Keï Kaous

Sohrab demande à Hedjir les noms des chefs des Iraniens

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Lorsque le soleil éleva son bouclier d’or et que ses rayons parurent au firmament, Sohrab se revêtit de son armure de guerre et s’assit sur son che-I val couleur de musc.

Une épée était suspendue sur sa poitrine, un casque royal couvrait sa tête ; au crochet de sa selle était un lacet roulé sur lui-même soixante fois ; sa mine inspirait la terreur.

C’est ainsi qu’il sortit et il alla choisir un endroit escarpé. d’où il pût voir l’armée des Iraniens.

Il fit venir Hedjir auprès de lui et lui dit :

N’essaye pas de me tromper ; en toute chose agis avec droiture, si tu ne veux que le mailleur te frappe.

Réponds selon la vérité à toutes mes questions ; ne mens pas et ne te sers pas de ruse.

Si tu veux que je te rende ta liberté, si tu veux t’élever au-dessus de tous les hommes, réponds à toutes les questions que je t’adresserai sur les Iraniens et ne dévie pas de la voie de la vérité.

Alors je te donnerai des trésors dqmis longtemps accumulés ; je te ferai beaucoup de présents et des dons précieux.

Mais si tu veux me tromper, tu porteras toujours ces chaînes et le cachot restera ta demeure. »

Hedjir lui répondit :

Sur tout ce que le roi me demandera au sujet de l’armée de l’Iran, je lui dirai tout ce que je sais ; car pourquoi lui mentirais-je ?

Tu ne trouveras en moi que de la droiture et je n’ai pas l’intention de te tromper.

La droiture est le meilleur guide dans le monde et aucune pensée n’est pire que celle de mentir. »

Alors Sohrab reprit :

Je vais t’adresser des questions sur tous. les grands, sur le roi et sur le peuple, sur tous les guerriers illustres de ce pays, tels que Guiv, Thous et Gouderz, tels que Bahram et Rustem l’illustre et tu me nommeras tous ceux que je te désignerai.

Je vois une enceinte de brocart de différentes couleurs, qui renferme des tentes de peau de léopard et devant laquelle sont placés cent éléphants de guerre ; au-dessus de ce trône de

turquoises bleu de mer flotte dans l’air un drapeau portant une figure du soleil sur un fond violet et surmonté d’une lune.

Quel est ce camp assis au milieu de l’armée et à qui d’entre les braves de l’Iran appartient-il ? »

Hedjir lui répondit :

C’est le roi de l’Iran, devant la porte duquel on tient toujours des éléphants et des lions. »

Ensuite Sohrab lui dit :

Je vois sur la droite beaucoup de cavaliers, d’éléphants et de bagages ; on y a formé une enceinte noire, entourée de troupes rangées et de tentes innombrables ; derrière sont placés des éléphants et devant des chevaux de main.

Sur le devant. aussi est planté un drapeau portant une figure d’éléphant et à côté se tiennent des cavaliers aux bottines d’or. »

Hedjir répondit :

C’est Thous fils de Newder, car son drapeau porte la figure d’un éléphant. »

Sohrab demanda :

Quel est ce pavillon rouge devant lequel se tiennent beaucoup de cavaliers ?

On y voit un drapeau d’or avec une figure de lion et un joyau brillant dans le milieu.

Derrière le drapeau est rangée une troupe nombreuse, tout armée de lances et couverte de cuirasses.

Qui en est le maître ?

Dis-moi son nom et ne provoque pas ta perte par un mensonge. »

Hedjir répondit :

C’est l’ornement de la noblesse, le Sipehdar Gouderz fils de Keschwad, le destructeur des armées, le brave des champs de bataille.

Il a deux fois quarante fils semblables à des éléphants et à des lions.

Ni le crocodile courageux, ni le tigre du désert, ni le léopard de la montagne n’osent lutter avec lui. »

À qui, demanda Sohrab, appartient cette enceinte verte gardée par une troupe nombreuse et dont le milieu est occupé par un trône brillant devant lequel est planté le drapeau de Kaweh’ ?

Sur ce trône est assis un Pehlewan qui a la mine, les épaules et les membres d’un héros et qui, quoique assis, dépasse de la tête tous ceux qui sont debout devant lui.

Devant son trône se tient un destrier haut comme lui, jusqu’aux pieds duquel pend un lacet.

De temps en temps le cheval hennit vers son maître, tu dirais que c’est la mer qui gronde.

Beaucoup d’éléphants caparaçonnés sont rangésldevant le héros assis, qui semble bouillonner sur son siégé.

Il n’y a dans l’Iran aucun homme de sa stature et je ne vois pas de cheval comparable à celui-ci.

Regarde son enseigne, elle porte l’image d’un dragon et sur la pointe est figuré un lion à tête d’or. »

Hedjir dit en lui-même :

Si j’indique à ce lion plein de cœur les signes qui distinguent Rustem au corps ’éléphant, il ne tardera pas à l’anéantir.

Ne vaut-il pas mieux que je les tienne secrets et que j’omette son nom dans le dénombrement des braves ? »

Il répondit à Sohrab :

C’est quelque allié venu de la Chine et arrivé nouvellement auprès du roi.r.

Sohrab demanda son nom au noble Hedjir, qui lui dit :

Je n’en ai aucun souvenir, car j’étais dans cette forteresse quand il a rejoint le roba Sohrab s’attrista de ce qu’il ne trouvait aucune trace de Rustem.

Sa mère lui avait dit à quelles marques il reconnaîtrait son père, il les voyait toutes, mais il n’en croyait pas ses yeux.

Il voulut de nouveau apprendre le nom de ce Pehlewan de la bouche de Hedjir, espérant ouïr des paroles qui réjouiraient son cœur.

Mais il était écrit au-dessus de lui qu’il en serait autrement, par ordre de celui qui ne change jamais.

Ensuite Sohrab lui demanda :

Qui d’entre les grands a formé cette enceinte immense qui est remplie de cavaliers nombreux et d’éléphants et d’où part le son des clairons ?

Au devant de l’enceinte est planté un drapeau avec une tête de loup et sa pointe dorée s’élève jusqu’aux nues.

Au milieu est placé un trône devant lequel des ; esclaves forment une haie. »

Hedjir répondit :

C’est Guiv fils de Gouderz, que les braves appellent Guiv le vaillant.

C’est l’aîné et le meilleur des fils de Gouderz et les deux tiers de l’armée des Iraniens lui obéissent.

Ce brave est le gendre de Rustem et le pays d’Iran contient peu d’hommes comme lui. »

Sohrab lui dit :

Je vois du côté où le soleil brillant se lève une enceinte blanche de brocart de Roum, devant laquelle sont rangés plus de mille cavaliers et des fantassins armés de boucliers et de javelots, formant une armée innombrable.

Leur chef est assis sur un trône dont les degrés sont d’ivoire et le siège de bois de tek.

L’enceinte est tendue de drap d’or et gardée par des troupes de serviteurs. »

Hedjir répondit :

Ce chef s’appelle Feribourz, c’est le fils du roi et le diadème des braves. »

Sohrab répliqua :

Cette magnificence est à sa place, puisqu’il est fils de roi et possesseur d’un diadème. »

À qui, reprit Sohrab, appartient cette enceinte jaune devant laquelle est planté un drapeau portant la figure de la lune et entouré d’étendards jaunes, rouges, violets et de toute couleur ?

Derrière l’enceinte on voit un autre drapeau avec une figure de sanglier et dont la pointe fort haute est surmontée d’une lune d’argent. »

Hedjir répondit :

Son nom est Gourazeh, guerrier qui ne tourne pas bride dans le combat des lions ; il est prudent, issu de la famille de Guiv et la peine et le danger ne le font pas murmurer. »

Sohrab cherchait les traces de son père, mais Hedjir ne les lui indiquait pas et tenait sur ce point la vérité cachée.

Comment veux-tu gouverner ce monde que gouverne Dieu ?

C’est le créateur qui a déterminé d’avance toutes choses.

Le sort a écrit autrement que tu n’aurais voulu et comme il te mène, il faut que tu suives.

Si tu attaches ton cœur à ce monde passager, tu n’y trouveras que poison, peine et souci.

Sohrab fit encore une fois des questions à

Hedjir sur l’homme qu’il désirait tant de voir, sur cette enceinte verte et ce cheval puissant, sur ce brave et son lacet roulé.

Mais le Sipehbed Hedjir lui répondit :

Pourquoi te cacherais-je la vérité ?

Si je ne t’ai pas dit le nom de ce Chinois, c’est que je ne le connais pas. »

Sohrab reprit :

Ce n’est pas vrai ; car tu n’as pas dit un mot de Rustem et un homme qui est Pehlewan du monde ne peut pas rester caché au milieu d’un camp.

Tu m’as assuré qu’il est le chef de l’armée et le gardien de toutes les frontières et de toutes les provinces.

Or dans une campagne où Kaous lui-même conduit ses troupes, où il place son trône et son diadème sur le dos des éléphants de guerre, le Pehlewan du monde doit marcher devant lui quand la voix du tonnerre gronde sur le champ de bataille. »

Hedjir lui répondit :

Il faut que le héros, le vainqueur des lions, soit allé dans le Zaboulistan, car c’est le temps des fêtes dans les jardins de roses. »

Sohrab lui dit :

Ne parle pas ainsi, car le front de Rustem se tourne toujours vers le combat.

Les grands seraient arrivés de tous côtés, le casque en tête, auprès du roi maître du monde, pour le seconder et le Pehlewan du monde resterait assis à une fête ?

Les vieux et les jeunes riraient de lui.

J’ai fait aujourd’hui un pacte avec toi, que je te rappelle, car je suis un homme qui parle peu.

Si tu me montres le Pehlewan, je te ferai porter la

Tète plus haut que tout le peuple, je te rendrai riche dans ce monde au-delà de les besoins, je t’ouvrirai les trésors des grands.

Mais si tu me caches ce que je te demande, si tu me voiles la vérité que tu connais, je te séparerai la tête du tronc.

Choisis des deux maintenant.

Ne sais-tu pas ce que le Mobed a dit au roi quand il lui a révélé les secrets de la sagesse :

Une parole, avant d’être prononcée, est comme une perle intacte et encore attachée à sa coquille,-mais quand on la dégage de ses chaînes et de ses liens. elle devient un joyau brillant et sans prix. »

Hedjir lui répondit :

Ô roi !

Quand tu seras las du trône, du sceau et du diadème, alors cherche à combattre contre un homme qui abat des éléphants furieux, qui anéantit deux cents hommes d’un coup de sa massue capable de briser les enclumes, contre Rustem qui abaisse dans la poussière les têtes de ses ennemis lors même qu’elles atteignent le ciel.

Il n’y a pas d’éléphant dans le monde qui puisse lui résister et la poussière que soulèvent les pieds de Raksch est plus vaste que la mer.

Son corps est doué de la force de cent hommes forts ; sa tête est plus haute qu’un arbre élancé.

Quand il entre en colère au jour du combat, que sont dans sa main un lion, un éléphant, un homme ? »

Sohrab, fils d’un noble père, s’écria :

Malheur à Gouderz fils de Keschwad, qui n’est qu’un enfant comme toi, malgré sa puissance, sa sagesse et sa

tu bravoure !

Où as-tu donc vu des hommes de guerre, toi qui n’as pas entendu le bruit du pied d’un chenal, toi qui parles ainsi de Rustem et ne fais que célébrer ses louanges ?

Tant que la mer se balance tranquillement, tu as peut du feu ; mais quand tout à coup elle déborde, il ne reste plus un souffle au feu dévorant.

De même llohscurité cache sa tête quand le soleil tire l’épée ardente. »

Hedjir, dans son inexpérience, dit en lui-même :

Si je fais connaître le vainqueur des lions à ce Turc aux mains puissantes, aux membres vigoureux, qui est assis sur ce cheval digne d’un roi, il rangera en bataille son armée avide de combats, il lancera son cheval au corps d’éléphant ; et Rustem, malgré sa force et ses épaules et ses bras puissants, sera tué de sa ce main.

Alors personne ne sortira plus des rangs des Iraniens pour l’attaquer ; et quand personne dans l’armée de l’Iran ne songera plus à le combattre, Sohrab s’emparera du trône de Kaous.

Le Mobed a dit :

il vaut mieux mourir glorieusement que vivre de manière à être un sujet de joie pour ses ennemis.

Quand même il me tuerait, les eaux des rivières n’en deviendraient pas troubles.

Le vieux Gouderz a, sans me compter, soixante et seize fils au cœur de lion, comme Guiv le maître du monde, le destructeur des armées, qui est partout le premier d’entre le peuple, comme Bahram et Rehham qui portent haut la tête, comme Schidousch le brave, le vainqueur des lions ; ils me chériront après ma mort et arracheront la vie à mes ennemis pour me venger.

Puisqu’il reste encore au pays d’Iran Gouderz et ses soixante et dix fils illustres, je peux lui manquer.

Le Mobed à la foi pure m’a enseigné qu’il est naturel que le faisan ne flaire pas d’autres herbes, quand il y a dans la prairie des racines de cyprès qui poussent des tendrons. »

Il dit donc à Sohrab :

Pourquoi te mets-tu en colère et pourquoi ne me parles-tu que de Rustem ?

Pourquoi me fais-tu cette querelle en m’adressant une demande insensée ?

Tu veux me couper la tête parce que je ne sais pas où est Rustem, mais tu n’as pas besoin d’un prétexte pour répandre mon sang ; pourquoi as-tu recours à la dissimulation ?

Tu voudrais tuer Rustem au corps d’éléphant, mais il ne tombera pas facilement en ton pouvoir.

Tu ferais mieux de ne pas chercher à le combattre, car il t’anéantirait sur le champ de bataille. »

Dernière mise à jour : 7 sept. 2021