Minoutchehr

Zal va visiter Mihrab, roi de Kaboul

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Il arriva un jour que Zal résolut de faire un tour dans l’empire ; il se mit en route avec ses amis fidèles, qui étaient unis avec lui de foi et de volonté.

Il se dirigea vers l’Hindoustan, vers Kaboul, Dambar, Murgh et Maï ; à chaque endroit, il fit placer un trône, demandant du vin, de la musique et des chansons, ouvrant la porte de son trésor, bannissant les soucis comme il convient de faire dans ce monde fugitif.

Il alla du Zaboulistan au Kaboul avec pompe et le cœur plein de joie et de plaisir.

Or il y avait un roi, nommé Mihrab, homme altier, riche et généreux.

Sa taille était haute comme un noble cyprès, ses joues étaient comme le printemps, sa marche était gracieuse comme celle du faisan.

Il avait l’esprit d’un homme prudent, la volonté d’un homme puissant, les épaules d’un homme de guerre et la sagesse d’un Mobed.

Il était de la famille de Zohak l’Arabe et tout le pays de Kaboul lui appartenait.

Il payait chaque année tribut à Sam, car il ne pouvait pas lutter contre lui.

Lorsqu’il eut nouvelle de Destan fils de Sam, il quitta Kaboul de grand matin avec des trésors et des chevaux parés, avec des esclaves et des présents de toute espèce, de l’or et des rubis, du musc et de l’ambre, des brocarts d’or et des étoffes de castor et de soie, avec une couronne ornée de pierres précieuses dignes d’un roi et un collier d’or incrusté de chrysolithes.

Il emmena avec lui tous les chefs de l’armée de Kaboul ; et lorsque Destan fils de Sam eut nouvelle qu’un roi venait à sa rencontre avec pompe et entouré de ses grands, il fut au-devant de lui, lui adressa des paroles flatteuses et le reçut avec honneur selon les coutumes.

Ils revinrent ensemble s’asseoir sur le trône de turquoises, ils ouvrirent leur cœur et firent apprêter un festin.

On dressa une table digne du Pehlewan, les nobles seigneurs s’y assirent et les échansons apportèrent du vin et des coupes.

Le fils de Sam observa Mihrab dont l’aspect lui plut et son cœur s’attacha ardemment à lui.

La sagesse et la prudence de Mihrab firent dire a Zal :

Le nom de sa mère ne mourra pas !

Mihrab se leva pour quitter le palais ; Zal regardait ses épaules et ses bras et il dit aux grands de sa cour :

Qui relève sa robe dans sa ceinture plus gracieusement que lui ?

Personne n’a un visage ni une taille comme la sienne, personne ne peut lui disputer la balle.

Un homme illustre parmi les grands dit alors au Pehlewan du monde :

Mihrab tient derrière le voile une fille dont le visage est plus beau que le soleil.

Elle est de la tête aux pieds comme de l’ivoire, ses joues sont comme le paradis, sa taille est comme un platane.

Sur son cou d’argent tombent deux boucles musquées, dont les bouts sont courbés comme des anneaux de pied.

Sa bouche est comme la fleur du grenadier, ses lèvres sont comme des cerises et de son buste d’argent s’élèvent deux pommes de grenade.

Ses deux yeux sont comme deux narcisses dans un jardin, ses cils ont emprunté leur couleur de l’aile du corbeau, ses deux sourcils sont comme un arc de Tharaz, couvert d’une écorce colorée délicatement par le musc.

Si tu vois la lune, c’est son visage ; si tu sens le musc, c’est le parfum de ses cheveux.

C’est un paradis orné de toutes parts, rempli de grâces, d’agréments et de charmes.

Ce discours fit bondir le cœur de Zal et le repos et la prudence l’abandonnèrent.

Quand l’homme a une fois quitté le chemin du bien, comment y reviendrait-il de sa nouvelle voie ?

La nuit vint, mais Zal restait assis pensif et triste, tant était grand son souci pour une femme qu’il n’avait jamais vue.

Lorsque le soleil darda ses rayons au-dessus des montagnes et que le monde parut comme un cristal transparent, Destan fils de Sam ouvrit les portes de sa cour et les grands vinrent avec leurs épées au fourreau d’or.

Ils se rangèrent dans la cour du Pehlewan et pendant que les nobles cherchaient la place que leur donnait leur rang, Mihrab le roi de Kaboul se dirigea vers la tente de Zal, maître du Zaboulistan et aussitôt qu’il fut près de la cour, on entendit de la porte l’ordre de lui ouvrir le passage.

Le héros, semblable à un arbre chargé de fruits nouveaux, s’avança vers Zal dont le cœur se réjouit ; Zal le salua et lui assigna la première place dans l’assemblée, puis il lui dit :

Demande ce que tu désires, que ce soit mon trône ou mon sceau, mon épée ou ma couronne.

Mihrab lui répondit :

Ô roi qui porte haut la tête, roi victorieux, à qui tous obéissent !

Je n’ai qu’un seul désir dans ce monde et son accomplissement ne te sera pas difficile ; c’est que tu visites joyeusement ma maison, alors tu auras rendu mon âme brillante comme le soleil.

Zal lui répondit :

C’est une chose impossible, ma place n’est pas dans ton palais ; ni Sam ni le roi ne seraient contents, s’ils entendaient dire que nous buvons du vin, que nous nous enivrons et que je suis entré dans la maison d’un adorateur des idoles.

Excepté cela, je t’accorderai tout ce que tu demanderas et te voir sera toujours un plaisir pour moi.

Mihrab l’entendit et prononça des bénédictions sur lui, tandis qu’en lui-même il donnait à Zal le nom de mécréant, puis il s’éloigna du trône d’un pas fier, en offrant au roi des vœux pour son bonheur.

Destan fils de Sam le regarda pendant qu’il se retirait et se répandit en louanges sur lui comme il le méritait.

Personne n’avait voulu accorder un regard à Mihrab, tous le traitaient comme un adorateur des Divs et leur langue s’était refusée à le louer parce qu’il ne suivait pas la même loi et la même voie.

Mais lorsqu’ils virent que le héros à l’âme brillante était si chaud dans ses éloges, les grands et les hommes illustres dans le monde se mirent tous à louer sa stature, sa bonne mine, sa modestie, sa dignité et ses belles manières.

Le cœur de Zal s’abandonna de nouveau à sa passion, la raison le quitta et l’amour régna sur lui.

Le chef des Arabes et le plus droit des hommes a dit une parole qui peut s’appliquer ici :

Aussi longtemps que je vivrai, mon cheval sera mon compagnon et la voûte du ciel qui tourne sera mon abri.

Il ne me faut pas de fiancée, car je deviendrais efféminé et méprisable aux yeux des hommes de sens.

Ces pensées attristèrent le cœur de Zal, il n’en put délivrer son esprit.

Son cœur était enlacé parce qu’il avait entendu, mais il craignait que sa gloire n’en fût ternie.

Ainsi tourna le ciel pendant quelque temps au-dessus de lui pendant que son cœur était absorbé par l’amour.

Dernière mise à jour : 7 sept. 2021