Keï Khosrou

Piran tient conseil avec le Khakan

...

Lorsque l’armée de Feribourz fut visible de la tour des Touraniens, la sentinelle accourut au camp et dit à Piran :

Armez-vous tous pour le combat, car une armée venant de l’Iran paraît sur la plaine et se dirige vers le mont Hemawen.

Le Sipehbed se rendit auprès du Khakan de la Chine et lui dit :

Il vient une armée du pays d’Iran ;

Je n’en connais pas la force ni le nom de son chef.

Que ferons-nous et quel remède y a-t-il contre ce mal ?

Kamous le guerrier expérimenté lui dit :

Puisses-tu conserver à jamais la place d’honneur !

Tu commandes aux grands de la cour d’Afrasiab et à des troupes nombreuses comme les flots de la mer et tu sais ce que tu as fait pendant cinq mois sur cette plaine contre un si faible ennemi ;

Mais maintenant que la terre est couverte de nos armées commandées par des chefs comme le Khakan, Manschour et moi, tu vas être témoin de nos hauts faits.

Tu as fermé la porte, mais nous en apportons la clef.

Quand même les braves du Kaboul, du Zaboulistan et des pays de l’Inde feraient étinceler la surface de la terre comme une épée du Roum, quand ils seraient neuf contre un, tu pourrais dire que les Iraniens n’existent pas.

Tu veux m’effrayer par le nom de Rustem, mais c’est lui que j’anéantirai le premier une fois que j’aurai pris sa tête dans mon lacet, je ne laisserai pas une trace de son nom dans le monde.

Tu as peur de l’armée du Seïstan et ton cœur se serre à l’idée d’avoir à la combattre ;

Mais tu vas voir ma main quand la poussière volera sur le champ de bataille et alors tu sauras ce que c’est qu’un homme et un brave et ce que c’est qu’un combat.

Piran lui répondit :

Puisses-tu être heureux !

Puisse la main du malheur rester loin de toi !

Puisse tout ce que tu dis s’accomplir !

Puisses-tu ne jamais trouver d’égal !

Le Khakan dit à Piran :

Tu as cédé le pas à Kamous pour l’attaque et il fera tout ce qu’il a promis, car il est l’ami du lion et le compagnon de l’éléphant.

Les Iraniens ne sont pas si formidables, n’effraye donc pas le cœur des braves.

Je ne laisserai en vie aucun des grands de l’Iran, je convertirai en désert les montagnes et les vallées, j’enverrai à Afrasiab tous les grands et les puissants chargés de lourdes chaînes ; à une foule d’autres je trancherai la tête ;

Nous ne laisserons dans l’Iran ni une feuille, ni un arbre, ni un palais, ni un pavillon, ni une couronne.

Piran sourit et offrit ses hommages aux grands assemblés et au Khakan de la Chine et retourna tout joyeux au camp, où les braves, comme Houman, Lehhak, Ferschidwerd et les héros, les lions au jour du combat, se pressèrent autour de lui, disant :

Il est arrivé une armée de l’Iran, précédée d’un chef portant un drapeau noir.

Un de nos espions, un guerrier illustre, est parti ;

Et à son retour il nous a rapporté que c’est Feribourz fils de Kaous, un cavalier plein de fierté et un serviteur de Khosrou.

Piran dit au vaillant Houman :

Alors nous pouvons être sans souci ;

Puisque ce n’est pas Rustem, nous n’avons rien à craindre de Feribourz, dont le souffle ne sera pas un remède contre ce poison.

Car quoique Kamous ne veuille compter Rustem pour rien au jour du combat, à Dieu ne plaise qu’il vienne ici nous livrer bataille, quelque vaillant que soit Kamous.

Houman lui dit :

Ô Pehlewan, pourquoi troubler ton esprit par les soucis ?

Ce n’est pas Rustem, ce n’est pas l’armée du Seïstan et Feribourz ne fera ici que verser son sang et trouver une tombe.

Piran lui répondit :

J’ai renoncé au trône et à la couronne, j’ai désespéré de la lumière du soleil et de la lune, quand j’ai entendu dire qu’une armée d’Iraniens s’approchait et arrivait sur ce champ de bataille ;

Mon âme et mon cerveau étaient remplis de soucis et mon cœur poussait un grand soupir.

Kelbad lui dit :

Pourquoi s’affliger ?

Pourquoi pleurer à cause de Thous et de Rustem ?

Nous avons tant de javelots et d’épées, tant d’éléphants de guerre, que le vent ne peut se frayer un passage à travers.

Que sont devant nous les Iraniens ?

Une poignée de poussière.

Pourquoi craindre Khosrou, Thous et Rustem ?

Ils se sont enfuis d’ici, ils se sont retirés sous leurs tentes.

Lorsque Thous, de son côté, apprit que le pays était rempli du bruit des timbales, que le héros au corps d’éléphant et Feribourz fils de Kaous arrivaient de l’Iran avec une armée, il ordonna qu’on plaçât les timbales sur le dos des éléphants et la montagne se couvrit de la poussière noire que soulevait son armée.

Le Hemawen retentit de cris, la terre tremblait sous le piétinement des chevaux et le Sipehbed raconta longuement aux Iraniens la guerre du Mazenderan, ce que Rustem avait fait dans la lutte contre les Divs et comment il les avait traités.

Les braves rendirent grâces au Pehlewan, disant :

Puisse ton cœur rester vigilant et ton esprit serein !

Quand tu voudrais notre vie pour prix de la bonne nouvelle, nous la donnerions, car elle remplit nos âmes de joie.

Maintenant que Tehemten vient livrer bataille, cette armée ne résistera pas au crocodile et nous combattrons tous pour effacer la honte qui pèse sur l’Iran.

Nous risquerons notre vie, nous lutterons et nous prendrons le grand drapeau et la couronne du Khakan, les colliers d’or et le trône d’ivoire, les diadèmes d’or des conducteurs des éléphants, les boucliers d’or et les ceintures d’or, les clochettes d’or dont personne au monde n’a vu de pareilles, le parasol de plumes de paon qui est brodé de tant de pierreries et bien d’autres richesses.

Le prudent Thous dit à l’armée :

D’un côté nous sommes entourés de dangers, de l’autre je crains des reproches.

Car bien que tous les environs de la montagne soient remplis de troupes et que nos têtes soient prises dans le lacet, quand Rustem arrivera, il nous blâmera, sans peut-être daigner s’enquérir de ce qui s’est passé ;

Il dira :

Vous êtes comme un oiseau blessé au pied qui est pris dans le lacs : vous avez renoncé à l’action et désespéré de la lutte ;

Car il y a ici un Sipehdar et une armée et cependant je n’ai pas vu un seul héros s’élancer au combat.

Faisons donc une attaque, comme fait un vaillant lion ;

Peut-être que nous parviendrons à les chasser de ce côté du bas de la montagne.

Mais l’armée lui répondit :

Ne sois pas trop ambitieux, ne parle pas ainsi.

Aucun de nous ne descendra de la montagne avant que Rustem soit arrivé.

Nous nous prosternerons devant Dieu, car il est notre guide dans le bonheur et dans le malheur ;

Et par ordre du Créateur du soleil et de la lune, Tehemten paraîtra sur ce champ de bataille.

Pourquoi désespères-tu de ton étoile ?

Distribue de l’or et de l’argent aux pauvres ;

Et quand Rustem sera arrivé, nous combattrons pour la gloire et nous laverons notre honte.

Les braves de l’armée de l’Iran poussèrent des cris d’allégresse sur le haut de la montagne et se rendirent joyeusement dans leur camp, où ils tinrent conseil toute la nuit.

Dernière mise à jour : 7 sept. 2021