Keï Khosrou

Le Khakan de la Chine va reconnaître l'armée des Iraniens

Lorsque le soleil eut conduit son cortège de rayons sur la voûte du ciel et mis en fuite la sombre nuit, le Khakan de la Chine tint une assemblée et couvrit le sol de pièces de brocart.

Il dit à Piran :

Aujourd’hui nous ne combattrons pas, il faut nous reposer un jour ;

Et pendant que les grands et les braves et ces cavaliers accoutumés au carnage, se délassent de leurs fatigues après avoir franchi une si longue route avec ses montées et ses descentes, nous irons voir ce que deviennent les Iraniens et ce qu’ils font dans leur camp.

Piran répondit :

Le Khakan est un sage et glorieux prince, qu’il agisse aujourd’hui selon son plaisir, car il est entièrement maître de l’armée.

On entendit alors du bruit dans toutes les enceintes des tentes et le son des timbales et des trompettes.

On plaça des selles sur le dos de cinq éléphants et l’armée se para de vêtements de brocart de la Chine ;

Les selles étaient brodées d’émeraudes et couvertes de brocart bleu de ciel et broché d’or ;

Les étriers étaient d’or, les housses de peau de léopard, les clochettes d’argent ;

Les conducteurs des éléphants portaient tous de riches diadèmes, des colliers et des boucles d’oreilles ;

Et l’air ressemblait à un bazar chinois, tant on y agitait d’étendards de soie jaune, rouge et violette.

Un cortège, qui aurait fait honneur à un banquet, se rendit sur le champ de bataille ;

La terre était belle comme l’œil du coq, au milieu de ce bruit, de cette magnificence, de ces trompettes et de ces timbales.

Les princes et leur cortège partirent, le son des clairons remplit l’air, les lances brillèrent, les troupes s’ébranlèrent et l’armée obscurcit la surface de la terre.

Lorsque Thous les vit de loin, il rangea en bataille les troupes qui lui restaient, les braves de l’Iran prirent leurs armes, Guiv apporta le drapeau de Kaweh et les masses des Iraniens couvrirent tout le terrain depuis le champ de bataille jusqu’au sommet de la montagne.

Kamous, Biwerd, le Khakan de la Chine, Ferthous, Schenkoul le sage s’approchèrent du mont Hemawen pour voir et non pas pour combattre.

Le Khakan fut frappé d’admiration en voyant de loin les rangs bruyants des cavaliers iraniens et il s’écria :

Voilà une armée !

Voilà des cavaliers fiers et impatients de combattre !

Le Sipehdar Piran me les avait représentés autrement ;

Mais on ne doit pas déprécier les qualités des braves.

Si le Sipehdar recouvre de broussailles un fossé, son cheval s’y jettera au jour de la chasse ;

Mieux vaut confondre au jour du combat un vaillant ennemi et le fouler dans la poussière.

Jamais je n’ai vu des cavaliers portant aussi haut la tête, aussi braves, aussi vaillants.

Piran m’avait dit que c’était une petite armée, à laquelle nous n’avions pas à faire attention sur le champ de bataille.

Ensuite, il se tourna vers Piran, disant :

Maintenant quel plan d’attaque suivrons-nous ?

Piran lui répondit :

Tu as fait un long chemin, tu as traversé des montagnes et des vallées :

Attends ici ;

Et quand trois jours seront passés, quand l’armée sera reposée, nous la partagerons en deux parties et alors nous mettrons fin à ces jours de combat et de terreur.

Une moitié des braves cavaliers qui l’ont la gloire du monde attaquera l’ennemi depuis l’aube du jour jusqu’à midi ; ils le combattront avec des javelots et des poignards, avec des massues et des arcs ;

Et à partir de midi jusqu’à ce que la nuit descende de la montagne, l’autre moitié livrera bataille ;

Ensuite durant la nuit je mènerai au combat ceux qui auront repris leurs forces pour achever les Iraniens, auxquels moi et mes cavaliers ardents et couverts d’armures ne laisserons aucun repos.

Kamous lui répondit :

Cela n’est pas raisonnable et je ne puis approuver cet avis !

Pourquoi attendre, avec une si grande armée, devant ces rochers nus ?

Armons-nous, livrons bataille sans retard, rendons-leur étroites la montagne et les vallées ;

Ensuite nous conduirons nos troupes dans l’Iran ;

Nous n’y laisserons ni trône, ni couronne, ni diadème ;

Nous dévasterons tout le pays ;

Nous combattrons non comme des héros, mais comme des lions.

Nous n’épargnerons ni femmes, ni enfants, ni jeunes, ni vieux, ni rois, ni gouverneurs, ni Pehlewans ;

Nous détruirons le pays ;

Nous ne laisserons debout ni une maison, ni un palais, ni une tente.

Pourquoi faut-il ajourner tout cela d’un jour ?

Il n’y a qu’un insensé qui ne se débarrasse pas de ses soucis, de ses douleurs et de ses inquiétudes.

Gardez cette seule nuit les chemins pour que les Iraniens ne s’enfuient pas du champ de bataille ;

Et demain aussitôt que le souffle de l’aube du jour se fera sentir, que toute l’armée vienne ici.

Moi, accompagné du Sipehdar indien, je porterai mon drapeau sur cette grande montagne ;

Et demain tu verras sur la hauteur une colline composée des cadavres des braves de l’Iran et telle que dorénavant aucun Iranien ne pourra le regarder sans verser des larmes.

Le Khakan lui dit :

Il n’y a pas d’autre voie à suivre !

Il n’y a rien de mieux dans le monde qu’un court combat.

Tous les grands furent d’avis que le Khakan vainqueur des lions avait bien décidé ;

Ils s’en retournèrent et passèrent la nuit à mettre leurs troupes en ordre.

Dernière mise à jour : 7 sept. 2021