Minoutchehr

Zal va en ambassade auprès de Minoutchehr

...

Ils mandèrent un scribe et se concertèrent sur toutes choses.

La lettre commençait par des louanges du Créateur, qui a toujours été et sera toujours.

C’est lui qui dispense le bien et le mal, l’existence et la destruction ; nous sommes tous ses esclaves et il est un.

Au-dessus de tout ce qu'il a appelé à l’existence, se meut le ciel qui tourne.

Il est le maître de Saturne, du soleil et de la lune.

Que sa grâce soit sur le roi Minoutchehr, qui dans le combat est comme le poison qui triomphe même de la thériaque et dans la fête comme la lune qui illumine le monde ; sur Minoutchehr qui manie la massue et qui fait ouvrir les portes des villes ; qui fait jouir chacun d’une part de joie, qui tient dans sa main le drapeau de Feridoun et qui tue le tigre fier et courageux.

Les hautes montagnes deviennent par les coups de ta massue comme la poussière sous les sabots de ton cheval qui porte haut la tête.

Par la bonté de ton cœur et par la pureté de ta foi, tu mènes ensemble à l’abreuvoir le loup et la brebis.

Je suis un esclave qui ose t’approcher, j’ai atteint deux fois soixante ans ; une poussière de camphre me couvre la tête, c’est le diadème que le soleil et la lune m’ont donné.

J’ai ceint mes reins de héros comme un esclave ; j’ai combattu les magiciens, manié la bride, vaincu les braves et frappé de la massue.

Personne dans le monde ne connaît un cavalier tel que moi ; et lorsque j’ai porté ma main sur la lourde massue, la gloire des braves du Mazenderan s’est éclipsée.

N’eussé-je, moi qui porte la tête plus haut que les plus fiers, laissé d’autres traces dans le monde que la destruction de ce dragon qui sortit du lit du Kaschaf et rendit la terre nue comme la main, cela suffirait à ma gloire.

Sa longueur égalait la distance d’une ville à une autre, sa largeur remplissait l’espace d’une montagne à une autre.

Les hommes tremblaient devant lui, ils étaient au guet jour et nuit.

Je vis que l’air était vide d’oiseaux et la face de la terre privée de bêtes sauvages.

Le feu du dragon brûlait les ailes des vautours, son venin dévorait la terre.

Il aurait tiré de l’eau le crocodile farouche et de l’air l’aigle aux ailes rapides.

La terre devenait vide d’hommes et d’animaux et toute créature lui cédait la place.

Lorsque je vis que personne sur la terre n’osait engager le combat avec lui, je bannis loin de mon cœur toute crainte et me fiant à la force que m’a donnée Dieu le saint, je me ceignis au nom du Tout-Puissant, je m’assis sur mon cheval qui ressemble à un éléphant ; à sa selle était suspendue ma massue à tête de bœuf, à mon bras, mon arc et mon bouclier à mon cou.

Je partis comme un crocodile furieux ; j’avais pour moi une main agile, il avait pour lui une haleine dévorante.

Tous ceux qui virent que je voulais lever la massue contre le dragon, me dirent adieu.

J’arrivais près de lui et je le vis semblable à une grande montagne, traînant par terre les poils de sa tête pareils à des cordes.

Sa langue était comme un tronc noir, sa gueule était béante et pendait sur le chemin ; ses deux yeux ressemblaient à deux bassins remplis de sang.

Il me vit, hurla et vint à moi avec rage ; il me semblait, ô roi, qu’il était rempli de feu ; le monde était devant mes yeux comme une mer et une fumée noire volait vers les nuages sombres.

Ses cris faisaient trembler la terre et le monde devenait par son venin semblable à la mer de la Chine.

Je poussai contre lui des cris terribles comme les cris du lion, ainsi qu’il convient à un homme de cœur.

Je plaçai sans délai dans mon arbalète une flèche de peuplier à pointe d’acier, je dirigeai la flèche vers sa gueule pour clouer sa langue à son palais ; et sa gueule était ainsi percée d’un côté, il laissa pendre sa langue, tant il en était étourdi.

Aussitôt je tirai dans sa gueule une seconde flèche qui le fit se tordre de douleur.

Une troisième fois, je le blessai au milieu de la gueule et un torrent de sang sortit de son corps.

Comme il rendait la terre étroite pour moi, je détachai ma massue de combat à tête de bœuf ; et de toute la force que le maître du monde m’a donnée, je lançai mon cheval au corps d’éléphant.

Je frappai le dragon au front avec ma massue à tête de bœuf ; tu aurais dit que le ciel faisait pleuvoir sur lui des montagnes.

Je broyais sa tête comme si elle eût été la tête d’un éléphant furieux et son venin coulait comme les eaux du Nil.

Un seul coup l’abattit de telle sorte qu’il ne se releva plus, sa cervelle rendit la plaine égale à la montagne, le courant du Kaschaf devint comme un fleuve de bile et la terre redevint un lieu de repos et de sommeil.

Toutes les montagnes étaient couvertes d’hommes et de femmes qui chantaient mes louanges.

Les hommes regardaient avidement ce combat, car ce dragon avait été un grand fléau.

Ils m’appelèrent de là Sam qui ne donne qu’un coup, ils versèrent sur moi des joyaux.

Lorsque je revins, mon corps brillant était dépouillé de sa fameuse cuirasse, les caparaçons s’étaient fondus sur mon cheval et le venin du dragon me rendit malade pendant longtemps.

Depuis beaucoup d’années, il n’y avait pas eu de fruits dans ces pays et l’occident n’était couvert que de ronces brûlées.

Si je voulais te parler encore de la guerre contre les Divs, cette lettre deviendrait trop longue.

Dans tout ce que j’ai entrepris, j’ai toujours placé sous mes pieds les têtes des grands ; et partout où j’ai fait bondir mon cheval aux pieds de vent, les lions féroces ont quitté le pays.

Depuis beaucoup d’années la selle est mon trône et le dos de mon cheval ma demeure.

Je t’ai soumis avec ma lourde massue le pays des Kerguesars et le Mazenderan.

Je n’ai jamais demandé pour moi des provinces, je n’ai désiré que de te voir heureux et victorieux.

Mais maintenant mon bras que je tenais haut et la massue avec laquelle je frappais, ne sont plus ce qu’ils étaient et ma poitrine et mes reins se courbent.

Je lançais un lacet de soixante coudées, mais le temps m’a ployé vers la terre.

À présent j’ai transmis le pouvoir à Zal qui est digne de la ceinture et de la masse d’armes.

Comme moi, il détruira tes ennemis et ses prouesses rendront ton cœur joyeux.

Mais il nourrit en secret un désir qu’il ira soumettre au roi de la terre, un désir qui est bon devant Dieu, sous la protection duquel se trouve toute chose bonne.

Nous n’osons rien faire sans l’avis du roi, car il ne convient pas à des esclaves d’agir selon leur volonté.

Le roi mon seigneur, le protecteur du monde, m’a entendu prononcer la promesse que j’ai faite à Zal en présence du peuple après l’avoir ramené du mont Alborz, la promesse de ne jamais m’opposer à sa volonté.

Dans son désir il est venu me trouver, il est arrivé couvert de sang et de poussière et les os brisés et m’a dit :

Te fais-tu le soutien de la cour d’Amol ?

Il te siérait mieux de te rendre à Kaboul.

Quand un homme élevé par un oiseau sur la montagne et rejeté loin de la foule des hommes, voit une femme, dans le Kaboulistan, semblable à un cyprès couronné d’un jardin de roses et qu’il en perd la raison, il ne faut pas s’en étonner et le roi ne doit pas lui en vouloir.

Les tourments de son amour sont devenus tels, que quiconque le voit a pitié de lui.

Le serment dont le roi a entendu parler, est la suite des grandes peines que Zal a souffertes sans les mériter.

C’est moi qui ai fait de lui un homme au cœur affligé ; quand il arrivera devant le puissant trône, fais ce qui convient à un grand prince : je n’ai pas besoin de t’enseigner la sagesse.

Je n’ai dans le monde que lui pour me défendre des soucis et me soutenir.

Sam, fils de Neriman, invoque mille bénédictions de Dieu sur le roi du monde et sur les grands de sa cour.

Lorsque la lettre fut écrite et leurs plans concertés, Zal la saisit avidement et se leva, il sortit et sauta sur son cheval et le bruit des trompettes s’éleva.

Les braves l’accompagnèrent sur la route, tournant leur visage en toute hâte vers le roi et Sam qui tue d’un seul coup se rendit dans le jardin de roses lorsque Zal eut quitté le Zaboulistan.

Dernière mise à jour : 7 sept. 2021