Guschtasp

Isfendiar envoie Bahman auprès de Rustem

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Isfendiar fit venir Bahman devant lui et lui parla longuement, disant:

Monte sur ton destrier noir, pare-toi avec du brocart de Chine, place sur ta tête une couronne royale toute couverte de pierres fines dignes d’un Pehlewan, pour que tous ceux qui te voient te distinguent parmi les grands, sachent que tu es de race royale et invoquent sur toi les grâces du Créateur.

Emmène avec toi cinq chevaux de main aux brides d’or, et dix Mobeds portant haut la tête et de grand renom;

Continue ta route jusqu’au palais de Rustem, mais sans te fatiguer.

Salue-le de ma part, sois bon pour lui, parle-lui en paroles choisies, sois d’une politesse parfaite, et dis-lui:

Celui qui devient grand et puissant et s’ élève au-dessus de tout danger de malheur doit rendre grâce à Dieu, qui de toute éternité connaît ce qui est bien.

Si l’homme s’efforce de faire le bien et s’abstient de l’avidité et des mauvais désirs, Dieu augmente son pouvoir et ses trésors, et il sera heureux dans son séjour passager sur la terre;

S’il s’abstient de toute mauvaise action, il trouvera dans l’autre monde le paradis.

Le sage sait que le bien et le mal passent sur nous, et qu’à la fin notre couche est la terre noire et notre âme s’envole auprès de Dieu, le très-saint.

Quiconque dans le monde sait ce qui est bien, se donne de la peine et se conforme à la volonté des rois;

On est récompensé selon ce qu’on a fait; et l’on reçoit une réponse selon les paroles qu’on a prononcées.

Maintenant nous voulons prendre la mesure de tes actes, et il ne faut ni les exagérer ni les diminuer.

Tu as vécu des années sans nombre, tu as vu bien des rois dans le monde, et si tu dévies du chemin de la raison, tu sais que cela n’est pas digne de toi, qui as reçu de mes ancêtres tant de pouvoir, de trésors, d’armées, de chevaux magnifiques, de trônes et de couronnes.

Pendant tout le temps que Lohrasp a été le maître du monde, tu n’es pas allé à sa cour, et lorsqu’il a remis la couronne à Guschtasp, tu n’as plus fait attention à son trône.

Tu ne lui as pas écrit une seule lettre, tu t’es affranchi de tous les devoirs d’un sujet.

Tu ne t’es pas présenté à sa cour comme un serviteur; tu ne donnes plus à personne le titre de roi.

Mais depuis Houscheng, Djemschid et le vaillant Feridoun, qui a enlevé l’empire à la race de Zohak, et en descendant jusqu’à Keï Kobad, qui a placé sur sa tête la couronne de Feridoun, le trône n’a été occupé par aucun roi aussi propre aux combats et aux festins, aux conseils et à la chasse, que Guschtasp.

Il a adopté la foi pure, il a anéanti l’injustice et l’erreur;

La voix du maître de la terre est devenue, sous lui, brillante comme le soleil, et les mauvaises doctrines et les voies du Div ont disparu.

Ensuite, lorsque Ardjasp est venu le combattre avec une armée semblable à des léopards et de puissants crocodiles, une armée dont personne ne savait le nombre, le roi illustre est allé à sa rencontre et a fait du champ de bataille un cimetière tel que nulle part on ne voyait le sol, tel que, jusqu’au jour de la résurrection, le souvenir n’en vieillira pas parmi les grands.

Aujourd’hui tout est à lui depuis l’Occident jusqu’à l’Orient, et il brise le dos des lions vaillants.

Va du Touran jusqu’aux frontières de l’Inde et du Roum, et tu verras que le monde est dans sa main comme une poignée de cire.

Des cavaliers du désert, qui percent avec leurs lances, se trouvent à sa cour, et leurs villes lui envoient des tributs et des redevances, car ils ne peuvent lui résister ni lutter contre lui.

Je te dis cela, ô Pehlewan, parce que tu as offensé l’esprit du roi;

Tu ne t’es pas présenté à sa cour illustre, tu n’as pas vu les grands qui l’entourent;

Tu as choisi dans le monde une frontière éloignée où tu te caches; mais comment les grands pourraient-ils t’oublier, à moins d’avoir perdu tout sens?

Tu as toujours voulu tout ce qui est bien, tu t’es toujours conformé aux ordres des rois; et si quelqu’un voulait énumérer les fatigues que tu as supportées pour eux, la liste serait plus longue que celle de tes trésors;

Mais il y a un roi qui n’approuve pas dans un sujet ce qu’on raconte de toi;

Il m’a dit que, rassasié de dons, de pays et de trésors accumulés, tu es devenu fier, tu te renfermes dans le Zaboulistan, et ne viens à son aide en rien, et que tu ne le verrais jamais dans la salle des festins, puisque tu trouvais bon de te tenir loin du champ de bataille.

Un jour il est entré en colère, et a juré par le jour brillant et la nuit sombre que personne dans son armée choisie ne le verrait à la cour, si ce n’est enchainé. Maintenant je suis venu de l’Iran pour t’emmener, et le roi m’a ordonné de ne pas me reposer un seul instant.

Soumets-toi donc, et tremble devant sa colère;

Car ne sais-tu pas quel regard de colère son œil peut lancer?

Mais si tu viens avec moi, si tu promets d’obéir, si tu te repens de t’être tenu éloigné, je jure par le soleil, par les mânes glorieuses de Zerir et par l’âme de mon père, le maître du monde, le lion, que je ferai repentir le roi de sa sévérité, que je ferai briller de nouveau la lune assombrie de sa grâce.

L’intelligence et la sagesse sont mes guides, et Beschouten m’est témoin que j’ai déjà essayé de calmer le roi, quoique j’aie vu les fautes que tu as commises; mais mon père est roi, et je suis son sujet : jamais je ne m’écarterai de ce qu’il ordonne.

Il faut que toute ta famille se rassemble pour tenir conseil et se concerter sur cette affaire: Zewareh, Faramourz, Destan fils de Sam, et la glorieuse Roudabeh, pleine d’expérience.

Pesez tous mes conseils l’un après l’autre, cédez à mes bonnes paroles; car il ne faut pas que votre palais devienne désert et soit la proie des braves de l’Iran.

Quand je t’aurai conduit enchaîné devant le roi, quand je lui aurai exposé tes nombreuses fautes, je me placerai devant lui humblement, et j’apaiserai sa colère et son désir de vengeance:

je ne souffrirai pas que même un souffle de vent te touche, comme il convient à un homme de ma naissance.

Dernière mise à jour : 7 sept. 2021