Keï Khosrou

Deuxième combat entre les deux armées

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Lorsque le sublime firmament se fut fait une couronne de jade et qu’il eut répandu sur la voûte bleue les étoiles semblables à des pastilles de camphre, on envoya des deux camps des vedettes et l’on plaça des sentinelles devant les enceintes des tentes.

Mais quand le soleil étincelant leva la tête et que le monde fut devenu brillant comme le visage d’un esclave de Roum, on entendit dans les deux armées le bruit des tambours, le monde se remplit du son des trompettes et l’air se rembrunit par le reflet des drapeaux rouges, noirs, jaunes et violets.

Tous tirèrent leurs épées et détachèrent leur lourdes massues ;

Tous roulèrent la bride autour de la main ;

Tu aurais dit que le ciel et la terre étaient revêtus d’un manteau de fer ;

Le soleil resplendissant se cachait sous son voile, à cause du trépignement des chevaux et de la poussière ;

Et le ciel, effrayé du hennissement des chevaux et du son des timbales, s’abaissait sur la terre.

Le Sipehdar Houman caracolait devant les rangs, une lance brillante au poing, en disant :

Quand je pousserai mon cri de guerre, quand je lancerai mon coursier et que je partirai en bouillonnant d’impatience, vous tirerez tous vos épées, vous vous couvrirez la tête de vos boucliers chinois et tiendrez les yeux sur la crinière et la bride de vos chevaux ;

Car je ne veux pas d’arcs et il ne nous faut pas de lances ;

C’est avec l’épée, la masse d’armes et la lourde massue que tantôt vous donnerez, tantôt vous recevrez des coups, comme il convient dans le combat des braves, en jetant la bride sur le cou de vos chevaux.

Ayant ainsi parlé, Houman le vaillant cavalier courut, semblable à un lion, auprès de son frère Piran et lui dit :

Ô Pehlewan, ouvre-moi les caisses qui contiennent tes lourdes armures ;

Ne t’attache pas aux trésors et à l’argent, ne sois pas avare de tes armes ;

Car si nous revenons aujourd’hui victorieux, notre bonne étoile réjouira ton cœur.

De l’autre côté, le Sipehdar Thous rendait son armée belle comme l’œil du coq.

Les braves le bénissaient, ils le proclamaient le Pehlewan du monde, disant :

Au jour du combat tu as été victorieux ;

Ta bravoure a terrassé Houman.

Mais le Sipehdar dit à Gouderz fils de Keschwad :

Il faut proclamer devant toute l’armée que, quand elle en sera venue aux mains avec l’ennemi et qu’elle aura jeté la confusion dans les rangs de ses cavaliers, nous devons tous lever nos mains vers Dieu, agir de concert et renoncer chacun à notre propre volonté ;

Alors peut-être Dieu nous aidera : sinon notre étoile pâlira et notre sort sera mauvais.

Maintenant, ô grands aux bottines d’or, partez avec le drapeau de Kaweh ;

Mais ne vous éloignez pas du pied de la montagne : car c’est un jour où il faut se contenir et un lieu où il faut agir avec prudence ;

D’autant plus que pour un de nous il y a deux cents ennemis ou davantage encore.

Gouderz lui répondit :

Si Dieu veut écarter de nous le malheur, il est inutile de parler de nombres ;

Ne trouble donc pas la tête et le cœur des Iraniens.

Et si le ciel dans sa rotation nous amène la mauvaise fortune, tous nos soins pour nous assurer la victoire seront vains.

Range ton armée en bataille et ne porte pas le trouble dans les esprits par la crainte de l’avenir.

Thous mit l’armée en ordre de bataille, assignant leur place aux éléphants de guerre, aux hommes et aux timbales.

Les fantassins et les bagages étaient adossés à la montagne ;

Le Sipehdar Gouderz commandait l’aile droite, toute l’armée formait ses rangs, Rehham et Gourguin se placèrentà l’aile gauche.

Le bruit des timbales et des trompettes faisait trembler le ciel, le cœur de la voûte céleste se déchirait et la bouche du soleil se remplissait de poussière.

La plaine disparaissait sous la poussière qui s’élevait sur le champ de bataille, une pluie d’acier sortait de ce sombre brouillard :

Et les casques et les épées rendaient des étincelles.

On voyait luire le fer des lances et les glaives des héros, en haut les étendards et en bas les lourdes massues.

Tu aurais dit que l’air n’était que massues et que fer et la terre que sabots de chevaux et cuirasses.

La plaine et les prairies étaient une mer de sang, l’air ressemblait à la nuit et les épées à des flambeaux ;

Le bruit des timbales et des trompettes était tel qu’on ne distinguait plus les têtes des pieds.

Thous dit alors à Gouderz :

La rotation du ciel amène les ténèbres ;

L’astrologue m’a annoncé qu’aujourd’hui, jusqu’à la troisième veille de la nuit, les épées des braves verseraient le sang sur le champ de bataille comme un nuage noir verse de la pluie ;

Et je crains qu’à la fin nos ennemis belliqueux ne soient les vainqueurs.

Schidousch, Rehham, Gustehem, Guiv, Kharrad, Berzin et le vaillant Ferhad quittèrent leurs rangs et se portèrent au milieu des deux armées, le cœur blessé et avides de combat ;

Et de tous côés s’élevèrent des cris au ciel, pareils aux cris des Divs dans la nuit noire.

De l’autre côté Houman amena toute son armée semblable à une montagne et l’on ne distinguait plus les brides des étriers, tant il y avait de massues, de masses d’armes, d’épées et de lances.

On choisit alors les braves qui devaient combattre ;

Il fut convenu que Gourazeh le chef de la famille de Guiv et Behil, deux nobles guerriers au cœur de lion, se mesureraient l’un avec l’autre et Rehham fils de Gouderz avec Ferschidwerd ;

Que Schidousch et Lehhak, Bijen fils de Guiv et Kelbad feraient naître sous leurs coups le feu et l’ouragan ;

Que Schithrekh l’illustre et Guiv, deux nobles et vaillants guerriers, Gouderz et Houman, Piran et Thous se battraient loyalement et sans employer la ruse et la perfidie.

Houman s’écria :

La lutte d’aujourd’hui ne doit pas ressembler à celle d’hier, il faut délivrer la terre de ces hommes et les mettre hors d’état de revenir nous combattre.

Thous s’avança avec les éléphants, les timbaliers et les fantassins armés de boucliers, de javelots et de lances et les rangea au-devant des cavaliers, en disant :

Ne quittez pas cette place, portez en avant vos boucliers et vos lances et nous verrons comment les vaillants chefs des Touraniens manieront leurs lourdes massues.

Dernière mise à jour : 7 sept. 2021