Guschtasp

Combat d'Isfendiar contre Rustem

Commencement du récit.

J’ai entendu du rossignol une histoire qu’il récitait d’après d’anciennes traditions;

La voici:

Lorsque Isfendiar revint du palais du roi, ivre et mécontent, sa mère Kitaboun, la fille du Kaisar, le serra dans ses bras dans la nuit sombre; lorsqu’il se réveilla, encore dans la nuit, il demanda une coupe de vin et se mit à parler.

Il dit à sa mère:

Le roi agit mal envers moi;

Il m’avait promis quand j’aurais, à force de bravoure, puni Ardjasp pour la mort de Lohrasp, quand j’aurais délivré de la captivité mes sœurs et rendu illustre mon nom dans le monde, quand j’aurais exterminé sur la terre toute la race des méchants, quand j’aurais rajeuni le monde par mes efforts et mes arrangements, qu’alors l’empire et l’armée seraient à moi, à moi le trône, le trésor et le diadème.

Maintenant, aussitôt que la rotation de la sphère aura amené le soleil et que le roi sera réveillé de son sommeil, je lui rappellerai les paroles qu’il m’a dites, et il n’osera pas renier devant moi ce qui est vrai.

S’il donne un signe d’hésitation, je jure par Dieu, qui a créé le ciel, que je poserai sur ma tête la couronne, et que je distribuerai aux Iraniens tout l’empire; je te ferai reine d’Iran; et par ma force et mon courage, je ferai des exploits de lion.

Ces paroles affligèrent sa mère, et sa robe de soie se convertit en épines sur son corps, car elle savait que le roi illustre ne céderait jamais la couronne, le trône et le diadème.

Elle dit:

Ô mon fils éprouvé par les peines! que désire dans le monde le cœur d’un grand, si ce n’est des trésors, le pouvoir, le droit de donner son avis, et le commandement de l’armée? or tu les possèdes; ne demande pas davantage.

Ton père porte sur sa tête une couronne, mais toute l’armée et tout l’empire sont à toi, et aussitôt qu’il meurt, sa couronne et son trône t’appartiennent;

Son pouvoir, sa dignité et la faveur du sort passent à toi.

Qu’y a-t-il de plus beau qu’un vaillant lion debout devant son père, ceint pour le servir?

Isfendiar répondit à sa mère:

Il a eu raison, ce roi qui a dit:

Ne confie jamais un secret à une femme: si tu le fais, tu retrouveras tes paroles dans la rue; Ne fais jamais rien selon l’ordre d’une femme, car tu n’en trouveras jamais une qui sache donner un avis.

La rougeur de la honte couvrit le visage de Kitaboun, et elle se repentit d’avoir parlé.

Isfendiar ne parut plus devant le roi;

Il resta chez lui, s’amusant et buvant du vin; pendant deux jours et deux nuits il but du vin pur, et calma son cœur par la présence de femmes au visage de lune.

Le troisième jour, le roi fut averti que son fils convoitait la possession du trône, que son cœur était obsédé de soucis, et que le trône et la couronne des Keïanides étaient son unique désir.

Le roi appela sur-le-champ Djamasp et les astrologues de Lohrasp, qui arrivèrent portant dans leurs bras leurs tables astronomiques.

Le roi leur fit des questions sur Isfendiar, si ses jours seraient longs, s’il mènerait une vie vertueuse, tranquille et douce, s’il placerait sur sa tête la couronne impériale, et si le diadème des rois lui resterait longtemps.

Quand Djamasp, le sage de l’Iran, entendit ces paroles, il consulta ses vieilles tables astronomiques; ses yeux se remplirent de larmes de douleur, et ce qu’il apprit lui fit froncer les sourcils. Il s’ écria:

Maudit soit ce jour et maudite mon étoile, et mon savoir accable de malheur ma tête!

Plut à Dieu que le sort m’eut livré aux griffes des lions avant le noble Zerir, et que je ne l’eusse pas vu renversé dans la bataille et couvert de poussière et de sang, ou que mon propre père n’eût tué, et que Djamasp eût ainsi échappé à sa mauvaise fortune!

Un homme comme Isfendiar, devant lequel le cœur des lions se fend quand il les attaque, qui a purifié la terre entière de nos ennemis, qui, dans le combat, ne connaît ni crainte ni faiblesse, qui a fait que le monde n’a plus à redouter les méchants, qui a coupé en deux le corps du dragon, hélas! nous devons porter son deuil, nous serons abreuvés de malheur et d’amertume par son sort.

Le roi lui dit:

Ô toi que j’aime, dis ce que tu as à dire, et ne te détourne pas de la voie de la sagesse.

Si Isfendiar doit finir comme le Sipehbed Zerir, ma vie ne serait dorénavant que misère.

Hâte-toi de parler et dis-moi tout, car ta science m’inonde d’amertume.

Qui dans le monde a dans ses mains le sort de mon fils, pour que je doive pleurer sur une si grande perte?

Djamasp répondit:

Ô roi! moi aussi je serai accablé par les malheurs du sort.

C’est dans le Zaboulistan que la mort frappera Isfendiar par la main du héros fils du Destan.

Le roi dit à Djamasp:

Ne traite pas avec indifférence ce qui arrive aujourd’hui.

Si je lui donnais le trône impérial, les trésors et la couronne de la royauté, alors il n’irait pas dans le Zaboulistan, et personne ne le verrait dans le pays de Kaboul;

Il pourrait braver les chances du sort, et sa bonne étoile l’emporterait.

L’astronome répondit:

Qui peut sortir de la sphère qui tourne?

Quel est celui qui peut échapper par la bravoure ou par la science au dragon aux griffes aiguës qui est au-dessus de nous?

Ce qui doit arriver arrivera infailliblement, et le sage ne cherche pas à en découvrir le moment.

Isfendiar périra par la main d’un homme puissant, quand même le Serosch dormirait au pied de son trône.

Ce malheur remplit le roi de soucis; son esprit s’égara dans ses pensées, comme dans une forêt sans issue; et les mauvaises pensées et la force du sort lui enseignèrent le mal.

Dernière mise à jour : 7 sept. 2021