Keï Kaous

Message de Kaous pour Zal et pour Rustem

...

Après cela le roi Kaous envoya, le cœur brisé, un de ses braves comme un oiseau qui vole à tire d’aile.

Il l’envoya en toute hâte vers le Zaboulistan, s’élançant comme la fumée vers Zal et vers Rustem.

Il leur fit dire :

Hélas, quelle infortune m’a frappé !

Ma tête, me couronne et mon trône sont dans la poussière ; et mon trésor et cette armée glorieuse, belle comme une rose de printemps, tout a été donné aux Divs par la rotation du ciel ; tu dirais qu’un vent s’est levé et a tout emporté.

Maintenant mes yeux sont dans les ténèbres et ma fortune est obscurcie ; ma couronne, mon trône et moi, tout est avili.

Ainsi brisé je suis entre les mains d’Ahriman, qui arrachera mon âme de mon corps.

Quand je me rappelle tes conseils, je pousse un soupir froid.

Tes conseils ne m’ont pas rendu sage et ma légèreté a causé mon malheur.

Si, dans ces circonstances, tu ne veux pas te ceindre pour le combat, tout mon bonheur et toutes mes richesses seront perdus.

Le messager partit en toute hâte du Mazenderan, comme un oiseau qui vole, comme la fumée qui s’élance ; il arriva en courant devant Zal et lui conta ce qu’il savait, ce qu’il avait vu et entendu.

Zal l’écoute, déchira la peau de son corps et n’instruisit de ces nouvelles ni amis ni ennemis.

Son esprit clair voyait de loin les malheurs que Kaous amènerait sur le monde.

Il dit à Rustem :

L’épée est devenue courte dans son fourreau ; il ne faut plus boire et festoyer, il ne faut plus nous livrer aux plaisirs comme des gens destinés au trône ; car le roi du monde est dans la gueule du dragon et des maux sans fin accablent les Iraniens.

Voici le moment de mettre la selle à Raksch et de chercher vengeance avec ton épée qui distribue le monde.

C’est pour ce jour que je t’ai élevé dans mes bras.

Tu es maintenant en état de tenter une telle entreprise ; mais moi je suis âgé de plus de deux cents ans.

Tu y acquerras un grand renom et tu tireras le roi du malheur.

Il faut que dans ce combat contre Ahriman tu ne prennes pas de repos et que tu ne tardes pas un instant.

Couvre ta poitrine de ta cuirasse de peau de léopard, bannis de ta tête tout autre objet, toute autre pensée.

Quiconque a vu de ses yeux ta lance, qui pourrait dire qu’après cela son esprit a trouvé du repos ?

Si tu combattais la mer, elle se changerait en sang et des montagnes deviendraient des plaines à ta voix.

Il ne faut pas qu’Arzeng et le Div blanc conçoivent jamais l’espoir de sauver leur vie de ta main ; il faut que tu brises avec ta lourde massue le cou et l’anneau du roi de Mazenderan.

Rustem répondit :

Le chemin est long, comment puis-je aller chercher vengeance ?

Zal lui dit :

Deux chemins conduisent de ce royaume dans le Mazenderan, tous deux remplis de difficultés et de dangers.

L’un est long, c’est celui que Kaous a pris ; l’autre, dont la longueur n’est que de deux semaines, est plein de lions, de Divs et de ténèbres et ton œil y sera frappé de choses étonnantes.

Prends le chemin court et va à la rencontre de ces monstres ; le Créateur du monde te sera en aide ; et si difficile que soit la route, elle aura une fin et le pied du noble Raksch la foulera.

Pendant toute la nuit jusqu’à ce que le jour déchire ses voiles, je me tiendrai en prière devant Dieu le saint pour qu’il m’accorde la grâce de revoir ta poitrine et tes pieds, ta tête, tes bras, tes mains et ta massue ; et quand même Dieu permettrait que tu tombasses sous la main du Div, quelqu’un peut-il retarder le cours de ce monde ?

De même qu’il passe, il faut passer aussi.

Personne ne peut y rester toujours ; et quand même on y resterait longtemps, il faut à la fin le quitter.

Quiconque remplit le monde de son nom glorieux ne doit pas s’inquiéter de la mort.

Rustem répondit à son père illustre :

Je suis prêt à obéir ; cependant les grands des temps anciens ne voulaient pas aller d’eux-mêmes dans l’enfer et quiconque n’est pas las de la vie, ne va pas au-devant d’un lion rugissant.

Mais à présent je suis ceint et prêt à partir et ne demande de secours qu’au Dieu juste ; je dévoue au roi mon corps et mon âme ; je briserai les talismans et les corps des magiciens ; je ramènerai tous les Iraniens qui sont encore en vie ; je les ceindrai de nouveau de leurs ceintures ; je n’épargnerai ni Arzeng, ni le Div blanc, ni Sandjeb, ni Poulad fils de Ghandi, ni Bid ; je jure par le nom de Dieu l’unique, le créateur, que Rustem ne descendra pas de Raksch avant d’avoir lié les mains d’Arzeng dur comme un rocher et de lui avoir mis un joug sur le cou, avant d’avoir foulé aux pieds la tête et la cervelle de Poulad et avant que le pied de Raksch ait remis la terre à sa place.

Puis, il se revêtit de sa cuirasse de peau de léopard et se dressa de toute sa hauteur, pendant que Zal le bénissait.

Lorsqu’il monta sur Raksch, semblable à un éléphant, les joues colorées et le cœur ferme, Roudabeh accourut, les joues inondées de larmes et Destan aussi pleurait amèrement.

Roudabeh au visage de lune dit à Rustem :

Tu pars donc ; mais si tu me quittes dans mon affliction, que peux-tu espérer de Dieu ?

Il répondit :

Ô ma tendre mère !

Je n’ai pas choisi cette voie de ma propre volonté ; c’est le décret du sort.

Laisse à Dieu le soin de mon corps et de mon âme.

Ils s’avancèrent alors pour prendre congé de lui.

Qui pouvait savoir s’ils le reverraient jamais ?

Ainsi passe le temps et quiconque est sage en compte les respirations.

Après chaque mauvais jour qui aura passé sur toi, tu éprouveras que le monde a déjà changé de nouveau.

Dernière mise à jour : 7 sept. 2021