Keï Kaous

Kaous demande en mariage Soudabeh, fille du roi du Hamaveran

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Après cela quelqu’un dit à Kaous :

Le roi du Hamaveran a une fille qu’il tient cachée, dont la taille est plus élégante que le cyprès ; elle porte sur la tête un diadème de musc noir, sa stature est haute, les boucles de ses cheveux sont des lacets, sa langue est un poignard, ses lèvres sont du sucre, elle est un paradis plein de délices et semblable au soleil brillant dans le gai printemps.

Il ne faut pas que le roi prenne une autre compagne.

Quel bonheur pour lui de posséder cette lune !

Kaous sentit son cœur tressaillir et répondit :

Ce conseil est bon et je demanderai à son père cette beauté, car elle convient à mon trône.

Alors, il choisit parmi la foule un homme d’esprit et de savoir, issu d’une famille noble et doué d’une intelligence profonde et lui ordonna d’aller dans le Hamaveran.

Rends, dit-il, le roi favorable à mes vœux ; prépare son esprit par des paroles douces ; dis-lui que mon alliance est recherchée dans le monde par tous les grands qui ont de l’expérience, car le soleil emprunte sa splendeur de ma couronne, la terre est la base de mon trône d’ivoire et tous ceux qui ne vivent pas à l’ombre de mon asile seront humiliés.

Maintenant je désire contracter avec toi une alliance ; je désire cimenter notre paix.

Tu as derrière tes rideaux une fille dont j’ai entendu dire qu’elle est digne de mon trône, que son visage est pur et pur son corps et qu’on la célèbre dans chaque ville et dans chaque assemblée.

Puisque tu trouves un gendre comme le fils de Kobad, sache que le soleil t’a traité avec faveur.

Le sage messager à la langue affilée se rendit auprès du roi du Hamaveran ; il exerça sa langue et excita son cœur ; il prépara ses lèvres à prononcer de douces paroles ; il porta au roi le salut et les bénédictions de Kaous et s’acquitta de son message.

Le roi du Hamaveran l’écouta, son cœur se remplit d’amertume et sa tête s’appesantit ; il dit en lui-même :

Quoique Kaous soit roi, quoiqu’il soit le maître de la terre, victorieux et tout-puissant, je n’ai dans le monde que cette fille unique qui m’est plus chère que ma douce vie.

Mais si je traite ce messager avec froideur et mépris, je n’ai pas le pouvoir et le moyen de combattre son maître ; il vaut mieux que je ferme les yeux sur cette violence et que je renferme ma colère dans mon cœur.

Puis, il dit à l’envoyé aux douces paroles :

La demande de Kaous est pour moi un malheur extrême.

Il exige de moi deux choses plus précieuses que toute autre que je connaisse.

Mes richesses formaient ma sécurité et mon âme était heureuse par mon enfant.

Mais dorénavant mon cœur sera loin de moi et j’en souffrirai, quoique ce soit le roi de l’Iran qui me le ravisse ; néanmoins je lui donnerai tout ce qu’il me demande et je ne me soustrairai pas à sa volonté et à ses ordres.

Dans sa douleur il fit appeler Soudabeh et lui parla de Kaous en ces termes :

Il est venu de la part du roi qui porte haut la tête et qui n’a rien à désirer en pouvoir et en bonheur, un messager aux paroles douces et tenant en main une lettre remplie de nouvelles.

Il désire me ravir, contre mon gré, mon cœur, mon sommeil et mon repos.

Qu’en dis-tu ?

Quel est ton désir en ceci ?

Quel est ton prudent conseil en cette affaire ?

Soudabeh lui répondit :

S’il n’y a pas de remède, il vaut mieux commencer par ne pas s’en affliger ; et pourquoi serais-tu attristé d’une alliance avec celui qui est le maître du monde, qui peut prendre aux rois leurs trônes et leurs provinces ?

Personne n’envisage avec douleur un événement qui doit être un sujet de joie.

Le roi vit que Soudabeh n’était point affligée de ce qui arrivait ; il fit venir auprès de lui l’envoyé de Kaous et le plaça au-dessus de tous les grands.

Ils conclurent alors cette alliance selon les formes et les rites de la religion de ce temps.

Le roi y employa sept jours, lui et les grands de sa cour ; ensuite il amena, le cœur brisé, six cents esclaves, quarante litières, mille chameaux, mille mulets et mille chevaux, tous chargés de brocart et d’or ; du haut des litières pendaient des tissus magnifiques ; tous les corps de l’armée avaient formé leurs rangs.

Dans une litière venait la jeune lune toute parée ; après elle venaient les présents et un cortège orné comme un paradis : tu aurais dit que l’air s’était changé en tulipes.

Lorsque la conquérante des cœurs et ce cortège magnifique arrivèrent devant le roi Kaous, la jeune lune sortit de la litière, semblable à un roi assis dans sa pompe sur un trône nouveau.

De nombreuses tresses de musc noir tombaient sur ses joues de rose, des boucles d’ambre gris pendaient à ses oreilles, ses deux lèvres brillaient comme le rubis, ses deux yeux étaient noirs comme le narcisse, la colonne de ses deux sourcils (son nez) ressemblait à un roseau d’argent.

Kaous la regarda et resta étonné ; il invoqua la grâce de Dieu sur Soudabeh.

Il tint une assemblée de sages et de Mobeds âgés et pleins de prudence ; il reconnut que Soudabeh était digne d’être sa compagne et l’épousa selon les coutumes et les rites, puis il lui dit :

Aussitôt que je t’ai aperçue, je t’ai jugée digne du trône d’or.

Dernière mise à jour : 7 sept. 2021