Keï Kaous

Guersiwez retourne auprès de Siawusch

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Le traître Guersiwez s’apprêta pour le voyage, le cœur rempli de haine, la tête pleine de desseins secrets.

Lorsqu’il fut près de la ville de Siawusch, il choisit un homme de son cortège qui savait bien

Parler et lui dit :

Va auprès de Siawusch et dis-lui en mon nom :

Ô illustre fils d’un père illustre !

Par l’âme et la tête du roi du Touran, par l’âme, la tête et la couronne de Kaous, je te conjure de ne pas te lever de ton trône pour moi et de ne pas venir à ma rencontre ; car tu en es dispensé par ton savoir et ta haute fortune, par ta dignité, ta naissance, ta couronne et ton trône.

Les vents mêmes devraient t’obéir et tu te lèverais pour moi de ton trône royal ? »

Le messager se rendit auprès de Siawusch, baisa la terre aussitôt qu’il l’aperçut et lui répéta les paroles de Guersiwez.

Siawusch en ressentit une inquiétude intérieure et resta longtemps assis, plongé dans ses réflexions et se disant :

Il y a un secret lin-dessous. Île ne sais ce que Guersiwez, qui prétend être mon ami, aura dit de moi à Afrasiab. »

Lorsque Guersiwez parut devant le palais, Siawusch quitta la salle d’audience, s’avança à pied jusque dans la rue et adressa à Guersiwez des questions sur son voyage et sur la santé du roi, sur l’état de l’armée, sur le trône et la couronne.

Guersiwez s’acquitta de son message et Siawusch s’en réjouit et lui répondit :

Pour l’amour du roi je n’hésiterais pas à m’exposer au tranchant de l’épée d’acier.

Je suis prêt à partir et la bride de mon cheval est liée à celle de ton destrier.

Mais nous resterons d’abord trois jours dans ce pam’llon doré du parterre de roses pour boire du vin : car le monde est un lieu de passage plein de troubles et de peines et malheur à celui qui passe cette vie ?

Fugitive dans les soucis !

N Lorsque le méchant Guersiwez entendit cette réponse du prudent roi, il trembla et se dit :

Si Siawusch va avec moi auprès d’Afrasiab, sa bravoure et son sens droit produiront une telle impression qu’il pourra fouler aux pieds les soupçons que j’aifait naître.

Mes paroles n’auront plus d’elïet et le roi verra que mes conseils étaient perfides.

Il faut donc que je trouve un moyen de le détourner de ce voyage. »

Il demeura quelque temps dans le silence, les regards fixés sur Siawusch ; à la fin ses yeux versèrent un torrent de fiel, car c’était dans ses larmes qu’il cherchait son salut.

Siawusch le voyant pleurer comme un homme qui tremble de colère, lui dit d’une voix douce :

Ô mon frère !

Qu’est-il arrivé ?

On ne devrait pas toucher la plaie de ceux qui sont affligés ; mais enfin si tu es en colère contre le roi du Touran, si c’est pour cela que la douleur mouille tes yeux, me voilà prêt à partir avec toi, prêt à combattre le maître de l’armée du Touran, jusqu’à ce qu’il renonce à te persécuter pour de faibles motifs.

Pourquoi te traiterait-il comme un inférieur ?

Si quelqu’un s’est’déclaré ton ennemi et s’il faut te protéger et lutter contre lui, me voilà prêt à te soutenir en toute circonstance et si tu fais la guerre, à t’en fournir tous les moyens.

Si tu as eu le malheur de tomber dans la disgrâce d’Afrasiab, si les paroles d’un calomniateur t’ont fait perdre la première place de l’empire, ra- conte-moi le secret de cette affaire pour que je trouve un remède à tes douleurs.

Je partirai pour tout aplanir, pour faire trembler le cœur de tes ennemis. »

Guersiwez lui répondit :

Ô prince illustre !

Ce ne sont pas mes rapports avec le roi qui sont cause de mes chagrins, ce n’est pas un ennemi qui me met en détresse, car mon courage et mes trésors me dispensent de chercher des moyens de salut : c’est ton origine qui me remplit d’inquiétude et il faut que je te dise la vérité.

Le mal est venu d’abord de Tour, à qui Dieu avait retiré ses grâces.

Tu sais comment il tua le malheureux Iredj au commencement de nos haines de famille,-comment, depuis ce temps jusqu’à Afrasiab, le Touran et l’Iran ont été dévastés ; comment les deux peuples n’ont jamais et nulle part voulu s’entremêler et se sont éloignés des préceptes de la raison.

Le monde n’a pas encore changé et le roi qui gouverne aujourd’hui le Touran est le plus méchant des hommes.

Tu ne peux pas encore connaître sa mauvaise nature ; mais attends que quelque temps se soit écoulé.

Prends exemple sur Aghrirez, qui est mort misérablement de la main d’Afrasiab.

Il était son frère de père et de mère ; il était plein d’intelligence, il était innocent ; mais Afrasiab l’a tué.

Plus tard beaucoup de grands ont été assassinés par lui sans avoir commis de faute.

Je suis sérieusement inquiet pour toi, car tu es un homme sage et vaillant et jamais tu ne fis de mal à qui que ce soit avant de venir dans ce pays.

Tu as toujours agi avec droiture et humanité, tu as rendu les hommes meilleurs par ta sagesse.

Mais maintenant Ahriman qui désunit les âmes a enflammé le cœur du roi contre toi et l’a rempli d’amertume et de haine et je ne puis dire ce que Dieu ordonnera de ton sort.

Tu sais que je suis ton ami, que dans le bonheur et dans le malheur je te suis sincèrement dévoué et il ne faut pas qu’un jour tu puisses croire que j’ai connu les intentions injustes du roi sans t’en avertir.

Réfléchis et cherche un moyen de salut et ne parle qu’avec douceur et avec mesure. »

Siawusch lui répondit :

Ne t’inquiète pas de cela, car Dieu est mon soutien et le roi m’a promis autre chose que de convertir pour moi le jour brillant en nuit.

S’il avait eu des doutes sur mon compte, il ne m’aurait pas élevé au-dessus de toute la cour ; il ne m’aurait pas donné un royaume, une couronne et un trône, un pays, sa fille, des trésors et une armée.

Je vais aller à sa cour avec toi et je rendrai sa clarté à la lune de son intelligence qui s’est obscurcie.

Partout où brille la droiture, le mensonge perd son éclat ; je montrerai à Afrasiab mon cœur plus par que la lumière du soleil qui

4 éclaire les cieux.

Ainsi reprends ta gaieté et ne laisse pas aller ton âme à de mauvais soupçons.

Un homme qui ne veut pas suivre la voie du dragon ne s’écarte pas des ordres de Dieu. »

Le méchant Guersiwez lui répondit :

Sache qu’Afrasiab n’est plus tel que tu l’as vu.

D’ailleurs quand le ciel qui tourne s’irrite et couvre sa face de rides, l’homme même le plus sage et le plus savant peut ne pas voir la fraude qui paraît sur le bord de l’horizon.

Toi, malgré ta sagesse et ton esprit prudent, malgré ta haute stature et ta puissante volonté, tu ne sais pas distinguer entre la ruse et l’amitié.

Puisse la mauvaise fortune ne jamais t’atr : teindre !

Afrasiab t’a entouré d’artifices et de sorceL nieries, il a fasciné les yeux de ton intelligence.

D’abord il t’a donné le nom de gendre et tu t’en zes follement réjoui ; ensuite quand il t’a fait partir, il t’a donné un festin où assistaient les grands, dans l’espoir que tu serais hautain envers lui et que cela ferait mal parler de toi.

Tu n’es pas un parent ou un allié plus proche de lui que ne l’était le noble Aghrirez et pourtant il l’a coupé en deux avec son épée et a frappé l’armée de terreur par cette mauvaise action.

Je t’ai maintenant développé tous les replis de son âme, sache qu’il est tel que je dis et ne te fie pas à sa parenté.

Tous les soucis qui agitent mon cœur, toutes mes pensées et les ressources de toute espèce que je possède, je te les ai ce révélées, je les ai rendues claires comme la lumière du soleil.

Tu as laissé ton père dans l’Iran, tu as fondé une ville dans le Touran, tu as livré ton n cœur aux paroles d’Afrasiab, tu t’es plu à l’entourer de tes soins et pourtant tu n’as fait que planter de tes mains un arbre dont le fruit est du poison, dont les feuilles sont du venin. »

Pendant que Guersiwez parlait ainsi, ses cils étaient mouillés de larmes, son cœur rempli de ruse, ses lèvres poussaient des soupirs.

Siawusch le regarda avec étonnement et deux torrents de larmes coulaient sur ses joues ; il pensa à son sort malheureux, au ciel qui le privait de son amour, à la fin de sa jeune vie qui s’approchait, au peu de temps qui lui restait à vivre.

Son cœur se remplit de douleur, ses joues pâlirent, son âme était triste et il soupirait.

Il répondit :

l’ai beau y réfléchir, je n’ai pas mérité de punition ; ni mes paroles, ni mes actions, ni rien dans ma vie n’a donné lieu au monde de se plaindre de moi.

Ma main a été prodigue des trésors du roi, mais mon cœur a souffert de ses souffrances.

Quel que soit le malheur qui puisse m’en arriver, je ne désobéirai pas à ses ordres et à sa volonté, je vais partir avec toi sans cortège et je verrai d’où vient cette malveillance du roi. »

Guersiwez lui dit :

Ô prince illustre !

Ne te présente pas devant lui.

Il ne faut pas marcher sur le leu ni se lier aux vagues de la mer ; tu te jetterais : .

follement dans le malheur et la fortune qui te sourit s’endormirait. le puis intercéder pour toi auprès d’Afrasiab et je réussirai peut-être à jeter de l’eau froide sur le feu ; mais il faut que tu fasses une réponse à sa lettre et que tu lui mettes devant les yeux tes bonnes intentions et ses mauvais desseins.

Si je vois que sa tête s’est calmée et que je puisse te faire espérer de meilleurs jours, je t’enverrai un messager à cheval et je réjouirai ton âme affligée.

J’espère que Dieu le créateur, qui sait ce qui est connu et ce qui est inconnu, fera qu’Afrasiab rentre dans la droite voie et s’éloigne de l’injustice et du désir de mal faire.

Mais si je le vois courroucé, je t’enverraient toute hâte un messager monté sur un dromadaire.

Fais maintenant sans délai tes préparatifs et ne perds pas de temps.

Tu n’es ici éloigné d’aucun pays, tu peux aller chez tous les grands et chez tous les rois ; il n’y a que cent vingt farsangs d’ici jusqu’à la Chine et trois cent quarante jusqu’à l’Iran : du côté de la Chine tu n’as que des amis et tous les grands te veulent du bien ; dans l’Iran est ton père qui désire ton retour,.et une armée qui est l’esclave de ton sceau et de tes ordres.

Envoie secrètement des lettres de ces deux côtés, tiensloi armé et n’ajourne aucune mesure. »

Siawusch se laissa convaincre par ces discours et c’est ainsi que son esprit vigilant fut endormi.

Il répondit :

Je ne dévierai eu rien de la voie que tes paroles et tes conseils m’indiquent, charge-toi de mes demandes auprès d’Afrasiab, maintiens la paix entre nous et sers-moi de guide. »

Dernière mise à jour : 28 déc. 2021