Keï Kaous

Piran parle à Afrasiab

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Piran se leva sur-le-champ et se rendit au palais du roi, où il descendit de cheval ; on lui livra passage et il se tint quelque temps debout devant le roi, qui lui dit avec bonté :

Pourquoi te tiens-tu ainsi devant moi ?

Que désires-tu ?

Quel est ton dessein ?

Mon armée, mon or et mes trésors sont à toi ; tout ce que tu fais est à mon avantage.

Si donc je tiens contre ton gré dans les fers et dans les chaînes quelqu’un dont la mise en liberté pourrait me nuire et me mettre en danger, je lui pardonne dès ce moment et le laisse libre ; car ma colère disparaît comme du vent devant l’amitié que je te ’ porte.

Demande ce que tu désires, que ce soit peu ou beaucoup, l’épée ou le sceau, un trône ou une couronne.

Le sage Piran répondit :

Puisse le monde ne jamais être privé de toi !

J’ai des richesses, des trésors et une armée, et, grâce à ta haute fortune une épée, une couronne et un trône.

C’est au nom de Siawusch que je viens porter à l’oreille du roi un long message secret.

Il m’a dit :

Dis au roi du Touran que je suis heureux et que je désire acquérir de la gloire.

Il m’a élevé sur ses genoux comme un père et le temps de mes disgrâces m’a porté bonheur.

Maintenant, qu’il prépare pour moi un mariage, car, dans la bonne et dans la mauvaise fortune, j’ai besoin de lui.

Il possède derrière les rideaux une fille qui est digne démon palais et de mon trône ; sa mère lui a donné le nom de Ferenguis et je serais heureux s’il me trouvait digne d’elle. »

À ces paroles Afrasiab devint soucieux et il répondit, les yeux remplis de larmes :

J’ai naguère parlé de ceci, mais tu n’as pas été de mon avis ; et pourtant un sage dont l’âme est pleine de prudence et dont l’esprit est élevé, m’a dit :

Ô toi, qui élèves le petit d’un lion féroce, pourquoi te fatigues-tu pour un vain but ?

Tu te donnes de la peine, tu rends vaillant le lionceau, mais tu cesseras de porter du fruit quand il en portera.

Aussitôt qu’il sera assez fort pour combattre, il saisira de sa griffe la tête de son père nourricier.

Ensuite de vieux Mobeds et des astrologues qui connaissent leur art, ayant consulté selon les règles leur astrolabe, m’ont tous annoncé la même chose de point en point et m’ont prédit, en présence de mon père, des choses étonnantes de mon petit-fils ; ils m’ont dit que ma couronne, mon trésor, mon armée, mon pays et mon trône seront détruits par lui, que je ne pourrai pas trouver un asile dans le monde pour lui échapper, qu’il prendra mes royaumes l’un après l’autre et qu’il m’accablera de malheurs.

Je crois maintenant aux prédictions de ce Mobed sur les desseins secrets du ciel qui tourne.

Ce couple aurait pour fils un roi qui s’emparerait du monde, qui dévasterait entièrement le pays de Touran et qui commencerait par ceindre mon diadème.

Pourquoi donc me faudrait-il planter de mes propres mains un arbre dont le fruit serait du poison et la racine du venin ?

La race de Kaous et celle d’Afrasiab sont comme la flamme ardente méléeavec les vagues de la mer.

Je ne sais si ce !

Enfant viendrait dans le Touran avec des intentions amies, ou si c’est à l’Iran qu’il montrerait un visage gracieux.

Pourquoi goûter sciemment du poison ?

Pourquoi s’exposer’voloutairement à l’haleine du dragon ?

Je le traiterai bien aussi longtemps qu’il restera ici et je serai pour lui un frère ; et quand il voudra retourner dans l’Iran, je l’équiperai magnifiquement pour son voyage et le renverrai à son père amicalement, comme le veut Dieu le tout juste. »

2ôâ Piran lui répondit :

Ô roil que ton cœur ne se trouble pas de celai Un enfant dont Siawusch serait le père ne pourrait être que prudent, sage et discret.

Ne crois pas aux paroles des astrologues, consulte la raison et consens à la demande de Siawusch ; De lui et de ta fille naîtra un roi dont la tête touchera au soleil, qui sera le maître de l’Iran et du Touran, qui fera cesser les guerres des deux pays et la race de Feridoun et de Keïkobad n’aura jamais produit un rejeton plus glorieux.

Et quand même le dessein secret du ciel serait autre, tes inquiétudes ne le rendront pas plus favorable ; ce qui doit arriver arrivera certainement et tes craintes n’amoindriront pas ce qui doit grandir.

Pense que tu tireras de la gloire de cette alliance et que tout ce que tu demanderas à la fortune te sera accordé. »

Le roi dit à Piran :

Ton conseil ne peut pas porter malheur ; je cède à ta demande et à ton avis.

Va et fais convenablement tout ce qu’il y a à faire. »

Piran se baissa jusqu’à terre et lui rendit ses hommages, il le couvrit de bénédictions et partit.

Il se rendit en toute hâte auprès de Siawusch et lui raconta ce qui venait de se passer.

Ils restèrent assis toute la nuit, se réjouissant et noyant dans le vin les soucis de leur âme.

Dernière mise à jour : 7 sept. 2021