Guschtasp

Rustem et Isfendiar se rencontrent

...

Le fortuné Isfendiar fit seller son cheval noir et lui fit mettre une selle d’or;

Ensuite cent cavaliers de son cortège illustre partirent avec lui.

Il courut jusqu’au bord du Hirmend, le lacet roulé suspendu au crochet de la selle;

Raksch se mit à hennir d’un côté du fleuve, et de l’autre, le cheval du héros distributeur de couronnes.

Tehemten traversa le fleuve, et, arrivé à terre, il descendit de cheval et salua le héros.

Après lui avoir rendu hommage, il dit:

J’avais prié Dieu l’unique pour qu’il te guidât, ô prince illustre, de manière que tu arrivasses ici en bonne santé avec ton armée.

Maintenant nous parlerons ensemble, nous nous répondrons, et nous prendrons une résolution qui portera bonheur.

Sache que Dieu m’est témoin, et je ne me laisse guider ici que par la loi de la raison, que je ne cherche pas à briller par mes paroles, et que jamais je n’essaye de tromper.

Si je voyais les traits de Siawusch, je n’en aurais pas plus de joie que de l’aspect de ton frais visage, car tu ressembles entièrement à ce maître de la couronne, à ce distributeur du monde.

Heureux le roi qui a un fils comme toi, un fils dont la stature et la majesté doivent réjouir un père!

Heureux le pays d’Iran, qui vénère ton trône et ta fortune qui ne s’endort pas.

Malheur à celui qui cherche à te combattre, car il tombera de son trône dans la poussière!

Puisse ta fortune être toujours victorieuse, puissent les nuits sombres être pour toi comme des jours du Nourouz.

Isfendiar écouta les paroles de Rustem, descendit de son noble destrier, serra sur sa poitrine le héros, au corps d’éléphant, et se mit à le bénir dans sa joie, disant:

Grâces soient rendues à Dieu, ô Pehlewan du monde, de t’avoir vu bien portant et plein de sérénité!

C’est un devoir de célébrer ta gloire, et les héros doivent devenir de la poussière sous tes pieds.

Heureux celui qui a un fils comme toi, il voit pousser une branche qui portera fruit;

Heureux celui qui a un soutien comme toi! il est à l’abri des rigueurs du sort.

Quand je t’ai vu, tu m’as rappelé Zerir, le Sipehdar qui abattait les éléphants, le vaillant lion.

Rustem répondit :

Ô Pehlewan plein de sens, de prudence et de sérénité d’âme!

J’ai une prière à faire au héros illustre, qui voudra bien me l’accorder, c’est qu’il daigne venir dans ma maison et qu’il réjouisse mon âme par sa présence.

Si quelque chose qui soit digne de lui nous manque, nous nous efforcerons de nous le procurer.

Isfendiar lui dit:

Ô toi, l’héritier des héros du monde! quand on porte un nom comme le tien, on fait la joie de tout le pays d’ Iran, et personne ne doit se refuser à ce que tu demandes et passer devant ton pays et ta demeure;

Mais je ne dévierai jamais, ni ouvertement ni en secret, des ordres du roi de la terre, et il ne m’a pas permis de faire un séjour dans le Zaboulistan ni auprès des grands de cette frontière guerrière.

Fais ce qu’il faut pour tirer parti du sort, va où le roi te l’ordonne, place sans délai tes pieds dans les fers, car les fers du roi des rois ne déshonorent pas.

Quand je t’aurai amené captif devant le roi, toute la faute rejaillira sur lui.

Moi-même j’ai le cœur blessé d’avoir à t’enchaîner;

Je me tiens devant toi ceint comme un esclave, et je ne permettrai pas que tes chaînes restent jusqu’à la nuit, ou qu’un danger quelconque t’atteigne.

Prends tout cela en bien, ô Pehlewan! tu ne peux croire que de ton roi il t’arrive du mal, et du moment où j’aurai posé la couronne sur ma tête, je placerai sous ta main le monde entier.

Ce que je te demande n’est pas un péché contre Dieu, le distributeur de la justice, et il n’y a aucune honte à supporter ce qui vient de la couronne et du roi;

Quand tu t’en retourneras dans le Zaboulistan au temps où les jardins de roses sont en fleurs, tu recevras de moi tant de choses précieuses que ton pays entier en sera embelli.

Rustem répondit:

Ô prince illustre! j’avais prié Dieu, le juge suprême, qu’il remplit mon cœur de joie par ta vue, qu’il me rendit heureux par tes paroles.

Nous sommes deux hommes qui portons haut la tête, un vieux et un jeune, nous sommes des Pehlewans doués de sens et de prudence;

Mais je crains que le mauvais œil ne tombe sur nous, et que ma tête ne se réveille d’un beau rêve, que le Div ne se place entre nous deux, et ne pervertisse ton âme par l’envie de la couronne et du trône.

Ce serait pour moi une honte qui ne s’effacerait jamais, si un Sipehbed, un chef, un prince, un lion plein de fierté, un homme puissant comme toi, refusait d’entrer joyeusement dans ma maison, et d’être mon hôte dans ce pays.

Si tu repoussais de ton cœur cette haine, si tu faisais un effort sur toi et résistais au Div, mon âme serait heureuse de tes paroles et j’obéirais à tout ce que tu m’ordonnerais, excepté de mettre des fers, car les fers me couvriraient de honte, ce serait ma destruction et une mauvaise action.

Personne ne me verra vivant dans les fers, ma vie est à ce prix. J’ai dit.

Isfendiar reprit:

Ô toi, héritier des héros dans le monde, tu as dit vrai, tu n’as proféré aucun mensonge.

Puissent les hommes ne jamais chercher de l’éclat par des voies tortueuses!

Mais Beschouten sait les ordres que le roi m’a donnés quand je me suis mis en route.

Or maintenant, si je vais dans ton palais, si je suis ton hôte joyeux et victorieux, et que tu refuses d’obéir au roi, la splendeur du jour sera ternie pour moi;

Car il est certain que je t’attaquerai, que je te combattrai avec la fureur d’un léopard;

J’oublierai les droits du pain et du sel, ce qui fera douter de la vertu de ma race dont on n’a jamais douté; d’un autre côté, si je désobéissais au roi, ma place dans l’autre monde serait le feu.

Si tu en as envie, consacrons ce jour aux coupes de vin, car qui sait ce qui arrivera demain?

Mais il est inutile de parler de l’avenir.

Rustem répondit:

Je vais faire ainsi: je m’en vais pour changer mes vêtements de voyage, car j’ai passé une semaine à la chasse, et je me suis nourri d’onagres au lieu d’agneaux.

A l’heure du dîner, fais-moi appeler, et mets-toi à table avec les membres de ta famille.

Il remonta sur Raksch, renfermant ses soucis dans son âme blessée, partit en toute hâte et chevaucha jusqu’à ce qu’il fut arrivé à son palais.

Il y trouva Zal, fils de Sam, fils de Neriman, et lui dit:

Ô prince illustre, je me suis rendu auprès d’Isfendiar, j’ai vu en lui un cavalier semblable à un cyprès élancé, plein de sens, de grâce et de dignité royale.

On dirait que le vaillant roi Feridoun lui a légué sa puissance et sa sagesse;

Quand on le voit, on le trouve plus grand que sa renommée; il brille de toute la majesté du roi des rois.

Dernière mise à jour : 7 sept. 2021