Guschtasp

Le roi de Kaboul fait creuser des fosses dans la réserve de chasse

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Lorsque Scheghad à la mauvaise étoile eut quitté Kaboul, le roi partit à l’instant pour le lieu de la chasse avec les hommes de son armée les plus habiles dans l’art de faire des fosses, et ils en creusèrent partout sous les routes dans la réserve de chasse, et en garnirent le fond avec des épieux, des lances, des javelots et des épées de combat dont la poignée était fixée en terre. Ensuite on rendit invisible, avec beaucoup d’art, l’ouverture des fosses, de manière que ni un homme ni l’œil d’un cheval ne pouvaient les découvrir.

Rustem s’étant mis en route sans délai, Scheghad envoya un cavalier bien monté pour dire au roi de Kaboul que le héros au corps d’éléphant partait sans armée et qu’il fallait aller à sa rencontre pour lui demander pardon.

Le roi sortit de la ville, la langue pleine de miel, le cœur rempli de poison;

Mais quand son œil aperçut la figure de Rustem, il mit pied à terre d’aussi loin qu’il le vit, ôta de sa tête son bonnet indien et s’avança la tête nue et les mains posées sur le front;

Il ôta les bottines de ses pieds en poussant des lamentations et en versant des larmes de sang; il se prosterna, le visage sur la terre noire, et demanda, dans ces termes, pardon de ce qu’il avait dit à Scheghad:

Si ton esclave a été et assez insensé pour s’enivrer et a été arrogant dans cet état de folie, pardonne-lui sa faute et traite-le comme autrefois.

Il s’approcha les pieds nus, la tête pleine de desseins de vengeance et le cœur rempli de ruses.

Rustem lui pardonna, lui accorda de nouveaux honneurs, lui permit de se couvrir la tête et de se chausser les pieds, de monter à cheval et de se mettre en route.

Or, il y avait en face de la ville de Kaboul un lieu dont la verdure ravissait les âmes;

On y voyait de l’eau et des arbres, et l’on s’y arrêtait partout joyeusement.

Le roi y fit porter beaucoup de vivres et fit arranger une belle salle de festin;

Il envoya chercher du vin, appela des musiciens et fit asseoir les princes sur un trône royal.

Le roi dit à Rustem:

Quand tu auras envie de chasser, je possède un lieu où les bêtes fauves errent partout en troupeaux, dans la plaine et dans la montagne.

La montagne est remplie de béliers sauvages, la plaine est couverte d’onagres, et quiconque a un cheval rapide est sûr de prendre en cette plaine des onagres et des biches.

Il ne faut pas passer sans visiter ce lieu ravissant.

Ces paroles agitèrent Rustem, par l’attrait de cette plaine remplie de ruisseaux, de biches et d’onagres;

Car ce qui est destiné à amener la fin d’un homme agite toujours son cœur et pervertit son jugement.

Telle est l’action de ce monde changeant, il ne nous dévoile jamais son secret.

Le crocodile dans la mer, le léopard dans le désert, le vaillant lion aux griffes aiguës, la mouche et la fourmi sont également sous la main de la mort, et personne ne peut rester dans ce monde.

Rustem fit seller Raksch et couvrir la plaine d’éperviers et de faucons;

Il plaça son arc royal dans l’étui;

Scheghad se mit à courir à coté de lui, et Zewareh avec quelques hommes de cette illustre assemblée accompagnèrent le héros au corps d’éléphant.

Pendant la chasse, l’escorte de Rustem se dispersa, les uns courant sur les parties minées, les autres sur les parties fermes du terrain;

Zewareh et Tehemten se trouvèrent, par l’influence du destin, sur une route où il y avait des fosses.

Raksch flairait ce sol nouvellement remué et se ramassait comme une boule; il se cabrait, il avait peur de l’odeur de cette terre et battait le sol de ses sabots.

Il avança sur cette route de manière à se placer entre deux fosses.

Rustem s’obstina à faire avancer Raksch, le destin l’aveugla et il se mit en colère, leva son fouet et en toucha légèrement Raksch: l’animal terrifié reprit son élan;

Il était resserré entre deux fosses et il chercha à échapper à la grille du sort;

Mais il tomba avec deux de ses pieds dans une des trappes, où il n’y avait pas moyen de se retenir et de se débattre.

Le fond du trou était plein de javelots et d’épées tranchantes, la bravoure n’y servait à rien et la fuite était impossible.

Les flancs du vaillant Raksch étaient déchirés, la poitrine et les jambes du puissant Pehlewan étaient percées.

Néanmoins, à force de courage, Rustem dégagea son corps, et le héros remonta du fond sur le bord de la fosse.

Dernière mise à jour : 7 sept. 2021