Minoutchehr

Mihrab apprend l'aventure de sa fille

...

Mihrab revint de la cour tout joyeux, car Zal avait beaucoup parlé de lui.

Il trouva la noble Sindokht couchée, les joues pâles, le cœur agité.

Il lui demanda :

Qu’as-tu vu ?

Dis-le-moi.

Pourquoi les deux feuilles de roses de ton visage ont-elles pâli ?

Elle répondit à Mihrab :

J’ai pensé longuement à ce palais, que nous habitons, à ces richesses, à ces chevaux arabes caparaçonnés, à nos trésors, à ce jardin, à ces amis qui font le bonheur de notre cœur, à ces esclaves dévoués au roi, à ce parc, à cette résidence royale, à la beauté de notre cyprès élancé, à notre grand nom, à notre sagesse et à notre prudence.

Malgré notre splendeur et notre loyauté, tout ceci doit peu à peu disparaître ; il faudra, contre notre gré, l’abandonner à l’ennemi et considérer comme du vent toutes nos peines.

Notre part de tout cela ne sera qu’une bière étroite.

Nous avons planté un arbre dont le fruit est du poison pour nous, nous nous sommes fatigués à l’arroser ; nous avons suspendu à ses branches notre couronne et nos trésors ; et lorsqu’il s’est élevé jusqu’au soleil et qu’il est devenu grand, sa cime, qui répandait de l’ombre, a été jetée par terre.

Voilà notre fin et notre terme et je ne sais où se trouvera du repos pour nous.

Mihrab répondit à Sindokht :

Tu dis cette parole comme si elle était nouvelle, mais ce qui est vieux ne peut redevenir nouveau.

Ce monde fugitif est ainsi fait, que l’un y est malheureux et l’autre plein de santé, que l’un y entre et que l’autre en sort.

As-tu connu quelqu’un que la voûte du ciel ne doive pas écraser ?

Se livrer à l’angoisse ne remédie pas aux soucis et l’on ne peut lutter en cela contre Dieu le juste.

Sindokht lui répondit :

Les paroles que j’ai prononcées mettront les hommes de sens droit sur une voie nouvelle.

Comment pourrais-je te cacher ce secret et ces affaires si importantes ?

Un Mobed sage et bienheureux a conté à son fils l’histoire d’un arbre, de même j’ai fait ce conte, pour que le roi avec sa haute intelligence prête attention à mes paroles.

Sindokht baissa la tête, inclina sa stature de cyprès et baigna de larmes ses joues de rose, disant :

Nous avons besoin, ô homme plein de prudence, que le ciel ne tourne pas ainsi sur nous.

Sache que le fils de Sam a tendu en secret des pièges de toute espèce à Roudabeh, qu’il a détourné de sa voie le cœur pur de ta fille et qu’il faut penser à un moyen de salut.

Je lui ai donné des conseils, mais sans succès ; je vois que son cœur est troublé et que ses deux joues ont pâli.

Mihrab l’entendit, se leva et mit la main sur la garde de son épée.

Son corps tremblait, sa joue devenait bleue, son cœur plein de sang, sa bouche pleine de soupirs.

Il dit :

Je vais à l’instant verser sur la terre le sang de Roudabeh.

Sindokht voyant cela, sauta sur ses pieds, mit ses deux mains autour de la taille de Mihrab comme une ceinture et lui dit :

Écoute maintenant une parole de ton esclave ; fais attention un instant ; ensuite tu feras ce que tu croiras devoir faire, tu iras où ton cœur te guidera.

Mihrab se détourna et la repoussa de la main ; il jeta un cri comme un éléphant furieux, disant :

Lorsqu’il me naquit une fille, j’aurais dû sur-le-champ lui trancher la tête ; je ne l’ai pas fait, je n’ai pas suivi la voie de mes pères et voilà ce qu’elle trame contre moi.

Un fils qui sort de la voie de ses pères, ne sera pas, parmi les braves, réputé fils de son père.

Un tigre a dit là-dessus, dans un moment où sa griffe était prête pour le combat :

J’aime le carnage et mon père avait hérité le même penchant de mon grand-père.

Il faut que le fils porte le sceau de son père ; serait-il juste qu’il restât au-dessous de lui en valeur ?

D’un côté, je crains pour ma vie, de l’autre j’ai mon honneur à soutenir.

Pourquoi veux-tu m’empêcher de faire la guerre ?

Si le héros Sam et le roi Minoutchehr remportent la victoire sur moi, la fumée de Kaboul montera vers le soleil et il ne restera dans ce pays ni semis ni moisson.

Sindokht lui répondit :

Ô Pehlewan !

Ne laisse pas aller, sur ce point, la langue à des paroles irréfléchies, car Sam a été instruit de cette affaire.

Ne livre pas ainsi ton cœur à l’inquiétude et à la terreur.

Sam est revenu à cause de cela du pays des Kerguesars, c’est une affaire qui est devenue publique et qui n’est plus un secret.

Mihrab lui répondit :

Ô femme au visage de lune ne me dis pas de mensonges.

Quel homme sensé pourra croire que le vent obéisse à la poussière ?

Je ne m’affligerai point de ce qui est arrivé, si tu as trouvé une garantie contre le malheur.

Il ne saurait y avoir parmi les grands et les petits un meilleur gendre que Zal ; et qui, depuis Ahwaz jusqu’à Kandahar, ne serait avide de l’alliance de Sam ?

Sindokht lui dit :

Ô homme plein de fierté !

Puissé-je n’avoir jamais besoin de mentir !

Ce qui te nuirait me nuirait évidemment et je suis liée à ton cœur affligé.

Il en est ainsi et voilà ce qui a pesé sur mon cœur, car le même soupçon m’est venu dès le commencement.

C’est pour cela que tu m’as vue si triste, abandonnée au chagrin sur ma couche, la joie entièrement bannie de mon cœur.

Mais si ce mariage se faisait, ce ne serait pas une chose si étrange, qu’il fallût en avoir tant d’inquiétude.

Feridoun devint roi à l’aide de Serv, maître du Iemen et Destan, qui désire la possession du monde, prend la même route ; car c’est par le mélange du feu et de l’eau, du vent et de la terre que la sombre face du monde devient brillante.

Puis elle lui remit la réponse de Sam à la lettre de Zal et lui dit :

Réjouis-toi de ce que tes vœux seront accomplis.

Chaque fois qu’un étranger entre dans ta famille, la face de ton ennemi devient sombre.

Mihrab prêta l’oreille à Sindokht, le cœur plein de rancune, la tête remplie d’agitation.

Il ordonna à Sindokht de faire lever Roudabeh et de l’amener auprès de lui ; mais Sindokht eut peur que cet homme au cœur de lion ne la mît à mort et lui répondit :

Je demande avant tout que tu me jures de me la rendre saine et sauve et de ne pas priver le Kaboul de ce jardin de roses, semblable au sublime paradis.

Elle le força de jurer un grand serment et parvint, par son art, à purifier le cœur de Mihrab de sa colère.

Le roi illustre promit à Sindokht qu’il ne ferait aucun mal à Roudabeh, en ajoutant :

Mais considère que le roi de la terre sera plein de colère contre nous à cause de ce qui s’est passé.

Sindokht, sur ces paroles, baissa la tête devant lui et frappa la terre de son front ; puis elle entra chez sa fille, les lèvres pleines de sourire et montrant ses joues semblables au jour au-dessous de ses cheveux semblables à la nuit.

Elle lui donna de bonnes nouvelles, disant :

Le tigre féroce retire sa griffe de dessus l’onagre sauvage.

Maintenant hâte-toi de préparer tes ornements et pars, va auprès de ton père et lamente-toi dans ta détresse.

Roudabeh lui répondit :

Qu’est-ce que des ornements, qu’est-ce qu’une chose sans valeur à la place d’un trésor ?

Le fils de Sam est le fiancé de mon âme, pourquoi cacher ce qui est évident ?

Elle se rendit auprès de son père, belle comme le soleil qui se lève et qui est tout noyé dans les rubis et dans l’or.

Son père resta étonné à sa vue et appela sur elle plusieurs fois la grâce de Dieu.

C’était un paradis orné, beau comme le soleil brillant au gai printemps.

Mihrab lui dit :

Ô toi, dont le cerveau est vide de raison, qui parmi les hommes de sens pourrait tolérer qu’une Péri s’alliât à un Ahriman ?

Périsse plutôt ma couronne et mon sceau !

Si un enchanteur de serpents du désert de Kahtan devenait Mage, il faudrait le tuer avec une flèche.

Lorsque Roudabeh entendit les paroles de son père, son cœur se remplit de sang et sa joue devint pourpre ; elle baissa ses sourcils noirs sur ses yeux sombres et n’ose respirer, pendant que son père, le cœur plein de colère et la tête pleine de l’ardeur des combats, poussait des cris comme un tigre.

Sa fille retourna dans son appartement, le cœur brisé, ses joues de safran colorées par le sang ; et tous les deux, la lune au cœur brisé et le roi, se réfugièrent en Dieu.

Dernière mise à jour : 7 sept. 2021