Keï Khosrou

Combat de Rustem contre Pouladwend

Rustem fut attristé de ces nouvelles ; il tremblait comme une feuille d’arbre, il s’approcha de Pouladwend et vit qu’il ressemblait à une haute montagne.

Il devint soucieux du sort des quatre héros iraniens, qui étaient comme des onagres devant leur ennemi pareil à un lion.

Il vit que son armée avait beaucoup souffert et que le combat était engagé sur toute la ligne et il se dit :

Ce jour devient sombre pour nous ;

Les têtes des grands sont troublées ;

Je crois que le cercle de ma vie s’achève et que la fortune qui veillait sur nous s’est endormie.

Il serra son cheval des jambes et l’excita ; il s’élance et se disposa à l’attaque, en s’écriant :

Ô malheureux Div, tu vas voir comment la fortune tourne !

Au moment où la voix de Rustem frappait l’oreille des héros, il aperçut lui-même les fils de Gouderz à pied et dit en s’adressant au Créateur :

Ô toi qui es au-dessus de tout ce qui est visible et invisible, mieux aurait valu pour moi devenir aveugle dans ce combat que de voir ce jour de la déroute, où les braves du Touran, Piran, Houman et ce vaillant Div poussent des cris de triomphe, où Guiv, Rehham, Thous et Bijen qui se rit des lions sont à pied, parce que les flèches ont abattu les chevaux de ces héros, qui combattent comme des fantassins au milieu de cette foule confuse.

Il se jeta sur le Div Pouladwend, il lança sur lui son lacet roulé ;

Le brave cavalier déroba ses membres au nœud du lacet, mais il eut peur et fut effrayé de ce combat.

Pouladwend dit à Rustem :

Ô homme vaillant et plein d’expérience, ô lion illustre devant lequel l’éléphant de guerre s’enfuit, tu vas entendre maintenant le mugissement des flots de l’lndus ;

Tu vas voir le feu de mon combat et mon lacet et mon courage et la force de mon attaque.

Renonce à l’espérance de revoir ton roi et les grands et les héros de sa cour ;

Tu ne jouiras plus, même en songe, de ton pouvoir et je livrerai ton armée à Afrasiab.

Rustem lui répondit :

Jusqu’où iront ces menaces et cette envie de m’intimider !

Puisse-t-il ne jamais se trouver de fanfaron parmi les hommes de guerre !

Et s’il y en a un, il est sûr de livrer sa tête au vent.

Si brave que tu sois, si haut que tu portes la tête, tu n’es pas un Sam ;

Tu n’es ni de fer ni de feu.

Pouladwend, à ces paroles, se rappela le vieux proverbe, que quiconque cherche un combat injuste, en reviendra blessé au cœur et le visage pâle.

Que ce soit un ennemi ou un ami de qui te vient le malheur, il est bon que justice soit faite à l’égard des bons et des méchants.

Pouladwend réfléchit que c’était là Rustem, le même qui avait conquis avec sa lourde massue le Mazenderan au milieu de la nuit sombre et il dit :

Ô homme éprouvé dans les combats, pourquoi restons-nous follement debout et inactifs ?

Ils se mirent à tourner l’un autour de l’autre, la poussière s’éleva du champ de bataille ;

Ces deux braves ressemblaient à des éléphants furieux.

Rustem avec sa lourde massue porta sur la tête de Pouladwend un coup que l’armée entière entendit retentir ;

Les yeux de Pouladwend s’obscurcirent, sa main ne retenait plus la bride, la douleur le fit pencher du côté droit et il se dit :

C’est aujourd’hui un jour de malheur !

Tehemten avait cru que la cervelle de Pouladwend allait lui jaillir des deux oreilles et inonder sa poitrine ;

Mais quand il le vit rester en selle, il dit en s’adressant au Créateur :

Ô toi qui es au-dessus de la fortune inconstante, maître du monde, qui vois tout et qui maintiens tout ce qui existe, si cette guerre est injuste, si je ne dois pas demeurer plus longtemps sur cette terre, je consens que ce soit par la main de Pouladwend que mon âme soit délivrée des chaînes du coma.

Mais si Afrasiab est un homme injuste, ne me prive pas de la vie, de la force et du pouvoir d’agir ;

Car si je meurs de la main de Pouladwend, il ne restera en vie dans l’Iran ni un homme de guerre, ni un laboureur, ni un artisan et le pays lui-même et son sol disparaîtront.

Ensuite, il dit à Pouladwend :

Quel mal t’a fait la massue des braves ?

Tes mains ne manient plus les rênes noires ;

Descends de cheval, ô Div et demande grâce !

Pouladwend répondit :

Ta massue ne m’a fait aucun mal !

Les deux combattants échangèrent ces paroles en se lançant des regards pleins de haine.

Ensuite Pouladwend tira une épée d’acier forgée à l’aide d’arts magiques et d’incantations ;

Mais elle ne fit aucune impression sur le Bebr-i-beyan et le cœur du Div se gonfla.

Lorsqu’il vit que son épée était impuissante contre Rustem, le méchant Poulad maudit le sort ;

Il avait peur des membres et des épaules de Rustem fils de Zal.

Il lui adressa encore une fois la parole, disant :

Ôte ce vil Bebr-i-beyan, cette cotte de mailles et ce casque de couleur sombre et revêts-toi d’une autre armure ;

Moi aussi j’irai en mettre une autre et je reviendrai en courant.

Mais Rustem lui dit :

Cela ne se peut pas.

L’eau des héros ne coule pas dans ce ruisseau.

Je ne changerai pas cette armure de bataille ;

Garde donc aussi celle que tu portes.

Les deux héros, le noble Poulad et le Pehlewan, recommencèrent à se battre ;

Mais les armes de ces braves ne firent aucune impression ni sur le Bebr ni sur la cotte de mailles de Poulad.

À la fin le vaillant Poulad dit :

C’est dans la lutte qu’on voit qui est le plus fort ;

Si tu veux, nous allons nous préparer à lutter comme des lions furieux.

Nous allons tourner l’un autour de l’autre en luttant et nous saisir par les courroies de nos ceintures, pour voir à qui le sort accordera la grâce de sortir victorieux de ce combat.

Rustem lui répondit :

Ô Div infortuné, tu ne peux résister aux coups des braves et tu inventes toujours de nouvelles ruses comme un renard ;

Mais à quoi cela te sert-il ?

Car ta tête finira toujours par être prise dans le nœud.

Tu vas maintenant dans la lutte essayer tes arts et tes machinations pour tirer ton cou de l’étreinte de mon bras.

Ils convinrent alors et se promirent solennellement de ne laisser s’approcher aucun de leurs amis de l’une et de l’autre armée et de ne pas demander eux-mêmes de secours.

Cela étant convenu, ils descendirent de cheval et restèrent quelque temps à pied pour reprendre haleine.

Dernière mise à jour : 7 sept. 2021