Guschtasp

Lettre d'Ardjasp à Guschtasp

Les braves de la Chine furent de son avis; ils choisirent parmi eux deux hommes, dont l’un était le puissant Bidirefsch, un vieux et vaillant magicien, un loup hargneux; l’autre était un magicien du nom de Namkhast, et dont le cœur ne cherchait que la destruction.

Ardjasp écrivit une belle lettre, pleine de dignité, à l’illustre Khosrou, qui avait embrassé la nouvelle foi.

Il écrivit en invoquant le Maître du monde, qui connaît ce qui est caché et ce qui est ouvert, et disant que c’était Ardjasp, le chef des braves de la Chine, le cavalier maître de la terre, le héros choisi, qui adressait une lettre digne d’un roi au chef des cavaliers de l’Iran, au vaillant Guschtasp, roi du monde, au Keïanide illustre et digne du trône, au possesseur de la terre, au gardien du trône, au fils aîné et préféré du roi Lohrasp.

Il dit dans cette lettre royale remplie d’hommages et écrite en caractères turcs:

Ô illustre roi du monde, toi qui entoure de gloire la couronne du roi des rois, puisse ta tête rester jeune et ton âme et ton corps rester sains!

Puissent les reins du Keïanide ne jamais fléchir!

J’ai entendu que tu as choisi une voie perverse, et tu as obscurci pour moi le jour brillant.

Il est venu un vieillard, un grand fourbe, qui t’a rempli l’âme de crainte et de terreur; il t’a parlé de l’enfer et du paradis, et a effacé de ton cœur toute joie;

tu l’as accueilli, lui et sa doctrine, tu lui as aplani la voie et tu as célébré son culte;

tu as rejeté les coutumes de tes ancêtres, les grands de la terre qui t’ont précédé, tu as détruit la religion des Pehlewans; pourquoi n’as-tu pas regardé devant et derrière toi ?

Tu es le fils de celui que le roi bienheureux Keï Khosrou a choisi au milieu de son armée pour lui donner la couronne;

le Créateur, Ormuzd le tout-puissant, qui a formé le ciel et la terre, t’a choisi parmi ses élus et t’a donné une majesté plus haute qu’au fils de Djemschid.

Keï Khosrou le vindicatif et toi avez joui de plus grands honneurs que tous les Keïanides.

Ô prince orgueilleux!

Le pouvoir, la royauté, la fortune, la puissance, la majesté, la grâce, des drapeaux brillants, des éléphants parés, une grande armée et des trésors inépuisables, tout t’a été accordé, et tous les rois se sont soumis à toi;

tu as brillé dans le monde entier comme le soleil au mois d’Ardibehischt dans le signe du Bélier;

Dieu t’a choisi dans le monde entier, et tous les princes se tiennent devant toi debout comme des esclaves.

Mais tu n’as pas adoré le Seigneur du monde, tu n’as pas su trouver la vraie route, ô homme égaré! et lorsque Dieu eut fait un roi de toi, un vieux magicien t’a fait dévier de la voie.

Quand la nouvelle m’en est arrivée, j’ai vu en plein jour les étoiles, et je t’écris cette lettre amicale; car nous avons été amis et soutiens l’un de l’autre.

Lorsque tu auras lu cette lettre, lave-toi la tête et le corps, ne vois plus jamais cet imposteur, détache le koschti dont tu t’es ceint, et commence à te réjouir avec du vin brillant.

Ne rejette pas les coutumes des rois tes ancêtres, les puissants maîtres du monde, qui t’ont précédé.

Si tu te conformes à ce bon conseil, il ne t’arrivera aucun mal de la part des Turcs, et le pays de Kaschan, la Chine et le pays des Turcs seront à toi tout comme l’Iran.

Je te donne ces trésors infinis que j’ai accumulés avec tant de peines, des chevaux aux couleurs de bon augure, aux caparaçons d’or et d’argent, aux brides ornées de pierreries;

je t’enverrai des esclaves chargés de présents, de belles femmes aux chevelures parées.

Mais si tu repousses mon conseil, tes pieds seront pris dans mes chaînes de fer; je partirai un mois ou deux après cette lettre, je dévasterai entièrement ton pays;

j’amènerai une armée de Turcs et de Chinois dont les tentes seront si nombreuses que la terre ne pourra les porter;

je remplirai de musc le lit du Djihoun;

j’épuiserai l’eau de la mer avec des outres; je brûlerai ton palais couvert de sculptures;

je te détruirai entièrement, racines et branches, je dévasterai ton pays par le feu d’un bout à l’autre;

je coudrai avec des flèches tous vos linceuls.

Tous les vieillards parmi les Iraniens qui ne valent plus la peine qu’on en fasse des esclaves et dont on ne peut plus tirer un grand prix, je les décapiterai tous;

j’emmènerai les femmes et les enfants, et en ferai des esclaves dans mon pays; je ferai un désert de vos terres, j’arracherai par les racines tous vos arbres.

J’ai dit maintenant depuis le commencement jusqu’à la fin tout ce que j’avais à dire;

médite profondément cette lettre d’exhortation.

Dernière mise à jour : 7 sept. 2021