Keï Khosrou

Gouderz et Piran choisissent les champions

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Lorsque Piran aperçut Gouderz le fils de Keschwad, il lui adressa la parole et écouta sa réponse ; il lui dit :

Ô Pehlewan plein d’intelligence, tu te consumes dans les fatigues ; mais de quoi servira-t-il à l’âme de Siawusch de faire lever du pays de Touran la fumée de la destruction ?

Il a choisi dans l’autre monde le séjour des bons, est-ce une raison pour toi de te refuser le repos parce qu’il en jouit ?

Deux armées entières se sont détruites comme des éléphants à qui l’on aurait tranché la tête, les armées de deux pays ont disparu et le temps est arrivé où tu devrais quitter ce champ de bataille.

Le monde entier est dépeuplé et l’excès des vengeances a refroidi l’ardeur des combats.

Pourquoi donc tuer des innocents ?

Faisons entre nous une convention.

Si tu es si avide de vengeance, porte ton armée en avant depuis le pied de la montagne jusqu’ici et sors toi-même des rangs, car c’est ainsi que tu peux assouvir ta rage.

Nous nous battrons moi et toi bravement sur ce champ de bataille ; et celui de nous qui restera vainqueur sera le maître de tout et se placera sur le trône.

Si je péris de ta main, tu ne combattras plus l’armée du Touran ; elle se présentera devant toi et obéira à tes ordres ; elle livrera ses chefs comme garants du traité.

Et si toi et les grands qui t’environnent succombez sous nos coups, je ne combattrai pas ton armée, elle n’aura rien à craindre de moi. »

Gouderz reconnut, à ces paroles, que les astres avaient rendu sombre le sort de Piran ; il commença par rendre grâce au Créateur, ensuite il pria pour le roi illustre, enfin il répondit à Piran, disant :

Ô glorieux héros, j’ai écouté ton discours jusqu’à la fin.

Quel bien a fait à Afrasiab le meurtre de Siawusch ?

Dis-le-moi et ne détourne pas la tête.

On lui a arraché la tête comme à une brebis ; son cœur était gonflé de sang, son âme déchirée par la douleur.

Ensuite Afrasiab a fait pousser au pays d’Iran des cris de douleur par ses massacres, ses dévastations, ses combats et ses fureurs.

Siawusch a livré sa tête parce qu’il croyait à tes serments et tu as donné sa vie au vent dans ta démence.

Plus tard, lorsque mon fils s’est rendu auprès de toi, tu as refusé de suivre mes conseils, tu t’es hâté de te préparer au combat, tu t’es jeté sur nous comme une flamme.

Je n’ai demandé au Créateur, en public et en secret, qu’une seule chose, c’est que tu te présentes un jour devant moi sur le champ de bataille.

Maintenant te voici, ne perdons pas de temps ; nous allons moi et toi, malgré notre âge, nous mesurer sans nos armées.

Choisis dans l’armée du Touran et amène en face de mes héros avides de vengeance, des chefs expérimentés et armés d’épées, de lances et de lourdes massues ; ils lutteront, ils se combattront, ils s’extermineront les uns les autres.

Exécute maintenant tout ce que tu m’as annoncé et ne manque pas à tes paroles et à tes promesses. »

Le Sipehdar des Turcs se mit à faire ses préparatifs ; il choisit dix cavaliers de son armée assis sur leurs destriers, prêts au combat, couverts d’une armure complète, tous hommes au cœur de lion, tous hommes de grand renom.

Ils sortirent des rangs et s’avancèrent jusqu’à l’endroit où ils devaient se battre, endroit où les yeux des deux armées ne pouvaient les atteindre ; c’est ainsi que les deux chefs avaient fixé les conditions du combat.

À chaque cavalier touranien se trouvait opposé un brave de l’Iran.

On plaça d’abord Guiv en face de Guerouï, tous les deux étant également forts et avides de combats.

Guerouï Zereh était, de toute l’armée du Touran, l’homme que Khosrou maudissait le plus ; car c’était lui qui avait saisi Siawusch à la barbe et lui avait séparé la tête de son chaste corps.

Kelbad fils de Wiseh se hâta de se poser en face de Feribourz fils de Kaous.

Rehbani lits de Gouderz et Barman se choisirent l’un l’autre pour adversaires ; Gourazeh devait combattre Siamek, comme un lion furieux combat un crocodile ; Gourguin le guerrier expérimenté se présenta comme un lion dans la lice contre Anderiman ; le vaillant Rouïn se proposa de lutter contre Bijen fils de Guiv et d’enlever au monde son éclat ; Aukhast devait se battre contre Zengueh fils de Schaweran et Barteh choisit Kehrem pour antagoniste parmi les Touraniens ; Fourouhil et Zengouleh se détachèrent de la foule pour se combattre ; Hedjir et Sipahram, semblables à des Divs, poussèrent sur le champ de bataille des cris de rage.

Enfin Gouderz fils de Keschwad et Piran devaient se mesurer ; ils étaient armés pour le combat et leurs traits exprimaient leur haine ; ces deux Sipehbeds avaient soif de sang, car ils combattaient pour la domination et pour la religion.

Ils se jurèrent qu’aucun d’eux ne se retirerait de la lutte, jusqu’à ce qu’il fût décidé à qui la fortune donnerait la victoire.

Il se trouvait entre les deux armées deux collines d’où l’on pouvait voir tout autour ; l’une était du côté de l’Iran, l’autre du côté du Touran et on les apercevait de loin.

À leur pied s’étendait une plaine déserte, sur laquelle ceux qu’attendait la bonne et la mauvaise fortune devaient livrer combat.

Gouderz dit à ses compagnons qui portaient haut la tête :

Quiconque d’entre vous, ô héros pleins de fierté, aura abattu son vaillant adversaire, viendra, de si loin qu’il se trouve, porter son drapeau sur cette hauteur. »

Le Sipehdar Piran à son tour plaça son étendard sur l’autre colline et donna aux siens des instructions semblables.

Ensuite les Iraniens descendirent dans la plaine, armés pour verser du sang et essayant des coups de toute espèce avec l’épée et les flèches, avec la massue et le lacet.

Les braves et les grands du Touran arrivèrent armés de massues, de flèches et d’épées damasquinées : on aurait cru que si une montagne venait s’opposer à eux, ils l’aplaniraient dans un instant ; mais leurs mains pendaient impuissantes, Dieu leur avait fermé la porte de la force ; ils se jetaient dans les lacs du malheur, car ils avaient versé beaucoup de sang innocent ; leurs chevaux de bataille s’arrêtaient, on eût dit qu’une main invisible retenait leurs pieds ; tout leur bonheur avait disparu, car leur temps était passé et leur sang bouillonnait d’inquiétude.

Telle était la volonté du Créateur du monde ; tu aurais dit que la terre s’emparait de ces héros ; mais ils étaient si braves, que

5M malgré la fortune adverse ils combattirent pour le trône de leur roi, qu’ils livrèrent leurs têtes dans la bataille pour la royauté, qu’ils donnèrent leurs vies pour la gloire et le renom.

C’est ainsi que les deux partis accoururent sur le terrain et se placèrent face à face, avides de combat.

Le Sipehdar Piran sentait en secret que le mauvais jour arrivait et le serrait de près ; mais telle est la manière d’agir du ciel sublime, que tantôt il nous envoie des joies, tantôt des afflictions.

Piran ne savait comment éviter le combat ; le moment était venu où l’oppresseur allait être opprimé.

Dernière mise à jour : 25 sept. 2021