Keï Khosrou

Combat de Rustem avec Aschkebous

...

Il y avait un brave nommé Aschkebous qui poussait des cris semblables au bruit de la timbale ;

Il vint provoquer les Iraniens, espérant jeter dans la poussière la tête de celui qui se mesurerait avec lui et il s’écria :

Ô héros illustres, qui d’entre vous viendra m’attaquer ?

Qui d’entre vous me combattra pour que je fasse couler son sang à grands flots ?

Ces paroles frappèrent l’oreille de Rehham ;

Il poussa un cri et bouillonnant comme la mer en fureur, il saisit un arc dont la corde était de peau de lion et s’avança résolument.

Il prit son arc, lui le plus faible des cavaliers et se mit à faire tomber sur son illustre ennemi une pluie de traits.

Mais Aschkebous était couvert d’acier ; et les flèches ne faisaient sur sa cotte de mailles pas plus d’impression que le vent.

Alors Rehham brandit sa lourde massue ;

Les mains des combattants se fatiguèrent à force de lutter ;

Mais le casque du Touranien résistait aux coups de massue et l’ardeur d’Aschkebous ne fit que s’accroître.

Il porta à son tour la main sur sa massue ;

Et l’air parut se convertir en acier et la terre en ébène.

Rehham eut peur du héros de Kaschan ; il lui tourna le dos et s’enfuit dans la montagne.

Thous s’élança du centre de l’armée et frappa son cheval pour se jeter sur Aschkebous ;

Mais Tehemten accourut et lui dit :

La coupe est le véritable compagnon de Rehham et c’est dans le festin qu’il se vante et s’escrime devant les braves ;

Mais où est-il allé maintenant, le visage rouge comme la sandaraque ?

Est-il donc plus mauvais cavalier qu’Aschkebous ?

Reste, selon les lois de la guerre, au centre de l’armée et laisse-moi combattre à pied.

Il suspendit son arc à son bras par la corde, mit quelques flèches dans sa ceinture et s’écria :

Ô homme qui désires le combat, voici un ennemi qui arrive, ne te retire donc pas.

Le brave de Kaschan sourit tout étonné ;

Il arrêta son cheval et s’adressa en riant à Rustem :

Quel est ton nom et qui aura à pleurer la mort d’un insensé comme toi ?

Tehemten répondit :

Pourquoi me demandes-tu mon nom, puisque tu es perdu ?

Ma mère m’a donné pour nom ton trépas ;

Le sort a fait de moi le marteau qui doit briser ton casque.

Aschkebous lui dit :

Je ne te vois pas d’autres armes que le rire et la plaisanterie.

Tehemten répliqua :

Ne vois-tu pas l’arc et la flèche qui vont te tuer ?

Aschkebous dit :

Tu n’as pas de cheval et tu ne feras que livrer ta tête à une mort certaine.

Tehemten répondit :

Ô homme insensé et avide de combats, n’as-tu jamais vu un homme à pied combattre et jeter sous la pierre de la tombe une tête orgueilleuse ?

Est-ce que dans ton pays les lions, les léopards et les crocodiles vont jamais à cheval au combat ?

Je vais, ô vaillant cavalier, tout démonté que je suis, t’enseigner la guerre.

Thous m’a envoyé ici à pied pour que je prive Aschkebous de son cheval et le héros de Kaschan se trouvera bientôt a pied comme moi et fera rire les armées.

Un fantassin vaut, sur cette plaine, dans ce jour et dans cette lutte, cinq cents cavaliers comme toi.

Quand Rustem vit combien Aschkebous, sur son cheval magnifique, était dédaigneux, il tira une flèche de sa ceinture et la décocha contre le cheval, qui s’abattit sur-le-champ.

Alors, il se mit à rire et s’écria :

Assieds-toi à côté de ton noble compagnon ;

Et si tu veux presser sa tête contre ta poitrine, je suspendrai le combat un instant.

Aschkebous banda son arc, le corps tremblant, le visage rouge comme la sandaraque ;

Il fit pleuvoir des traits sur le Bebr-i-beyan la cuirasse de Rustem ; mais celui-ci lui dit :

Tu fatigues follement ton corps, tes deux bras et ton âme remplie de mauvaises pensées.

Ensuite, il porta la main à sa ceinture, choisit une flèche à triple bois, dont la pointe brillait comme l’eau et qui était empennée de quatre plumes d’aigle ;

Il frotta de la main son arc de Djadj, saisit par l’anneau la corde de peau d’élan, roidit son bras gauche, plia le coude droit et l’on entendit craquer la courbe de l’arc ;

Lorsqu’il eut amené l’entaille de la flèche jusqu’à l’oreille, la lanière de peau d’élan gémit et lorsque le fer de la flèche toucha sa main gauche et que le bout fut ramené jusque derrière son dos, il fit partir le trait, qui frappa Aschkebous à la poitrine.

La voûte du ciel applaudit au coup de Rustem ;

Le Sort dit :

Prends !

Et le Destin dit :

Donne !

Le ciel dit :

Bien !

Et la lune dit :

Bravo !

Le héros de Kaschan mourut à l’instant ;

Tu aurais dit que sa mère ne l’avait jamais mis au monde.

Des deux côtés les armées avaient regardé attentivement, observant la lutte des héros.

Kamous et le Khakan de la Chine avaient admiré la haute stature, la force et la manière de combattre de cet Iranien ;

Et aussitôt que Rustem fut parti, le Khakan envoya un cavalier retirer la flèche du corps d’Aschkebous.

On la retira couverte de sang jusqu’aux plumes ;

Et lorsqu’on la porta à travers les rangs, toute l’armée la prit pour une lance.

Lorsque le Khakan vit cette flèche avec ses plumes et sa lance, son jeune cœur vieillit.

Il dit à Piran :

Qui est cet homme et quel nom lui donnent les Iraniens ?

Tu avais dit que ce n’était qu’une poignée d’hommes misérables, que c’étaient des guerriers de la plus vile espèce ;

Et maintenant ils ont des flèches comme des lances et le cœur manque aux lions qui les combattent.

Tu as traité avec mépris cette affaire, mais toutes tes paroles ont été démenties.

Piran répondit :

Je ne connais parmi les Iraniens personne de la force de cet homme, dont la flèche percerait un arbre et je ne sais ce que nous veut cet être maudit.

Il y a parmi eux deux braves, Guiv et Thous qui montrent de la noblesse et de la valeur dans la bataille ;

mais mon frère Houman a mainte fois rendu à Thous le monde noir comme l’ébène.

Je ne sais qui est cet homme ni lequel d’entre nous peut se mesurer avec lui.

Je vais me rendre à mon camp et il faudra bien qu’on découvre son nom.

Dernière mise à jour : 7 sept. 2021