Keï Khosrou

Combat de Gouderz et de Piran

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Lorsque neuf heures de la journée se furent écoulées, il n’y avait plus aucun Turc sur cette large plaine ; l’épée avait séparé leurs âmes de leurs corps.

On dirait que le monde n’a pas de pitié : il élève un homme tendrement, il lui fait parcourir une longue vie ; ensuite il l’attaque dans la nuit, prépare sa perte et l’accable de toutes sortes de malheurs et d’infortunes.

Il nous fait naître du vent et nous livre à l’ouragan ; nous demandons justice et c’est l’injustice qui apparaît.

La lutte avait porté malheur aux Touraniens, il leur en coûtait cher d’avoir livré combat sur ce champ de bataille ; Piran ne voyait plus un seul cavalier de son armée sur la plaine.

Alors les Sipehdars de l’Iran et du Touran s’avancèrent résolument au combat.

Ils cumulèrent sous leurs pieds la surface de la terre ; leur cœur était, rempli de douleur, leur tête pleine du désir de la vengeance ; et le soleil s’arrêta pendant leur combat, étonné de la poussière qui s’élevait du champ de bataille.

Ils déployèrent toutes les ressources de l’art avec l’épée et le poignard, avec la massue et le lacet ; mais Dieu avait décidé de leur sort et le Touran devait succomber sous l’Iran.

Piran ne pouvait résister à la volonté de Dieu, qui ôtait les forces à son destrier ; il sentait le destin qui s’approchait ; il comprit que c’était la volonté de Dieu.

Mais il était brave et continuait à se battre ; il luttait contre la révolution du sort.

Après s’être servis des autres armes, les chefs des deux armées, les vieillards pleins de prudence saisirent les arcs et les flèches.

Gouderz choisit une flèche de bois de peuplier à laquelle ni le fer ni la pierre ne pouvaient résister, il la lança contre le caparaçon du cheval de Piran et le perça.

Le destrier chancela et expira.

Dans sa chute, il renversa Piran sous lui, se roula sur son vaillant cavalier et lui brisa par son poids le poignet droit.

Piran se dégagea et se releva ; mais il sentit que sa fin approchait et qu’il ne survivrait pas à cette journée fatale.

Il s’enfuit devant Gouderz et se dirigea vers la montagne ; il était épuisé par la douleur et fatigué de sa course ; néanmoins il atteignit le sommet de la montagne, espérant que le Pehlewan renoncerait à l’y suivre.

Gouderz le regarda en versant des larmes amères ; il craignait que le sort ne changeât de nouveau ; il savait qu’on ne pouvait avoir confiance dans le destin, toujours prêt à opprimer les hommes.

Il s’écria :

Ô illustre Pehlewan, que t’arrive-t-il ?

Pourquoi t’enfuis-tu ainsi à pied devant moi comme une bête fauve ?

Où sont donc les troupes, ô chef de l’armée ?

Où sont la force et la bravoure, les armes, le courage, les trésors et la sagesse dont tu parlais ? Ô soutien des braves, ô défenseur ce d’Afrasiab, voici le soleil qui s’éclipse pour ton roi.

Le sort te tourne entièrement le dos ; ce n’est pas le moment d’employer des ruses ; ainsi ne cherche pas à t’échapper.

Puisque le destin t’y réduit, demande grâce, afin que je t’amène en vie devant le roi victorieux qui te pardonnera, quand il verra ta tête et ta barbe blanches comme la neige. »

Piran répondit :

Qu’il n’en soit pas ainsi.

Puissé-je n’être pas réservé à ce dernier malheur, qu’après tout ceci j’éprouve encore l’envie de vivre et que je pense à demander pardon.

Je suis venu dans ce monde pour mourir et je t’ai livré ma tête dans ce combat.

J’ai ouï dire aux grands que, pour longue que soit la vie dans ce monde joyeux, la mort est au bout et qu’on ne peut s’y soustraire.

Je ne me plains pas de mon sort. »

Gouderz se mit à faire le tour de la montagne, mais il se fatigua sans trouver de route ; alors il mit pied à terre, prit son bouclier et grimpa sur la montagne comme un chasseur, se couvrant de son bouclier, tenant en main un javelot et les yeux dirigés en haut.

Piran l’aperçut de loin ; le chef de l’armée du Touran bondit sur le rocher, lança son poignard comme on lance une flèche et frappa le vieux Sipehdar au bras.

Gouderz se voyant blessé à la main, se mit en fureur et voulut se venger ; il lança son javelot qui atteignit Piran, déchira la cotte de mailles qui lui couvrait la poitrine, perça la peau et pénétra jusqu’au foie.

Piran jeta un cri, sa tête se troubla et sa bouche vomit le sang de son cœur.

Telle est la manière d’agir du monde.

Il tomba, semblable à un lion furieux, le foie blessé par le javelot d’acier ; il se tordit avec convulsions pendant quelques instants sur le rocher, ensuite il se reposa pour toujours de la fatigue des combats et des champs de bataille.

Telle est la rotation du temps, il n’accepte les enseignements d’aucun maître ; quand le destin a trempé ses mains dans le fiel, il déchire le cœur du lion et la peau du léopard.

Lorsque Gouderz eut atteint la cime de la montagne, il vit Piran dans cet état, abattu misérablement, ayant le cœur brisé, la main blessée, la tête couchée sur le sol, la cuirasse déchirée, la ceinture rompue ; il dit :

Ô vaillant lion ! Ô chef des Pehlewans ! Ô brave cavalier !

Le monde a vu beaucoup d’hommes comme toi et comme moi, mais il n’accorde du repos à personne. »

Il porta la main sur le corps de Piran et la remplit de sang qu’il but et dont il se frotta le visage, ô horreur !

Ensuite, il poussa des cris de douleur sur le meurtre de Siawusch ; il adressa des prières au Créateur, il se lamenta devant Dieu le dispensateur de la justice sur la mort de ses soixante et dix nobles fils.

Il avait envie de trancher la tête de son ennemi, mais il ne put se résoudre à cet acte de férocité ; il planta le drapeau de Piran par terre à côté de son cadavre, plaça sa tête dans l’ombre du drapeau et se remit en route pour rejoindre les siens, perdant son sang qui dégouttait de son bras comme un ruisseau d’eau.

Dernière mise à jour : 25 sept. 2021