Keï Kaous

Kaous envoie des messages au Kaïsar de Roum et à Afrasiab

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Le roi dépêcha un cavalier au Kaïsar, un cavalier qui faisait disparaître le chemin devant lui et lui fit dire :

Il ne faut pas que nul d’entre les grands de Roum reste dans son pays ; il faut les envoyer auprès de moi pour éclairer mon esprit obscurci ; mais je ne veux que des cavaliers expérimentés et il n’en doit venir aucun autre.

C’est là l’armée que je demande au pays de Roum et qui doit m’accompagner dans tous les pays habités.

Après cela se répandit, du pays de Hamaveran dans le désert des cavaliers armés de lances, la nouvelle des hauts faits de Rustem au jour du combat contre les rois d’Égypte et du Berberistan ; et les braves du désert choisirent un cavalier courageux qui savait manier les rênes et combattre un lion, un homme de cœur et le chargèrent de porter une lettre digne d’être adressée à un roi et contenant des paroles convenables et éloquentes :

Nous sommes tous les esclaves du roi ; nous ne tenons notre pays que de sa volonté.

Quand une armée de Kerkesars s’avança pour s’emparer du glorieux trône du roi, nos cœurs furent remplis de douleur de ce que les ennemis avaient osé penser à une si haute entreprise.

En même temps Afrasiab prétendit à ton trône ; puisse ce, méchant ne jamais le voir même en songe !

Tous nos braves qui manient l’épée partirent pour le champ de bataille ; nous partîmes avec nos longues lances, nous rendîmes amers à Afrasiab le repos et le plaisir.

Des deux côtés beaucoup de guerriers ont été tués et les bons ont péri comme les méchants.

Maintenant nous avons reçu de tes nouvelles, nous savons que la splendeur du roi des rois brille de nouveau.

Aussitôt que tu auras détourné les rênes de ton coursier du pays des Berbers, nous appuierons tous nos lances sur nos épaules, nous inonderons la terre de sang de montagne en montagne, nous convertirons le monde en un torrent de sang semblable au Djihoun.

Le messager lança son cheval et partit en toute hâte pour le Berberistan.

Lorsque le roi de l’Iran reçut la lettre et qu’il vit les paroles convenables qu’elle contenait, il fut content de la conduite des Arabes et se mit à écrire au roi Afrasiab :

Sors du pays d’Iran et ne tarde pas ; ma tête est remplie des bruits qui courent sur ton compte.

Le pays de Touran te plaît : pourquoi donc entreprends-tu follement ce qui est mal ?

Si tes besoins sont satisfaits, ne cherche pas à t’agrandir, car tu vas t’attirer une punition dont tu te souviendras longtemps.

Il vaudrait mieux pour toi te tenir dans ta sphère subordonnée et prendre garde à la peau de ton corps.

Ne sais-tu donc pas que l’Iran est ma résidence et que le monde entier m’est soumis ?

Le léopard sauvage, quelque courageux qu’il soit, n’ose pas affronter les griffes du lion.

Le sceau ayant été apposé à la lettre, le roi la remit à un brave issu de famille de Pehlewans, qui la prit de ses mains et se mit en route, chevauchant que c’était merveille.

Arrivé auprès du roi des Turcs et de la Chine, il lui rendit hommage en baisant la terre, s’acquitta des messages sans nombre dont l’avait chargé le roi illustre et lui remit sa lettre.

Afrasiab la lut, sa tête se remplit de colère et son cœur d’impatience et il envoya à Kaous cette réponse :

De semblables paroles n’appartiennent qu’à un homme de nature vile.

Si le pays d’Iran t’avait convenu, tu n’aurais pas eu besoin du Hamaveran.

Je suis venu préparé au combat, j’élève l’étendard impérial.

Tout le pays d’Iran m’appartient pour deux raisons (et il faut que tu prêtes l’oreille aux paroles de la vérité), tout le pays d’Iran est mon domaine, d’abord parce que Tour fils de Feridoun est mon aïeul, ensuite parce que j’ai anéanti l’armée des Arabes par la force de mon bras qui frappe vite de l’épée.

Mon glaive fend la cime des montagnes et fait tomber l’aigle du nuage noir.

Afrasiab ayant mis sur pied d’une frontière à l’autre ses troupes armées de massues et d’épées et montées sur des chevaux caparaçonnés, marcha en toute hâte à la rencontre du roi illustre et Kaous, de son côté, ayant entendu cette réponse, prépara son armée pour la guerre et se rendit du Berberistan dans le pays des Arabes, accompagné de troupes innombrables.

Afrasiab se tint prêt à combattre et fit voler vers le ciel la poussière des eaux.

Le monde retentit du son des clairons et des timbales ; la terre se hérissa de fer et la sphère du ciel s’obscurcit.

Il fut donné tant de coups de hache d’armes, il fut lancé tant de flèches, que le sang jaillissait à grands flots sur le champ de bataille.

Tehemten mugissait au milieu de l’armée de l’Iran ; il rompit, par une seule attaque, le centre des Touraniens et la fortune des guerriers d’Afrasiab s’endormit sur ce champ de bataille.

Quand le roi du Touran vit ce qui se passait, il bouillonna sans feu comme du vin nouveau et s’écria :

Ô vous, mes braves, mes guerriers choisis, vous mes lions, c’est pour un jour comme celui-ci que je vous ai nourris comme un père dans mes bras afin que vous puissiez jouer de vos épées en combattant mes ennemis et non pas pour que vous vous comportiez ainsi dans ma guerre contre les Arabes.

Faites un effort, soutenez la lutte et rendez le monde étroit pour Kaous.

Frappez les héros avec la lance et avec l’épée, abattez tous les guerriers de Kaous et surtout faites prisonnier, à force de bravoure, Rustem le Sejestani au cœur de lion, devant l’épée duquel tremble la voûte du ciel ; enveloppez sa tête du lacet de la destruction.

Quiconque l’enlèvera sur le champ de bataille de sa selle de peau de léopard et le jettera dans la poussière, je lui donnerai un royaume, le droit d’avoir un parasol et la main de ma fille ; il portera le titre de Sipehbed ; je lui confierai le pays d’Iran ; j’élèverai sa tête jusqu’à la voûte du ciel qui tourne.

Les Turcs, à ces mots, retournèrent tous au combat ; mais les braves et les chefs du pays d’Iran, ayant chacun en main sa massue pesante, firent un tel carnage parmi cette masse de Turcs, que la plaine, la mer et les montagnes disparurent sous les monceaux de morts.

La moitié des Touraniens furent tués et leur sang rendit la terre rouge comme une rose.

La fortune des Turcs s’endormit et Afrasiab s’enfuit précipitamment devant Rustem, suivi des troupes du pays de Ghouri.

Il avait cherché la fortune et n’avait trouvé que le malheur.

Quand il vit comment la chance avait tourné, il quitta Ghouri et se rendit dans le pays de Touran, le cœur brisé et ne ramenant avec lui que la moitié de son armée.

Il avait demandé au monde du miel et en avait reçu du poison.

Dernière mise à jour : 7 sept. 2021