô Pehlewans du roi de la terre, c’est ainsi qu’agissent les braves, les lions qui portent haut la tête, les vaillants chefs des armées,»

Il ordonna alors aux troupes de monter à cheval et de s’armer pour la bataille.

Son aile gauche avait pour Pehlewan le vaillant Rehham et pour commandant Ferhad qui ressemblait au soleil ; l’aile droite avait Feribourz pour Pehlewan et Gouderz en donna le commandement à Ketmareh fils de Karen.

Il donna ses ordres à Schidousch, disant :

Ô mon fils, ô mon Destour propre à toute affaire, prends le drapeau noir de Kaweh et va servir de soutien et d’asile à l’armée. »

Ensuite, il dit à Gustehem :

Va te mettre aujourd’hui à la tête des troupes, prends la place du commandant en chef, sois attentif et prudent et protège l’armée. »

Ensuite, il enjoignit aux troupes de rester dans leurs positions, leur défendit d’avancer d’un seul pas et leur ordonna d’obéir à Gustehem et de se tenir à cheval jour et nuit.

Il s’éleva un cri du milieu des braves, ils se lamentèrent sur le.combat auquel Gouderz allait s’exposer, tous se précipitèrent vers lui, tous jetèrent de la poussière sur leur tête, disant :

Ô vieux Pehlewan de l’armée, puisses-tu être victorieux sur ce champ de bataille !

Dieu le dispensateur de la justice approuvera-t-il que nous permettions à un vieillard comme toi de combattre ? »

Gouderz appela le Sipehdar Gustehem et lui donna beaucoup d’avis et de conseils, disant :

Veille sur l’armée, protégela contre les ennemis.

Reste jour et nuit dans ta cuirasse et ne songe qu’à la vengeance ; garde-toi de découvrir un seul instant ta tête.

Au moment où tu cesserais de combattre, le sommeil commenocrait ses attaques contre toi ; à l’instant où tu reposerais ta tête, ceux qui ne dorment pas te surprendraient.

Place une sentinelle sur le haut de la montagne, pour rassurer ton armée contre une surprise de l’ennemi.

Si pendant la nuit les Toura-

M6 niens font une attaque subite, il faut que tu combattes comme un brave et que tu te jettes dans la mêlée pour repousser les héros.

Mais s’il t’arrive du camp des Turcs de mauvaises nouvelles du combat que je vais livrer ; si tu apprends que nous sommes tombés sur le champ de bataille et que l’on a jeté sur la route nos corps privés de leurs têtes, alors garde-toi de conduire tes troupes au combat et attends trois jours ; car le quatrième jour le roi illustre arrivera avec son trône et dans toute sa pompe au secours de cette armée. »

À ces paroles de Gouderz, les larmes coulèrent sur les cils de Gustehem et inondèrent ses joues ; il accepta tous ces conseils et promit de suivre les injonctions du chef de l’armée, disant :

Tout ce que tu ordonnes, je le ferai ; me voici ceint comme un esclave. »

Dernière mise à jour : 7 sept. 2021